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LE CABINET DES CURIOSITÉS

On le pensait relégué aux oubliettes depuis l’avènement du béton et de l’acier. Mais plus que jamais, le bois donne des rêves de grandeur aux concepteur­s de gratte-ciels.

- Par Caroline Chrétien

Plus que jamais, le bois donne des rêves de grandeur aux concepteur­s de gratte-ciels.

ÀVancouver, Tokyo ou Londres, des planches à dessin sont noircies de plans de gratte-ciels en bois d’ingénierie, un nouveau produit robuste fabriqué en usine à partir d’une ressource vieille comme le monde. Depuis 2017, trois projets ont fait école, dont deux au Canada : les appartemen­ts en copropriét­é Origine, à Québec, et la résidence étudiante Brock Commons, à Vancouver. L’an dernier, la Norvège a battu le record de hauteur avec sa tour Mjøstårnet de 85,4 m.

L’édificatio­n de grands bâtiments en bois ne date pas d’hier. Les monuments bouddhique­s d’Horyu-ji, au Japon, ont été érigés dès le septième siècle. Au Canada, des édifices industriel­s en bois et en brique sont apparus entre 1859 et 1940. Mais le béton et l’acier se sont imposés, propulsés par des prouesses comme la tour Eiffel et l’Empire State Building. Alexander Salenikovi­ch, ingénieur et professeur au Départemen­t des sciences du bois et de la forêt à l’Université Laval, souligne un autre point : « Une des premières préoccupat­ions pour les codes du bâtiment était la sécurité quant aux incendies. » C’est pourquoi, jusqu’à tout récemment, la hauteur des constructi­ons en bois était strictemen­t limitée au Canada.

Mais la crise climatique bouleverse le secteur. Le World Green Building Council estime que l’industrie de la constructi­on est responsabl­e de 40 % des émissions mondiales de carbone. Cela préoccupe plusieurs architecte­s, séduits par les qualités du bois : production peu énergivore et séquestrat­ion du carbone, notamment. Depuis une vingtaine d’années, de nouveaux produits de bois d’ingénierie très performant­s ont nourri leurs ambitions. Le bois lamellé-croisé (CLT), par exemple, peut servir pour la structure des murs porteurs, des dalles de planchers et des toits.

Ce produit métamorpho­se les chantiers, selon Pierre Blanchet, titulaire de la Chaire industriel­le de recherche du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada sur la constructi­on écorespons­able en bois. « Avec le béton, on va monter deux étages par mois, quand les conditions sont favorables. Pour le bois, on parle d’un étage par semaine », compare-t-il. Les pièces sont livrées dans l’ordre d’assemblage et chaque étage peut être scellé au fur et à mesure que les travaux avancent. La légèreté du bois permet d’asseoir des bâtiments sur des sols plus fragiles.

Mais une constructi­on plus légère peut se révéler plus vulnérable aux effets du vent. Des chercheurs du Centre for Natural Material Innovation de l’Université de Cambridge, au Royaume-Uni, ont étudié les techniques d’ancrage au sol de même que la possibilit­é de renforcer le matériau à l’échelle moléculair­e en injectant un composé dans les pores du bois. Les détails architectu­raux peuvent aussi aider. « On peut briser le vent avec la forme du bâtiment, en ajoutant des courbes ou des trous dans la façade », illustre Alexander Salenikovi­ch. Au lieu de frapper le bâtiment de plein fouet, le vent est donc dévié.

Même si les coûts peuvent encore être élevés, la constructi­on en bois de plusieurs étages mérite qu’on s’y arrête, selon l’architecte canadien Michael Green. « Le plus grand problème, c’est le manque de connaissan­ces », déplore-t-il. Ainsi, les bâtiments en bois massif résistent bien au feu, même si c’est contre-intuitif : le CLT ne brûle pas bien. Il explique aussi que l’approvisio­nnement est durable s’il se fait à partir de forêts certifiées, gérées pour minimiser les répercussi­ons de la coupe sur les écosystème­s.

Faut-il pour autant construire d’immenses gratte-ciels en bois à tout prix ? Ambitieux, Michael Green assure que la technologi­e existe. Alexander Salenikovi­ch croit davantage aux constructi­ons hybrides, qui misent sur la force de chaque matériau. Pierre Blanchet est pragmatiqu­e. « La réalité, c’est que, à moins que nos gouverneme­nts se mettent à taxer le carbone des bâtiments, peu de ces grands projets se réaliseron­t. La logique économique finira par dominer. Le marché se situe plutôt dans les immeubles de 4 à 10 étages. »

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La résidence étudiante Brock Commons de l’Université de la Colombie-Britanniqu­e est un bâtiment hybride de 18 étages (53 m) comportant deux piliers de béton. Au moment de sa constructi­on (2017), c’était le plus haut immeuble du genre dans le monde.
Les appartemen­ts en copropriét­é Origine, à Québec, comptent 13 étages : un podium en béton et 12 étages en bois massif. Le Québec est la première administra­tion nord-américaine à avoir appuyé la constructi­on de ce type de bâtiment. Grâce à cet exemple et à celui de Brock Commons, le Code national du bâtiment de 2020 doit d’ailleurs permettre la constructi­on d’immeubles en bois allant jusqu’à 12 étages.
Le CLT est fabriqué en collant des planches de bois de manière perpendicu­laire. On peut en faire de grands panneaux très robustes, qui remplacent plus ou moins les dalles de béton. La résidence étudiante Brock Commons de l’Université de la Colombie-Britanniqu­e est un bâtiment hybride de 18 étages (53 m) comportant deux piliers de béton. Au moment de sa constructi­on (2017), c’était le plus haut immeuble du genre dans le monde. Les appartemen­ts en copropriét­é Origine, à Québec, comptent 13 étages : un podium en béton et 12 étages en bois massif. Le Québec est la première administra­tion nord-américaine à avoir appuyé la constructi­on de ce type de bâtiment. Grâce à cet exemple et à celui de Brock Commons, le Code national du bâtiment de 2020 doit d’ailleurs permettre la constructi­on d’immeubles en bois allant jusqu’à 12 étages.
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En 2015, Michael Green Architectu­re a conçu les plans d’un Empire State Building entièremen­t en bois. Le projet faisait partie d’une initiative de Metsä Wood, dont la mission est d’explorer les possibilit­és du bois dans la constructi­on urbaine.

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