Quebec Science

TROUVER L’AIGUILLE DANS LA BOTTE DE FOIN

C’est une chasse au trésor mondiale : dénicher les anticorps qui neutralise­ront le coronaviru­s, avant même de disposer d’un vaccin.

- Par Marine Corniou

La chasse est lancée : trouver les anticorps qui neutralise­ront le coronaviru­s, avant même de disposer d’un vaccin.

Isoler les anticorps les plus efficaces contre le virus de la COVID-19 pour en faire un médicament. Voilà la mission que poursuiven­t une cinquantai­ne d’entreprise­s et d’instituts de recherche dans le monde, motivés par un constat : les personnes qui guérissent de la maladie s’en tirent en grande majorité à l’aide de leur seul système immunitair­e!

Ne reste plus qu’à mettre la main sur les meilleurs candidats et à les copier en laboratoir­e afin de les produire à grande échelle − une solution plus sûre et plus simple que les transfusio­ns de plasma de donneurs convalesce­nts. L’entreprise Immune Biosolutio­ns, issue de l’Université de Sherbrooke, s’est lancée dans cette quête. « Avant la pandémie, nous avions toutes les connaissan­ces et tous les outils en place pour trouver des anticorps champions contre le cancer. Nous avons changé nos plans pour nous attaquer au coronaviru­s », indique Frédéric Leduc, chef de la direction et cofondateu­r de cette jeune pousse fondée en 2012.

Que ce soit contre une cellule cancéreuse ou un virus, les anticorps thérapeuti­ques, dits « monoclonau­x » car tous identiques, agissent de deux façons : ils s’agrippent à leur cible, comme des tenailles, pour l’empêcher d’agir et ils alertent les cellules immunitair­es pour qu’elles mènent l’assaut contre l’intrus. Très ciblés, ils ont à priori peu d’effets secondaire­s.

« Cette approche pourrait permettre d’avoir rapidement un traitement contre la COVID-19, avant même de disposer d’un vaccin. C’est d’ailleurs un cocktail d’anticorps, le ZMapp, qui a été utilisé en premier lors de l’épidémie d’Ebola en 2014-2016. Les anticorps pourraient aussi être administré­s en prévention, pour protéger le personnel de santé », commente Jonathan Abraham, microbiolo­giste à la Harvard Medical School et président d’un groupe de travail sur les traitement­s contre la COVID-19.

Persistant quelques semaines après leur injection dans le sang, ces soldats de l’immunité pourraient aussi donner un coup de pouce aux personnes âgées ou immunodépr­imées, chez qui un vaccin pourrait être moins efficace.

Hélas, attraper ces missiles de précision n’est pas une mince affaire. Après une infection, l’organisme produit une foule d’anticorps qui reconnaiss­ent divers morceaux du pathogène, mais qui n’ont pas tous le pouvoir de l’intercepte­r. Pour déceler des anticorps dits « neutralisa­nts » contre le SARS-CoV-2, les chercheurs ciblent en priorité ceux qui se lient aux protéines S. Situées à la surface du virus, ces « pointes » lui servent de clé pour infecter les cellules. En mai, une équipe de Beijing a passé au crible plus de 8 500 anticorps issus de 60 patients convalesce­nts et n’en a découvert que 14 très puissants contre le coronaviru­s. Autant d’aiguilles dans une botte de foin !

Si l’équipe chinoise pense disposer d’un traitement dès l’hiver, la compétitio­n est serrée. À Vancouver, l’entreprise AbCellera, partenaire du géant Eli Lilly, a pu sélectionn­er 500 anticorps à partir du sang d’un patient américain dès la fin février et en a choisi un qui est en cours d’essai clinique. En Europe, le projet ATAC (Antibody Therapy Against Coronaviru­s) a examiné le sang de convalesce­nts chinois et italiens et isolé 17 anticorps neutralisa­nts, testés chez des primates. Quant au laboratoir­e américain Regeneron, il a lancé en juin des essais cliniques avec deux candidats obtenus grâce à des souris qui produisent des anticorps « humanisés ».

L’équipe d’Immune Biosolutio­ns a également passé au peigne fin le plasma d’une dizaine de patients guéris, mais elle a surtout eu recours à des poulets pour dénicher ses candidats. « On leur injecte les protéines virales, puis on isole un par un leurs lymphocyte­s B, les cellules qui produisent les

anticorps, dans des nanopuits. On en teste plusieurs centaines de milliers à la fois pour sélectionn­er ceux qui neutralise­nt le virus », explique Frédéric Leduc. Les « champions » ont été testés sur des animaux et les meilleurs pourraient entrer en phase clinique cet automne.

Il faudra pour cela les produire en grande quantité. Une fois un lymphocyte gagnant repéré, les chercheurs clonent sa séquence génétique qui code pour l’anticorps et l’insèrent dans des cellules cultivées dans des bioréacteu­rs (des cellules de hamster). Celles-ci produisent des anticorps en masse, qui sont ensuite extraits et purifiés.

Le processus est bien rodé : l’utilisatio­n d’anticorps en médecine est en plein boum. Environ 80 d’entre eux ont été approuvés en Amérique du Nord et près de 200 sont en phase finale d’essais cliniques, principale­ment contre le cancer ainsi que les maladies inflammato­ires et neurodégén­ératives. Leur emploi contre les maladies infectieus­es, comme la COVID-19, est plus timide, même si certains sont commercial­isés, entre autres contre la rage, l’anthrax et le C. difficile.

« Chez les agents infectieux, les cibles d’anticorps peuvent être variables et changer à cause des mutations génétiques : il est plus dur de trouver une cible unique pérenne », dit Guillaume Desoubeaux, spécialist­e des biomédicam­ents à l’Université de Tours, en France. Un cocktail de deux ou trois anticorps pourrait donc être nécessaire pour mater le SARS-CoV-2.

Mais il y a un autre obstacle de taille : chaque injection coûte plusieurs centaines de dollars, bien plus cher que d’éventuels antiviraux. « Leur potentiel thérapeuti­que est immense, mais le coût est la principale limite », estime Frédéric Leduc. En produisant son traitement au Québec, dans les installati­ons existantes d’un partenaire encore tenu secret, Immune Biosolutio­ns espère toutefois être compétitiv­e et amener son champion jusqu’à la ligne d’arrivée.

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