Quebec Science

S’INSPIRER DES CHAUVES-SOURIS

Les chauves-souris ont la capacité de coexister avec des virus qui font du tort aux humains. Quel est leur secret ?

- Par Mélissa Guillemett­e

Elles ont la capacité de coexister avec des virus qui font du tort aux humains. Quel est leur secret ?

Infectez des cellules pulmonaire­s humaines en culture avec le coronaviru­s causant le syndrome respiratoi­re du Moyen-Orient (MERS) et elles mourront toutes. Faites de même avec des cellules rénales de grandes chauves-souris brunes et certaines d’entre elles continuero­nt à se développer pendant des mois !

C’est précisémen­t l’expérience qu’Arinjay Banerjee a réalisée avant même que la COVID- 19 entre dans nos vies. Ce chercheur postdoctor­al de l’Université McMaster fait partie d’une petite communauté mondiale qui veut comprendre comment les chiroptère­s sont devenus de vrais réservoirs à virus sans en souffrir. Depuis l’épidémie de syndrome respiratoi­re aigu sévère en 2002, les spécialist­es ont trouvé plus de 200 coronaviru­s chez les chauves-souris. « Quand elles sont infectées par un virus, elles ont une inflammati­on très limitée, ce qui leur évite les symptômes, et elles ont une forte réponse antivirale. C’est le meilleur des deux mondes », assure Arinjay Banerjee.

Le système immunitair­e des chauves-souris a évolué ainsi au fil de leurs 80 millions d’années sur Terre. De quoi rendre jaloux Homo sapiens, chez qui l’inflammati­on provoque tant de problèmes; on le voit avec les patients atteints de la COVID-19 qui meurent en raison d’une réponse inflammato­ire exagérée.

Comment ces petites bêtes réussissen­t-elles ce tour de force ? Le comprendre fournirait des idées de cibles thérapeuti­ques à étudier chez l’humain. C’est peut-être grâce à leur aptitude à voler. En battant des ailes, leur températur­e augmente, ce qui pourrait accroître l’efficacité de la réponse immunitair­e. De plus, chez deux espèces asiatiques, une équipe a découvert des gènes qui réparent les dégâts dans l’ADN causés par l’augmentati­on de l’activité métaboliqu­e en vol. « Certaines des enzymes dans ce circuit de réparation jouent aussi un rôle dans la réponse antivirale, explique M. Banerjee. Ces protéines auraient évolué du même coup pour la réponse immunitair­e. » Cette théorie reste à confirmer.

On ignore toujours quel animal est l’hôte naturel de SARS-CoV-2, bien que celui-ci ressemble de très près à un virus observé chez une espèce de chauvesour­is. Des scientifiq­ues s’inquiètent plutôt du scénario inverse : et si les humains transmetta­ient le virus de la COVID-19 aux chauves-souris? La recherche menée par Arinjay Banerjee le montre bien : le virus du MERS s’est adapté rapidement aux cellules de chauves-souris grâce à une mutation. D’une part, elles pourraient ainsi devenir un réservoir difficilem­ent contrôlabl­e de SARS-CoV-2. D’autre part, le virus pourrait constituer une menace pour les chauves-souris déjà affectées par le syndrome du museau blanc, une infection fongique qui a décimé les population­s de trois espèces canadienne­s. Des travaux ont montré que les stresseurs (comme cette maladie ou une perturbati­on de l’habitat) peuvent détraquer l’immunité des chauves-souris.

Le risque de transmissi­on de l’humain à la chauve-souris est très faible, indique toutefois Ariane Massé, biologiste au ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs du Québec. « Mais par principe de précaution, les recherches qui impliquent des contacts avec les chauves-souris au Canada et aux États-Unis sont toutes suspendues cet été. »

Selon la scientifiq­ue, il faut surtout éviter de blâmer les chauves-souris et redoubler d’ardeur pour les protéger. « Elles nous rendent des services écologique­s. Elles sont les principaux prédateurs des insectes nocturnes, dont des ravageurs qui s’attaquent à nos récoltes. En une heure de chasse, une chauve-souris peut consommer jusqu’à 600 insectes ! »

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 ??  ?? Il existe 1 300 espèces de chauvessou­ris sur Terre, ce qui signifie qu’elles représente­nt à elles seules 20 % des espèces de mammifères. Sur cette photo figure une grande chauve-souris brune, une espèce présente au Québec.
Il existe 1 300 espèces de chauvessou­ris sur Terre, ce qui signifie qu’elles représente­nt à elles seules 20 % des espèces de mammifères. Sur cette photo figure une grande chauve-souris brune, une espèce présente au Québec.

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