L’ennui est-il bénéfique ?
L’humain a horreur de l’ennui. Or, ce sentiment de vide et d’insatisfaction nous a drôlement rattrapés ces derniers temps. Peut-être n’est-ce pas une si mauvaise chose, nous disent les chercheurs.
L’humain a horreur de l’ennui. Or, ce sentiment de vide et d’insatisfaction nous a drôlement rattrapés ces derniers temps. Peut-être n’est-ce pas une si mauvaise chose, nous disent les chercheurs.
Avec le Grand Confinement, nos activités sociales ont disparu. Envolées, nos distractions favorites. Nous manquions cruellement de temps et voilà que l’ennui s’est installé à demeure. Et cela n’est pas pour nous plaire. Nous abhorrons l’ennui, si bien que nous aimons encore mieux recevoir de légers chocs électriques que de rester immobiles, sans tâche précise, comme le montrent une série d’expériences menées en 2014 par des chercheurs américains. C’est dire. Pourtant, l’ennui est un sentiment fort complexe, riche d’enseignement et qui peut être même constructif.
De grands penseurs des 19e et 20e siècles ne se sont-ils pas échinés à cerner sa mystérieuse dualité? Schopenhauer, Kierkegaard, Heidegger et Sartre l’ont habilement décortiquée, l’associant à un incontournable mal de vivre. Nietzsche déplorait, lui, que « presque tous les habitants des pays civilisés préfèrent encore travailler sans plaisir plutôt que de s’ennuyer ».
L’ennui a attiré l’attention des historiens, surtout après la Deuxième Guerre mondiale. Leur perspective a permis de mieux saisir toute la charge politique derrière l’ennui. Sinon, pourquoi les autorités politiques et religieuses se seraient-elles inquiétées de l’usage que feraient les travailleurs de leur temps libre dans la foulée de la réduction des heures de travail? Et si le peuple s’adonnait au vice ? Et s’il avait le temps d’imaginer un monde meilleur, plus juste, avec de meilleurs salaires ?
Depuis les années 1980, c’est au tour des psychologues et des neuropsychologues d’apprivoiser l’ennui, qu’ils avaient jusque-là jugé trop fuyant, trop discret, trop… existentiel. Ils rattrapent d’ailleurs le temps perdu à la vitesse grand V. Le nombre d’études sur le sujet a fait un bond significatif, passant de 11 par année en 1980 à 95 pour l’année 2019 dans la seule banque de données PubMed. Leurs découvertes sont étonnantes, comme le montre cette expérience au cours de laquelle des participants, laissés à eux-mêmes pendant 15 minutes dans un laboratoire vide, ont choisi de s’autoadministrer de petites décharges électriques plutôt que de s’abandonner à l’ennui. Publiés dans Science, les résultats avaient étonné les chercheurs, convaincus que les possibilités
ILLUSTRATION : FRANÇOIS BERGER DIRECTION ARTISTIQUE : NATACHA VINCENT