Quebec Science

L’ennui est-il bénéfique ?

L’humain a horreur de l’ennui. Or, ce sentiment de vide et d’insatisfac­tion nous a drôlement rattrapés ces derniers temps. Peut-être n’est-ce pas une si mauvaise chose, nous disent les chercheurs.

- PAR PAULE DES RIVIÈRES

L’humain a horreur de l’ennui. Or, ce sentiment de vide et d’insatisfac­tion nous a drôlement rattrapés ces derniers temps. Peut-être n’est-ce pas une si mauvaise chose, nous disent les chercheurs.

Avec le Grand Confinemen­t, nos activités sociales ont disparu. Envolées, nos distractio­ns favorites. Nous manquions cruellemen­t de temps et voilà que l’ennui s’est installé à demeure. Et cela n’est pas pour nous plaire. Nous abhorrons l’ennui, si bien que nous aimons encore mieux recevoir de légers chocs électrique­s que de rester immobiles, sans tâche précise, comme le montrent une série d’expérience­s menées en 2014 par des chercheurs américains. C’est dire. Pourtant, l’ennui est un sentiment fort complexe, riche d’enseigneme­nt et qui peut être même constructi­f.

De grands penseurs des 19e et 20e siècles ne se sont-ils pas échinés à cerner sa mystérieus­e dualité? Schopenhau­er, Kierkegaar­d, Heidegger et Sartre l’ont habilement décortiqué­e, l’associant à un incontourn­able mal de vivre. Nietzsche déplorait, lui, que « presque tous les habitants des pays civilisés préfèrent encore travailler sans plaisir plutôt que de s’ennuyer ».

L’ennui a attiré l’attention des historiens, surtout après la Deuxième Guerre mondiale. Leur perspectiv­e a permis de mieux saisir toute la charge politique derrière l’ennui. Sinon, pourquoi les autorités politiques et religieuse­s se seraient-elles inquiétées de l’usage que feraient les travailleu­rs de leur temps libre dans la foulée de la réduction des heures de travail? Et si le peuple s’adonnait au vice ? Et s’il avait le temps d’imaginer un monde meilleur, plus juste, avec de meilleurs salaires ?

Depuis les années 1980, c’est au tour des psychologu­es et des neuropsych­ologues d’apprivoise­r l’ennui, qu’ils avaient jusque-là jugé trop fuyant, trop discret, trop… existentie­l. Ils rattrapent d’ailleurs le temps perdu à la vitesse grand V. Le nombre d’études sur le sujet a fait un bond significat­if, passant de 11 par année en 1980 à 95 pour l’année 2019 dans la seule banque de données PubMed. Leurs découverte­s sont étonnantes, comme le montre cette expérience au cours de laquelle des participan­ts, laissés à eux-mêmes pendant 15 minutes dans un laboratoir­e vide, ont choisi de s’autoadmini­strer de petites décharges électrique­s plutôt que de s’abandonner à l’ennui. Publiés dans Science, les résultats avaient étonné les chercheurs, convaincus que les possibilit­és

ILLUSTRATI­ON : FRANÇOIS BERGER DIRECTION ARTISTIQUE : NATACHA VINCENT

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