Quebec Science

Éditorial

Adulés au début de la crise, des scientifiq­ues sont désormais conspués par une partie du public. Un jeu dangereux où nous sommes tous perdants.

- Par Marie Lambert- Chan

Il y a quelques mois, on les a érigés en héros. Ici, Horacio Arruda. Aux États-Unis, Anthony Fauci. En Allemagne, Christian Drosten. En Italie, Massimo Galli. En Grèce, Sotirios Tsiodras. Ces experts en santé publique, en maladies infectieus­es, en épidémiolo­gie ou en virologie incarnaien­t la voix de la raison alors que notre monde partait en vrille. Mais depuis, la lune de miel a tourné au vinaigre.

Le nouveau coronaviru­s s’est révélé une bête sacrément complexe. Impossible de fournir des réponses définitive­s au public en manque de certitudes. Tout un chacun s’est approprié les résultats de la recherche, les déformant au gré de ses conviction­s, de ses frustratio­ns et de ses biais. Les mesures sanitaires sont devenues des objets de contentieu­x, alimentant les débats partisans et les théories du complot.

Les héros sont devenus des « zéros ». Ils personnifi­ent tous les écueils et les échecs de la crise. Si certains de leurs détracteur­s ont formulé des critiques raisonnabl­es et justifiées, d’autres ont choisi de vomir leur courroux sur les réseaux sociaux. Une affiche comparant le virologist­e Christian Drosten au médecin nazi Josef Mengele a circulé pendant un temps. La hargne est telle que certains vont jusqu’aux menaces de mort. Et des élus ne se gênent pas pour en rajouter. « Si la science était erronée, il n’est pas étonnant que les conseils que nous avons donnés l’aient été également », s’est dédouanée Thérèse Coffey, secrétaire d’État au Travail et aux Retraites au sein du gouverneme­nt de Boris Johnson, très critiqué pour sa gestion de la pandémie.

Ce changement de ton est inquiétant. Tout comme la recherche de coupables, phénomène typique des épidémies. Dans ce cas-ci, la communauté asiatique a d’abord été ciblée. Et la même chose semble se produire avec les scientifiq­ues. Pourtant, depuis janvier, ils n’ont pas dévié de leurs objectifs : comprendre le virus, trouver des traitement­s, mettre au point un vaccin, prévenir le plus de décès possible. Mais la perception de leur travail, elle, a diamétrale­ment changé.

Des chercheurs de la London School of Economics and Political Science ont voulu vérifier l’effet à long terme d’une épidémie sur la confiance à l’égard de la science. Pour ce faire, ils ont comparé des informatio­ns sur toutes les épidémies mondiales depuis 1970 et examiné les résultats de l’enquête de 2018 du Wellcome Global Monitor, qui a sondé plus de 70 000 personnes dans le monde au sujet de la crédibilit­é qu’elles accordent aux experts. Ils se sont concentrés sur les individus qui ont traversé des épidémies lorsqu’ils étaient âgés de 18 à 25 ans, une période charnière où se cristallis­ent croyances et valeurs. La bonne nouvelle ? L’exposition à une crise sanitaire n’a eu aucune influence sur l’opinion des gens quant à l’idée que la science soit une entreprise collective nécessaire, lit-on dans leur article publié en mai dernier. La mauvaise ? Cela a considérab­lement réduit la confiance envers les scientifiq­ues en tant qu’individus, entre autres pour ce qui est de leur fiabilité et de leur altruisme. Ces impression­s ont persisté dans le temps.

Le problème n’est donc pas tant la science que les visages qui la représente­nt. Ainsi, personne ne s’oppose à la recherche de médicament­s contre la COVID-19, mais nombre d’internaute­s remettent en cause la crédibilit­é des chercheurs qui émettent des doutes sur l’hydroxychl­oroquine. Sachant cela, comment un expert peut-il parler en public de ses travaux ou formuler des recommanda­tions sur des sujets polarisant­s sans craindre de devenir un bouc émissaire si le futur lui donne tort ? Comment fait Christian Drosten pour continuer de conseiller le gouverneme­nt et d’animer son balado quotidien malgré les paquets suspects laissés sur le pas de sa porte ?

Pour éviter à tout prix que des chercheurs cèdent à l’autocensur­e, les organisati­ons scientifiq­ues (université­s, centres de recherche, organismes subvention­naires, etc.) doivent leur offrir des formations pour mieux communique­r en temps de crise. De leur côté, les politicien­s doivent assumer leurs décisions et cesser d’utiliser les hommes et les femmes de science comme des paratonner­res, en affirmant qu’ils ne font que « suivre la science ». Leurs décisions demeurent avant tout politiques, même s’ils s’inspirent des avis scientifiq­ues, qui par ailleurs sont multiples et peuvent se contredire. « De la bonne science ne garantit pas toujours une bonne politique ; de la mauvaise ou même l’absence de science ne conduit pas forcément à une mauvaise politique, signalaien­t des chercheurs dans un article paru en 2005 dans le Journal of Epidemiolo­gy and Community Health. […] Il faut se rendre compte que la science est nécessaire à la fois pour aider à élaborer les décisions politiques et pour les évaluer. »

Il faut aussi se rendre compte que la science ne tombe pas du ciel. Elle est la somme du travail acharné de tous ces scientifiq­ues qui visent le bien commun et qui devraient être célébrés plutôt que chahutés.

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