Monstres de feu sous surveillance
Satellites, drones, intelligence artificielle et capteurs faits maison : tous les moyens sont bons pour surveiller les volcans. Car il est temps de prendre cette menace au sérieux.
Satellites, drones, intelligence artificielle et capteurs faits maison : tous les moyens sont bons pour surveiller les volcans. Car il est temps de prendre cette menace au sérieux, avertissent des chercheurs.
Ils sont les seuls témoins du cataclysme du 8 mai 1902, mais ils attestent comme nuls autres la violence de l’évènement. Les objets, rassemblés dans un petit musée, semblent dégouliner comme dans un tableau de Dali. On trouve pêle-mêle une énorme cloche d’église en bronze, déformée et déchirée tel du chocolat fondu ; des bouteilles en verre et des piles d’assiettes amalgamées ; des monceaux de clous et de ciseaux en métal fusionnés sous l’effet de la chaleur. Ce jour-là, rien n’a été épargné par l’onde de choc. La ville de Saint-Pierre, en Martinique, a été rayée de la carte, pulvérisée en quelques secondes par un nuage de cendres, de roches et de gaz volcaniques craché par la montagne Pelée. Les 30 000 habitants sont morts sur le coup, asphyxiés et carbonisés par ces nuées ardentes.
Cette éruption est la plus meurtrière du 20e siècle, mais d’autres plus récentes ont marqué les esprits. On peut bien sûr citer celle du mont Saint Helens, aux États-Unis, qui a projeté dans l’atmosphère 1,2 km3 de roches et tué 57 personnes en 1980 ; ou celle du Nevado del Ruiz, en Colombie, qui a enterré plus de 20 000 personnes sous des coulées de boue en 1985. Le Kilauea, à Hawaii, a déversé des torrents de lave sur 700 habitations en 2018. Et il y a moins d’un an, l’éruption du volcan de White Island, en Nouvelle-Zélande, a pris des touristes par surprise et tué 21 d’entre eux. Quel que soit le bilan humain, ces drames rappellent que le volcanisme est indissociable de l’histoire de notre planète et de celle de l’humanité.
Est-ce à dire que nous sommes toujours incapables de prédire la colère des volcans ? « C’est impossible d’annoncer avec précision le moment d’une éruption, répond d’emblée Julie Roberge, volcanologue d’origine québécoise à l’Institut polytechnique national de Mexico. Mais on peut de mieux en mieux surveiller les indices, comme l’émission de gaz et les ondes sismiques, qui laissent penser que le magma bouge et qui nous permettent de demander l’évacuation des gens. » Déjà, en 1991, l’intensification des secousses sur le Pinatubo, en Indonésie, avait fait office d’avertissement et permis de sauver des dizaines de milliers de vies.
La montagne Pelée avait elle aussi montré des signes inquiétants avant d’exploser : fumerolles, lac de boue, tremblements inhabituels. « Quand le magma remonte, il fracture la roche pour passer. Cela cause de petits séismes de l’ordre de 1 ou 2 sur l’échelle de Richter », détaille la chercheuse, qui veille sur le Popocatepetl, un géant de presque 5 500 m de hauteur situé près de Mexico. À titre d’exemple, en juin dernier, des milliers de secousses ont annoncé l’éruption du Grimsvötn, dans le sud de l’Islande. Les sismomètres donnent aussi une idée de l’architecture souterraine du volcan : y a-t-il une chambre magmatique, c’est-à-dire un réservoir qui stocke de la roche en fusion et alimente le volcan ? Est-elle profonde ? Comment sont structurés les « tuyaux » ou dykes par lesquels se faufile le magma ? Quant aux gaz qui s’en échappent, leur teneur en dioxyde de soufre et en dioxyde de carbone (CO ) est un bon indicateur de l’imminence d’une éruption.
À l’époque, comme la montagne Pelée n’avait jamais fait beaucoup de dégâts, personne n’a jugé bon d’évacuer les lieux. Aujourd’hui, même s’il se tient tranquille depuis 90 ans, le volcan est surveillé en permanence, entre autres par un réseau de 10 sismomètres, de GPS et de capteurs mesurant les déformations de la roche en surface, qui pourraient trahir une remontée de magma.
Hélas, peu de volcans disposent d’un tel système de vigilance, principalement pour des raisons de coût. Sur la planète, on estime qu’environ 1 500 volcans (sans compter ceux des fonds océaniques) sont actifs, c’est-à-dire qu’ils ont connu une éruption au cours des 10 000 dernières années, une broutille à l’échelle des temps géologiques. Du lot, selon les sources, de 50 à 90 % ne sont pas équipés d’instruments. Pourtant, 800 millions de personnes vivent à moins de 100 km d’un volcan, profitant des terres fertiles − et cette population ne cesse de croître.
PRENDRE DE LA HAUTEUR
À défaut de pouvoir installer une batterie de capteurs sur tous les volcans, les scientifiques se tournent de plus en plus vers les satellites, capables de déceler des anomalies thermiques ou de subtils
White Island
Mont Agung
mouvements de la roche, même dans les coins les plus reculés. « Les images sont plus accessibles, cela devient un standard », indique Julie Roberge. Infrarouge, ultraviolet ou lumière visible : chaque longueur d’onde informe sur différents facteurs, comme la hauteur d’un panache ou sa teneur en dioxyde de soufre.
C’est surtout le lancement de la série de satellites Sentinel de l’Agence spatiale européenne, dont les premiers ont été mis en orbite en 2014 et 2016, qui a révolutionné la télésurveillance en offrant un accès gratuit aux données. Ces satellites sont dotés de systèmes d’interférométrie radar (InSAR) qui « balaient » la topographie grâce à des microondes qui passent au travers des nuages. En comparant deux images prises à quelques jours d’intervalle, les spécialistes peuvent déceler un bombement du sol de quelques centimètres seulement.
De son côté, la NASA a testé en juillet 2018 un équipement InSAR pour mesurer les déformations du volcan hawaiien Kilauea juste après son éruption. L’appareil, fixé à un avion plutôt qu’à un satellite pour
Merapi le moment, a démontré sa précision, ce qui était le but de l’exercice. La NASA espère le miniaturiser et augmenter sa sensibilité pour pouvoir bientôt équiper une constellation de minisatellites entièrement vouée à la surveillance volcanique et sismique.
Autre option en vogue pour s’approcher des cratères sans se brûler : les drones. C’est ce qu’a utilisé récemment Edgar Zorn, volcanologue au Centre allemand de recherche en géosciences de Potsdam, pour survoler le Santa Maria, au Guatemala. Ce volcan actif depuis 1922 forme des dômes de lave trop visqueux pour s’écouler. Ils peuvent cependant s’effondrer brutalement ou même être éjectés comme le bouchon d’une bouteille de soda secouée.
« À l’aide d’un drone équipé de caméras thermique et optique, nous avons pu déterminer pour la première fois la viscosité de la lave, ce qui est crucial pour évaluer le degré d’activité du volcan et le risque d’éruption », explique le chercheur, qui a publié ses résultats en mai dernier dans Scientific Reports. L’équipe a créé des modèles 3D de la topographie et de la température du volcan avec une résolution inédite de quelques centimètres.
Santa Maria
Le hic, c’est que, en multipliant les angles d’observation, les chercheurs se retrouvent submergés par les données. Comme dans tous les domaines scientifiques, l’intelligence artificielle devient donc une alliée indispensable. « Les ordinateurs peuvent apprendre à détecter les comportements anormaux des volcans en se basant sur les évènements passés. Ces nouvelles techniques ont un potentiel énorme pour prédire les éruptions, mais elles demandent beaucoup de données et une grande puissance de calcul », souligne Edgar Zorn.
En 2018, une équipe de l’Université de Bristol a ainsi recouru à des algorithmes d’apprentissage profond pour passer au crible 30 000 images de 900 volcans captées par un satellite Sentinel. Une fois « entraîné », le système a décelé une centaine d’images suspectes. Finalement, 39 d’entre elles révélaient des distorsions réelles du sol. De quoi réduire considérablement le temps d’analyse et mettre en place des systèmes d’alerte automatiques.
« Nous avons bon espoir que ces techniques permettront à terme d’améliorer
la surveillance », affirme Thomas Walter, précisant qu’il faut encore peaufiner les modèles. Ce collègue d’Edgar Zorn s’est intéressé au volcan indonésien Anak Krakatoa, qui a fait des siennes en décembre 2018. L’un de ses flancs s’était alors effondré, engendrant un tsunami responsable de la mort de 430 personnes.
Y avait-il eu des signes précurseurs ? Pour le savoir, Thomas Walter s’est plongé dans les données disponibles avant la catastrophe : images de satellites et de drones, données sismiques de terrain, mesures des températures, analyses des gaz et enregistrements des infrasons, ces ondes sonores imperceptibles pour l’oreille humaine qui s’intensifient quelques minutes avant une éruption. Son équipe a pu reconstituer toute la séquence des évènements depuis la lente dérive du terrain et la hausse des températures enregistrées des mois plus tôt jusqu’aux ondes sismiques survenues deux minutes avant le drame.
Pris séparément, les signaux n’étaient pas flagrants ; mais combinés, ils montraient l’imminence de l’effondrement, ont conclu les chercheurs dans leur étude publiée dans Nature Communications fin 2019. « C’est trop facile de dire rétrospectivement qu’on aurait pu prédire ce glissement de terrain. Mais les flancs d’autres volcans, comme le Kilauea, l’Etna, le Vésuve, présentent de tels glissements très graduels et le défi est de déterminer le moment où une pente mouvante va s’effondrer. Les géosciences permettent tout juste de comprendre les processus », explique Thomas Walter.
Il signale le fait que les glissements de terrain provoqués par les édifices volcaniques ont été plus meurtriers, à travers l’histoire, que les éruptions elles-mêmes. « Les deux sont liés, et les interactions sont complexes, faisant intervenir des facteurs extérieurs comme de fortes pluies ou des séismes qui se produisent à distance. »
VOLCANOLOGIE
Au moins, nous sommes tranquilles au Canada, pensez-vous. « Ce n’est pas tout à fait le cas », rétorque le volcanologue Glyn Williams-Jones. S’il a parcouru le monde pour étudier les volcans, c’est en
Répartis dans 86 pays et territoires, les volcans actifs se trouvent en général à la jonction de plaques tectoniques, où remonte de la roche en fusion, ou au-dessus de points chauds. Ainsi, 75 % des volcans se situent le long de la ceinture de feu du Pacifique, qui borde l’océan du même nom. « N’importe quel volcan se forme par la production et le stockage de magma sous la surface, qui entre en surpression dans un réservoir et est éjecté avec des styles éruptifs variés », explique Thomas Knott, professeur à l’Université de Leicester.
Si la lave est très fluide, elle forme de longues coulées, comme à Hawaii. À l’inverse, lorsque la roche en fusion est riche en silice, elle est plus visqueuse. Le gaz a alors du mal à s’en échapper et la pression augmente, donnant lieu à des explosions de cendres, de gaz et de roches appelées « coulées pyroclastiques » ou « nuées ardentes », très meurtrières. Les conséquences de ces différentes manifestations sont tout aussi multiples. Les panaches de cendres peuvent ainsi paralyser le trafic aérien, comme l’a fait celui de l’Eyjafjöll, en Islande, en 2010. Les glissements de terrain, les tsunamis et les lahars, ces coulées de boue qui peuvent entre autres se former par la fonte brutale de la neige ou par la vidange d’un lac de cratère, peuvent quant à eux dévaster les alentours d’un volcan.
Colombie-Britannique que ce Québécois vit désormais, là où se trouvent les cinq volcans actifs du pays. Depuis 15 ans, il réclame que soit assurée une surveillance de ces montagnes de la chaîne Garibaldi sur la côte Ouest. « Il n’y a aucune surveillance en place. Rien ! Certes, les satellites sont très puissants, mais ils ne fournissent des données que tous les 6 à 12 jours. Ce n’est pas suffisant si l’on doit lancer une alerte, notamment pour les glissements de terrain. »
Dans son collimateur ? Le mont Meager, situé à moins de 200 km au nord-ouest de Vancouver. En 2010, ce volcan endormi a causé le plus grand glissement de terrain de l’histoire du Canada, provoqué par le déclin de son glacier. « Sur le flanc nord-ouest, on voit actuellement un volume instable 10 fois plus important que ce qui a lâché en 2010 », s’inquiète le chercheur, qui est codirecteur du Centre de recherche sur les risques naturels à l’Université Simon Fraser.
En outre, le mont Meager n’est pas si calme. « Des gaz volcaniques s’en échappent et ont creusé des cavernes dans le glacier. Il y a 2 400 ans, ce qui est peu, ce volcan a craché une colonne de cendres de 15 à 20 km dans le ciel ; on en a retrouvé en Alberta, à 530 km à l’est », raconte-t-il.
Lassé par l’indifférence des autorités, Glyn Williams-Jones a décidé de prendre les choses en main grâce à la science participative. « Ce qui est nouveau, en volcanologie, ce sont les technologies à faible coût, qui nous donnent d’énormes capacités », dit-il. Mis au point par des bricoleurs, chercheurs ou non, ces appareils sont à l’origine d’un « changement de paradigme » en géologie.
Les sismomètres Raspberry Shake, par exemple, issus d’un projet de financement Kickstarter, coûtent moins de 500 $ et sont particulièrement populaires. « Ce n’est pas du haut de gamme, mais cela permet d’installer 50 détecteurs plutôt qu’un seul de très haute qualité », affirme le chercheur, qui a commencé cet été à en disposer sur le mont Meager. Il veut petit à petit diversifier les instruments. « Un collègue en Écosse construit des gravimètres avec des composants qu’on trouve dans les cellulaires. Cela permet de mesurer d’infimes changements dans la gravité qui peuvent traduire la présence du magma dense », illustre-t-il.
APPRENDRE DE L’HISTOIRE
On l’aura compris : il n’y a pas de règle qui tienne en volcanologie, et le temps géologique, qui rythme le cycle de vie des volcans, s’arrime difficilement à celui des humains. Il n’empêche que la connaissance de l’histoire éruptive d’un volcan, à l’échelle des millénaires, est cruciale pour mieux gérer le risque, souligne Glyn Williams-Jones.
Julie Roberge, elle aussi, tente de décrypter le passé du Popocatepetl en lisant dans les cendres. « Je m’intéresse aux inclusions magmatiques, ces petites boules de magma de 50 à 200 microns qui sont piégées dans les cristaux quand ceux-ci grossissent dans la chambre magmatique. Ces inclusions sont des sortes de photographies du magma avant l’éruption. Les minéraux qui s’y trouvent me renseignent sur sa composition, la quantité de vapeur d’eau, de CO , de soufre, de chlore, de fluor », précise-t-elle.
Son « Popo », comme elle l’appelle, est en éruption continue depuis 1994. Jusqu’ici, il s’est contenté de projeter des panaches de cendres sans causer trop de dégâts. « Il dégaze mais n’explose pas. Il y a toutefois des dépôts anciens qui témoignent d’éruptions pliniennes il y a 1 100 ans : ce sont des éruptions géantes dont la colonne de cendres atteint 20 km de hauteur. Je compare donc les inclusions magmatiques actuelles avec celles des anciennes éruptions pour voir si le Popo pourrait changer d’activité et refaire une explosion de ce type », dit-elle. Jusqu’à présent, ses résultats sont plutôt rassurants, d’autant que le Popocatepetl ne semble pas avoir de gros réservoir magmatique.
Les conclusions de Thomas Knott, publiées en juin dans Geology, sont également de nature à rassurer. Et tant mieux parce qu’elles concernent le Yellowstone, aux États-Unis, qui fait partie de la dizaine de supervolcans actifs sur la planète. Ces derniers sont responsables d’explosions très peu fréquentes mais colossales, dont certaines ont provoqué des périodes glaciaires en obscurcissant le ciel de la planète.
Si le Yellowstone est plutôt calme depuis sa dernière éruption il y a 620 000 ans, il continue d’être alimenté par un « point chaud », un panache localisé de roche fondue qui remonte du manteau. L’équipe de Thomas Knott, géochimiste à l’Université de Leicester, vient de montrer de quoi ce volcan était capable. « Nous avons étudié les traces d’éruptions sur le territoire actuel de l’Idaho, sous lequel se situait le point chaud il y a de 8 à 12 millions d’années. En comparant les empreintes magnétique, chimique et isotopique d’une cinquantaine de sites, nous avons découvert les deux éruptions les plus colossales du Yellowstone », explique-t-il.
Survenues respectivement il y a 8,99 et 8,72 millions d’années, ces éruptions équivalentes à des milliers de fois celle du mont Saint Helens ont stérilisé des territoires immenses. La bonne nouvelle ? « Ces données, quand on les compare avec les éruptions suivantes, plus récentes, semblent indiquer que le point chaud a baissé en température, en taille et en fréquence d’activité. Si cette tendance se maintient, le Yellowstone pourrait être en déclin. Cependant, ajoute-t-il, la beauté de la nature réside dans son imprévisibilité. » Quoi de mieux que les volcans pour nous le rappeler ? www.quebecscience.qc.ca/sciences/ naissance-volcan-mayotte/
Tambora
Yellowstone