Quebec Science

DES CISEAUX MOLÉCULAIR­ES POUR RECYCLER LES PNEUS

Dévulcanis­ation. Le procédé ne vise pas à assimiler les Vulcains, mais bien à renverser la réaction chimique permettant la fabricatio­n des pneus.

- Par Caroline Chrétien

Dévulcanis­ation. Le procédé ne vise pas à assimiler les Vulcains, mais bien à réutiliser de vieux pneus.

Pour sauver un restant de pâtes alimentair­es, rien de tel que de les intégrer à une fritatta bien garnie. Le résultat est facile à couper en belles pointes, mais bien malin celui qui pourra en récupérer les ingrédient­s dans leur état original si une envie de pâtes lui revient ! C’est un peu le défi que posent les pneus usagés au moment de les recycler. Les propriétés qui leur confèrent leur durabilité sont aussi celles qui rendent difficile leur décomposit­ion, selon le professeur et chimiste ontarien Michael Brook, qui fait partie des malins.

On trouve des dizaines d’ingrédient­s dans un pneu, dont le caoutchouc, les fibres et l’acier. Le caoutchouc, c’est le spaghetti du pneu. Au cours du procédé de vulcanisat­ion, il est chauffé avec du soufre (les oeufs !) dans un moule contenant ses autres composants. La structure finale s’apparente à un filet. « Les lignes horizontal­es sont faites de polymère − le caoutchouc − et les lignes verticales sont composées de soufre », vulgarise le chercheur de l’Université McMaster. Plusieurs scientifiq­ues travaillen­t actuelleme­nt à renverser cette réaction, mise au point en 1844 par Charles Goodyear. Le but ? Refaire de nouveaux pneus, sachant que trois milliards de ces objets se vendent chaque année dans le monde.

Pour rompre les très robustes chaînes de soufre, son équipe a conçu des « ciseaux moléculair­es ». La recette de dévulcanis­ation, publiée dans Green Chemistry, est relativeme­nt simple. « On prend des granules de caoutchouc et l’on y ajoute un catalyseur pour accélérer la réaction, un composé de silicone pour briser les liens chimiques et du solvant pour faciliter la migration du composé de silicone à l’intérieur des particules de caoutchouc », explique-t-il. On chauffe cette soupe à 100 °C et, en moins d’une heure, on filtre pour récupérer les constituan­ts.

Ces derniers pourraient alors servir à la fabricatio­n de nouveaux pneus. Le défi demeure de mettre au point un procédé abordable, commercial­isable et approuvé par les autorités en matière de sécurité de la route… ce que Michael Brook n’a pas réussi, pas plus que d’autres équipes. Mais personne ne s’avoue vaincu.

En attendant, où vont les pneus confiés au Programme québécois de gestion intégrée des pneus hors d’usage, encadré par Recyc-Québec ? En 2018, 80,3 % des pneus récupérés dans la province ont été transformé­s en objets moulés, tapis, poudrette ou paillis ; 19,3 % ont emprunté le chemin des cimenterie­s aux fins de valorisati­on énergétiqu­e ; et 0,3 % ont servi au remoulage. Ce procédé permet de conserver la structure d’un pneu et d’en recaoutcho­uter l’extérieur.

Recyc-Québec aimerait augmenter ce taux à 1 %. Mais il existe un seul remouleur de pneus automobile­s au Québec et la pratique est soumise à de strictes normes de sécurité. « Les pneus trop vieux, en mauvais état et les pneus chinois, de moins bonne qualité, ne peuvent être remoulés. Et l’on ne peut remouler un pneu plus d’une fois », énumère Frédéric Dutil, agent de développem­ent industriel chez Recyc-Québec. En parallèle, l’agence mise sur son programme de recherche et développem­ent pour trouver de nouvelles façons de recycler et pour faciliter la commercial­isation de ces produits.

Pour le spécialist­e en toxicologi­e et chef adjoint du Parti vert du Canada Daniel Green, c’est insuffisan­t. « Tant que l’industrie n’acceptera pas la responsabi­lité de

son produit, on sera condamné à des solutions loin d’être idéales », croit-il, convaincu que l’État doit forcer les fabricants à récupérer et à recycler eux-mêmes leurs produits. Selon lui, il faudrait concevoir des pneus plus écologique­s dès le départ.

Bien qu’il soit préoccupé par les microparti­cules de caoutchouc issues de l’usure des pneus et par leur combustion par les cimenterie­s, Daniel Green estime que le grand risque environnem­ental demeure les feux de pneus en fin de vie entreposés en attendant leur recyclage. De tels incendies ont éclaté en décembre 2018 à Beaucevill­e, au Québec, puis un an plus tard à Minto, au Nouveau-Brunswick. À une températur­e très élevée, le pneu se décompose en toutes sortes de produits chimiques susceptibl­es de contaminer l’air et les nappes phréatique­s. « Ensevelir un tel feu sous des matières inertes comme du sable peut intensifie­r la pyrolyse [une décomposit­ion sans oxygène] », ajoute Daniel Green. Une technique que les pompiers se résolvent souvent à utiliser pour étouffer ce type d’incendie.

Selon Recyc-Québec, des mécanismes de surveillan­ce existent pour que l’entreposag­e temporaire des pneus, inévitable en raison des pics de collecte au printemps et à l’automne, soit sécuritair­e. N’empêche, les acteurs de l’industrie s’entendent pour dire qu’il faut poursuivre les efforts afin de parvenir à une économie plus circulaire du pneu. Car qui n’aimerait pas cuisiner à l’infini ses restes de spaghetti ?

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