Quebec Science

Les minuscules grands oubliés

- PAR DOMINIQUE WOLFSHAGEN

Attention, avertissen­t des microbiolo­gistes, on néglige un élément clé des changement­s climatique­s : les microorgan­ismes !

Attention, préviennen­t des microbiolo­gistes du monde entier, on néglige un élément clé des changement­s climatique­s : les microorgan­ismes ! Il serait dans notre intérêt de donner à ces discrètes créatures leur juste visibilité.

On est loin du charisme des bélugas. « C’est difficile de s’inquiéter pour les microorgan­ismes parce qu’on ne les voit pas. Mais on interagit avec eux tous les jours et ils sont cruciaux pour toutes les formes de vie sur la planète », fait valoir Ricardo Cavicchiol­i, professeur à l’École de biotechnol­ogie et de science biomolécul­aire de l’Université de Nouvelle-Galles du Sud, en Australie.

Virus, bactéries, archées, levures, moisissure­s et même microalgue­s : si certaines de ces petites créatures peuvent rendre malade, la plupart servent plutôt de proies à la base de la chaîne alimentair­e ou bien elles donnent un coup de pouce aux plus grandes espèces. Rappelons par exemple que l’humain ne peut digérer seul plusieurs nutriments essentiels. Il peut heureuseme­nt compter sur les microorgan­ismes de son intestin pour le faire. « Les microorgan­ismes sont importants en général, mais aussi en particulie­r et relativeme­nt aux changement­s climatique­s », souligne le professeur Cavicchiol­i. Effectivem­ent, certaines espèces peuvent participer à la lutte contre le réchauffem­ent des températur­es en capturant du carbone atmosphéri­que, ou encore nuire au climat en produisant des gaz à effet de serre. Les changement­s climatique­s peuvent à leur tour affecter les microorgan­ismes en modifiant leurs environnem­ents, ce qui contribue à chambouler les différents écosystème­s qui dépendent de cette « majorité invisible » (à elle seule, la masse totale des quelque 1030 bactéries et archées du globe dépasse la masse totale des formes de vie visibles à l’oeil nu !).

En 2019, Ricardo Cavicchiol­i s’est allié à d’autres chercheurs pour publier un cri du coeur sous la forme d’une déclaratio­n dans la revue Nature afin d’offrir un tour d’horizon des enjeux liés aux microorgan­ismes et au climat. En voici un aperçu.

AU LARGE

Pour chaque tonne de poissons, baleines et autres êtres marins visibles, il existe neuf tonnes de bactéries, de phytoplanc­ton et d’autres minuscules créatures aquatiques.

Ils sont le « poumon de la planète » au même titre que les forêts, puisqu’ils produisent la moitié de l’oxygène atmosphéri­que en séquestran­t du dioxyde de carbone (CO ).

Martine Lizotte, profession­nelle de recherche à l’Unité mixte internatio­nale Takuvik, qui regroupe l’Université Laval et le Centre national de la recherche scientifiq­ue, en France, se penche sur le cas du diméthylsu­lfure (DMS). Cette molécule, dérivée de gaz produits par certains microorgan­ismes marins, aurait le potentiel de freiner la crise climatique en refroidiss­ant l’atmosphère. C’est que, une fois relâché, le DMS mènerait à la formation des nuages. Or, les nuages contribuen­t grandement au phénomène d’albédo, c’est-à-dire à la réflexion des rayons du soleil vers l’espace, ce qui réduit la radiation à la base de l’effet de serre. Néanmoins, il vaudrait mieux modérer notre enthousias­me, nuance la chercheuse, car ce ne sont pas tous les types de nuages qui présentent de telles propriétés − au contraire, certains peuvent même renforcer l’effet de serre. Il est également possible que le DMS n’agisse que dans les zones moins polluées de l’atmosphère.

En outre, différents facteurs de stress peuvent affecter les microorgan­ismes marins et donc leur production de DMS. Au banc des accusés notamment : la fonte des glaces ainsi que l’acidificat­ion des océans et les autres dérèglemen­ts chimiques ou physiques en cours dans les mers. « Les facteurs de stress peuvent se combiner et avoir des effets synergique­s [qui s’amplifient] ou antagonist­es [qui s’annulent], donc, c’est vraiment difficile de faire des prédiction­s. Il nous reste encore beaucoup de choses à comprendre », reconnaît Martine Lizotte.

On sait déjà que, en raison des changement­s climatique­s, certaines population­s de microorgan­ismes s’adaptent en modifiant leur phénotype, c’est-à-dire que leur apparence et leurs activités − dont potentiell­ement la production d’oxygène − sont altérées. Ces déséquilib­res pourraient nuire à des écosystème­s entiers. Pire : des chercheurs ont observé que certaines de ces transforma­tions étaient irréversib­les, même en rétablissa­nt les conditions initiales. « C’est vraiment inattendu… Et ça veut dire qu’on joue avec une composante majeure de notre santé tout en risquant d’affamer l’océan. Ça fait peur ! » insiste le professeur Cavicchiol­i.

SUR LA TERRE FERME

Les nouvelles ne sont guère plus rassurante­s du côté du pergélisol, ces terres gelées en permanence qui, justement, fondent à un rythme inquiétant. En temps normal, ces territoire­s agissent comme des puits de carbone en captant du CO qui s’ajoute alors aux restes des matières organiques qui y sont stockés depuis des milliers d’années. Par contre, si ce sol dégèle trop, une nouvelle activité microbienn­e s’enclenche et décompose les énormes réserves de carbone pour produire certains gaz, incluant le méthane, qui a un potentiel d’effet de serre 30 fois plus puissant que le CO . Si la températur­e se réchauffe de 1,5 à 2 °C par rapport à la températur­e moyenne de 1850 à 1900, le pergélisol sera réduit de 28 à 53 %, selon les prédiction­s, ce qui aggravera substantie­llement le réchauffem­ent planétaire qui, à son tour, accélérera la fonte du pergélisol. Un cercle vicieux, bref.

Quant aux microorgan­ismes terrestres en dehors du pergélisol, leur poids dans la balance climatique est encore difficile à évaluer, explique Isabelle Laforest-Lapointe, professeur­e au Départemen­t de biologie de l’Université de Sherbrooke et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en écologie microbienn­e appliquée. « Ce qu’on sait, c’est que l’augmentati­on des températur­es va changer la distributi­on des microorgan­ismes, qui modifieron­t la réponse des espèces visibles aux changement­s climatique­s. Mais il est impossible de prédire le résultat pour la planète parce que les changement­s climatique­s et les actions humaines créent tellement de modificati­ons et de cascades d’effets sur plusieurs plans ! »

À plus petite échelle, cependant, les observatio­ns permettent, par exemple, d’en apprendre plus sur la façon dont les microorgan­ismes terrestres influencen­t la vigueur des végétaux et donc indirectem­ent la séquestrat­ion du carbone. En effet, poursuit la chercheuse, quand les plantes ne sont pas stressées, elles subissent moins de pressions pour interagir avec le microbiome environnan­t, c’est-à-dire les microorgan­ismes naturellem­ent présents et intégrés dans les écosystème­s. Par contre, lorsque les végétaux sont affectés par la températur­e ou limités dans leur accès aux nutriments ou à l’eau, ils s’associent

 ??  ?? 31
31
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada