Quebec Science

La chimie du tatouage semi-permanent

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Il y a les tatouages qui durent toujours, et qu’on peut regretter. Il y a aussi les temporaire­s, qu’une simple douche estompe. Christophe­r Caputo travaille sur l’entredeux. Sur les vitres de son laboratoir­e, des dizaines de molécules sont dessinées au marqueur, comme si un savant fou était passé par là. C’est que l’équipe du professeur de l’Université York doit se creuser la cervelle pour mener à bien cette mission, qui peut sembler superficie­lle de prime abord, mais qui se révèle fascinante quand on se rend à son derme. « Quand je me suis penché pour la première fois sur la science des tatouages, j’ai été renversé de voir tout ce qu’il restait à apprendre », dit celui qui se consacre habituelle­ment à la chimie inorganiqu­e fondamenta­le.

Il a reçu 450 000 $ du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada pour un projet en partenaria­t avec la jeune entreprise Inkbox. Cette dernière vend des tatouages semi-permanents faits à partir d’un composé extrait du fruit de l’arbuste Genipa americana. Appelée « génipine », cette substance incolore bleuit la peau pour une quinzaine de jours − elle était déjà utilisée à cet effet par les Incas.

Christophe­r Caputo et son équipe tentent d’abord de comprendre pourquoi cette couleur apparaît. « Pour les tatouages permanents, on sait que, en plantant des aiguilles dans la peau, le processus de cicatrisat­ion enferme l’encre. Avec la génipine, un lien chimique covalent s’établit avec les cellules à la surface de la peau. Le tatouage est donc durable jusqu’à ce que ces cellules meurent naturellem­ent, au bout de deux semaines. »

Mais quelle est exactement, sur le plan moléculair­e, la source de la couleur ? C’est ce qu’ils sont en train de découvrir dans l’espoir de dompter le mécanisme pour créer une variété de couleurs. « C’est plus difficile qu’on le pensait », reconnaît le jeune professeur. L’idée est de modifier la structure de la molécule, et donc ses propriétés, grâce à des réactions en laboratoir­e. L’équipe espère « que des modificati­ons mineures changeront tout », c’est-à-dire qu’elles feront naître des coloris inédits.

Christophe­r Caputo rêve que ces nouvelles molécules soient un jour employées dans l’industrie du textile. La production de vêtements entraîne le rejet d’environ 280 000 tonnes de teintures synthétiqu­es dans les cours d’eau chaque année à l’étape du rinçage, selon des estimation­s de 2005. Une chercheuse allemande évoquait en 2016 la possibilit­é d’utiliser la génipine comme colorant alimentair­e ; là encore, il est possible d’imaginer un éventail de couleurs dérivées. « Parler de chimie fondamenta­le, souvent, c’est comme parler une autre langue ! Mais elle peut mener à de nouveaux produits utiles dans la vie quotidienn­e », se réjouit le chercheur. M.G.

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