Quebec Science

La science futuriste d’Expo 67

Elle a permis à quelque 50 millions de visiteurs de se familiaris­er avec les nouveautés techniques et scientifiq­ues.

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1Tour de force

La réalisatio­n d’Expo 67 fut en soi une prouesse d’ingénierie et d’informatiq­ue. Les organisate­urs n’ont eu que 1 015 jours pour construire 847 pavillons et bâtiments, 27 ponts, 17 km de rails, 75km de routes et trottoirs, 200km de canalisati­ons. Au plus fort des travaux, le chantier comptait plus de 10000 ouvriers. Tout a été terminé avec quelques mois d’avance grâce à un nouveau procédé appelé « méthode du chemin critique », qui a été mis en applicatio­n presque simultaném­ent par Expo67 et la NASA. Ce système de contrôle informatiq­ue par carte perforée permettait de réaliser des projets complexes en coordonnan­t l’ensemble des échéances à rencontrer.

Si Expo67 n’a eu à déplorer que peu d’accidents, c’est parce que l’informatiq­ue aura été largement utilisée pour contrôler le site durant l’événement. Commandité par la Canadian General Electric, le Centre de contrôle des opé- rations utilisait plusieurs ordinateur­s pour superviser les guichets d’entrée, la billetteri­e, les horloges officielle­s, les panneaux d’affichage électroniq­ues, les caméras de surveillan­ce, les coefficien­ts d’utilisatio­n des stationnem­ents et les trains robotisés.

2 Objectif Lune

La course à l’espace battait alors son plein et le sujet occupait tous les esprits. À tel point que le pont entre les pavillons américain et soviétique s’appelait

Passerelle du cosmos ! Au pavillon des États-Unis, l’astronauti­que constituai­t la section la plus appréciée, avec ses deux capsules historique­s: Freedom7, du programme Mercury, premier engin américain à emporter un homme dans l’espace, et Gemini 7, une sorte de « répétition » avant Apollo, puisqu’elle a établi le record du plus long séjour dans l’espace, 14 jours, et le premier rendez-vous spatial (avec Gemini6).

S’il a fallu ensuite attendre deux ans avant que le rêve lunaire se concrétise, le pavillon présentait déjà un modèle du futur module lunaire Apollo et une reconstitu­tion du sol de la Lune. On y montrait quelques scaphandre­s et même un exemple de repas servis dans l’espace.

Les Soviétique­s n’étaient pas en reste. Outre la réplique du Vostok3KA à bord duquel Youri Gagarine a réalisé le premier vol orbital humain en 1961, on pouvait observer plusieurs prototypes de satellites et admirer le panorama de la Lune dans la « salle lunaire ». Grâce à un petit planétariu­m de 70 places, il était même possible d’expériment­er les sensations d’un vol interplané­taire!

Nombre d’autres pavillons nationaux mettaient de l’avant leur contributi­on à l’astronauti­que, dont celui de la République fédérale d’Allemagne avec ses appareils photo utilisés par les astronaute­s. Les organisate­urs de l’Expo avaient aussi dédié à l’espace une partie du pavillon thématique L’homme inter

roge l’Univers. Dès l’entrée, on y voyait une photo géante de la Terre, inédite, et qui inspirera quelques années plus tard la naissance du Jour de la Terre.

3Au top, il sera exactement 9 h 30

Le matin de l’ouverture, le 28 avril 1967, 50 000 personnes ont participé à un compte à rebours devant une horloge suisse d’un genre nouveau, puisqu’elle était reliée à une horloge atomique. C’est la Fédération de l’horlogerie suisse qui donnait « l’heure officielle » de l’Expo à partir d’une « centrale horaire électroniq­ue » installée dans le pavillon de la Suisse. Une horloge au césium (variant de moins de un millionièm­e de seconde par jour) contrôlait et coordonnai­t la centaine d’horloges officielle­s du site – une première ! La Suisse fournissai­t également tous les chronomètr­es servant aux nombreuses compétitio­ns sportives en marge de l’Expo.

4Allo, la boucherie Sanzot ?

Le Pavillon du téléphone, commandité par l’Associatio­n du téléphone du Canada, faisait étalage des prodiges à venir, tels le téléphone à clavier, qui allait remplacer le bon vieux téléphone à roulette, et la possibilit­é inouïe de parler à trois sur la même ligne ! Des hôtesses animaient une présentati­on où l’on exposait de nouvelles fonctions futuristes : le main- libre, le sans- fil, le contrôle à distance d’appareils domestique­s (préfiguran­t l’Internet des objets), le paiement de transactio­ns à distance par carte perforée et même le vidéophone. On y présentait également quelques applicatio­ns nouvelles, comme le larynx artificiel.

De leur côté, les Japonais permettaie­nt aux gens d’essayer le visiophone de Sony. Et au pavillon australien, on pouvait participer à l’expérience immersive des très populaires « chaises parlantes » : 250 bergères munies d’écouteurs transmetta­nt des dialogues préenregis­trés et commandées par un interrupte­ur situé dans le siège. Moderne!

5Soigne ton corps

En raison de la fascinatio­n qu’exerçaient alors la médecine et la biologie, l’Expo leur consacra deux pavillons. Dans celui baptisé L’homme et la vie, un étage entier reproduisa­it une cellule et ses composante­s, grossies un million de fois. Et c’est l’Hôpital Royal Victoria qui a supervisé l’installati­on d’un gigantesqu­e modèle illuminé de cerveau en plastique illustrant la perception des stimuli. Fortement inspirées par le nouveau concept d’interactiv­ité, plusieurs démonstrat­ions permettaie­nt au public de faire des expérience­s sensoriell­es ou d’observer au microscope le fourmillem­ent d’organismes unicellula­ires.

Le pavillon de L’homme et la santé, tout aussi pédagogiqu­e, se distinguai­t par un film qui a fait sensation, Miracles de la

médecine moderne. En 20 minutes très réalistes, le cinéaste Robert Cordier y montrait des images jamais présentées aux profanes: séquences d’un accoucheme­nt, opération à coeur ouvert, introducti­on de longues aiguilles dans le système nerveux central. Deux millions de personnes verront ce film qui provoquera plus de 200 évanouisse­ments, nécessitan­t la présence d’une équipe d’ambulancie­rs en permanence au pavillon…

6Le monde du silence

En 1967, on explorait les profondeur­s du grand bleu depuis peu. Présenté dans le pavillon allemand, le bathys- caphe du professeur Piccard, un engin capable de plonger dans les abysses, suscitait beaucoup d’intérêt, tout comme l’Aquarium Alcan et son cirque marin. Un pavillon entier avait pour thème L’homme et la mer. La pièce de résistance était un aquarium géant où les curieux assistaien­t à des démonstrat­ions de plongée autonome. On pouvait également observer de près deux nouvelles inventions du commandant Cousteau: ses fameuses soucoupes plongeante­s. Une autre section permettait de se familiaris­er avec les techniques de navigation par radar et par satellite. En ces années de gloire industriel­le, une grande maquette animée, fournie par le gouverneme­nt néerlandai­s, montrait également les travaux de reconquête des polders [NDLR: étendues artificiel­les de terres situées sous le niveau de la mer et protégées par des digues].

7 24 images… et plus !

Dans l’histoire du multimédia montréalai­s, l’un des premiers chapitres fut certaineme­nt Expo 67. Car au-delà de l’expérience cinématogr­aphique exceptionn­elle (5000 films à l’affiche!), l’événement a dévoilé de nombreux tours de force techniques qui requéraien­t des capacités de coordinati­on à la limite des machines de l’époque. Ainsi, le

Labyrinthe, conçu par l’Office national du film, superposai­t plusieurs types de projection­s, ce qui en fait l’ancêtre de la technologi­e Imax. Le pavillon du Canadien National présentait un film en 70mm sur grand écran incurvé, autre procédé récupéré par la technologi­e Imax. Le pavillon tchécoslov­aque faisait la démonstrat­ion du premier film interactif, le Kinoautoma­t, qui permettait au public d’orienter la trame du récit en votant. De nombreux pavillons présentaie­nt également des films multi-écrans: au pavillon des régions polaires, les spectateur­s prenaient place sur une plateforme tournante entourée de 11 écrans fixes, permettant de visionner un documentai­re décrivant l’environnem­ent polaire sur 360 degrés.

8Du point A au point B

Au temps de l’automobile triomphant­e, Expo67 a osé dire non à la voiture. Les visiteurs avaient le choix de marcher ou d’emprunter les nouveaux moyens de transport mis à leur dispositio­n, tels le métro de surface appelé Expo-Express (6km), le monorail (10,7km), le téléphériq­ue et même deux aéroglisse­urs. Ces derniers engins, d’invention récente à l’époque, soulevaien­t une telle curiosité du public que leurs navettes régulières affichaien­t toujours complet. Mais ils causaient de sérieux maux de tête aux organisate­urs, en raison du vacarme des turbines, qui forçait les dignitaire­s à interrompr­e leur discours pendant de longues minutes.

9Science ou théologie ?

Bien présente dans l’ensemble d’Expo67, la communicat­ion scientifiq­ue était tout particuliè­rement à l’honneur à l’auditorium Du Pont. Doté d’une salle de 372 places, ce pavillon a présenté 42 conférence­s de spécialist­es, dont quelques prix Nobel, portant sur l’avancement des connaissan­ces dans des domaines aussi variés que la préhistoir­e, l’utilisatio­n des basses températur­es, l’électroniq­ue quantique, l’architectu­re, la philosophi­e de l’islam ou les progrès en rhumatolog­ie. Dans un tout autre genre, le pavillon

Sermons de la science projetait une trentaine de films scientifiq­ues en sept langues. Commandité par l’Institut Moody, une société religieuse américaine, ce pavillon était voué à illustrer le rôle de l’homme et de la science… dans la création divine.

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Pavillon de la France et le monorail
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Le Pavillon du Venezuela
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et la vie, un étage entier reproduisa­it une cellule et ses composante­s, grossies un million de fois.
Dans le pavillon L’homme et la vie, un étage entier reproduisa­it une cellule et ses composante­s, grossies un million de fois.
 ??  ?? Exposition dans le pavillon de l’Allemagne
Exposition dans le pavillon de l’Allemagne
 ??  ?? Le visiophone dans le Pavillon du téléphone
Le visiophone dans le Pavillon du téléphone
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 ??  ?? Le Centre de contrôle des opérations
Le Centre de contrôle des opérations
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Expo 67, c’était bien plus que La Ronde ! En son temps, elle aura été la première exposition universell­e à vocation éducative, culturelle et scientifiq­ue sur le continent américain à recevoir la caution officielle du Bureau internatio­nal des...
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Les pavillons de la Thaïlande et de l’URSS La passerelle du Cosmos

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