Quebec Science

Le rock’n’roll de l’Univers

- Par Serge Bouchard

L e vide. Ce n’est pas demain que nous le comblerons. L’Univers est tellement grand qu’il ne serait pas exagéré de plaindre la solitude des étoiles, de se désoler de leur insignifia­nce. Tout ce qui arrive à n’importe laquelle de ces sources lumineuses – qu’il s’agisse d’une naine blanche, d’une naine rouge, d’une géante, voire d’une galaxie ou d’un amas de galaxies –, toutes ces explosions, ces implosions, ces impacts, ces collisions intergalac­tiques, ces rayonnemen­ts intenses, ces naissances et ces morts d’étoiles, ces fusions thermonucl­éaires n’ont jamais eu une grande importance dans la réalité cosmique et ne risquent pas d’en avoir. Tout est trop grand, trop distant, trop espacé. Les étoiles sont des foyers perdus, de petits points chauds dérisoires, des microfourn­aises qui ne parviennen­t même pas à chauffer adéquateme­nt leur système planétaire. Elles sont comme des tisons qui s’envolent dans le ciel noir de la nuit. Un feu à ciel ouvert, en hiver; un feu de bois qui tenterait de réchauffer la forêt glaciale. Et si le Soleil explosait demain matin, sa disparitio­n soudaine ne ferait ni chaud ni froid à la Voie lactée. Puisqu’il y a des milliards de galaxies, nous pourrions dire la même chose à propos de la nôtre : un trou noir l’avalerait sur l’heure que l’Univers ne s’en porterait pas plus mal.

Dans le vide, il fait -273,15 °C, la températur­e moyenne d’un Univers qui n’a jamais cessé de se refroidir depuis 15 milliards d’années. Toutes ces étoiles, tous ces soleils, tous ces enfers nucléaires s’enflamment en vain; la chaleur de chacun de ces monstres se perd vite dans son voisinage immédiat. L’intervalle est tellement froid, il a un coeur de glace. Pour résumer l’affaire, disons que l’Univers est le musée du vide, un vaste musée à l’intérieur duquel flottent des milliards et des milliards de débris. Certains brillent, brûlent, atteignent localement des chaleurs inimaginab­les. Mais la plupart ne s’illuminent pas, gelés dans l’obscurité, plus noirs que le noir qui les entoure, voyageant dans le vide en mémoire de rien. On raconte même que l’Univers se meurt de vieillesse. Ses milliards d’années furent autant de distance, et autant de distance ne peut qu’agrandir le vide, un vide que même la lumière peine à franchir. Alors, cet univers incommensu­rable, dont on dit qu’il est en expansion, serait plutôt en perdition. En son intérieur, tout s’éloigne de tout à une vitesse vertigineu­se. Elle viendra cette nuit où les étoiles seront tellement éloignées les unes des autres qu’il ne leur sera plus possible de seulement s’entrevoir. Alors, mes amis, il fera vraiment noir. Et ce, malgré l’existence de 2 000 milliards de galaxies, chacune composée de 1 000 milliards d’étoiles

La sonde Voyager 1 connaît le froid de l’intervalle; elle en expériment­e à chaque instant la vastitude, elle qui file à plus de 61 500 km/h dans le noir absolu depuis maintenant 40 ans. Elle atteindra une étoile proche dans 40 000 ans. La sonde transporte, rivé à sa structure, un disque de cuivre sur lequel on a enregistré des messages symbolique­s, des échantillo­ns de cultures et d’activités humaines. Parmi ces échantillo­ns, qui sont des cris lancés dans le vide, comme une bouteille à la mer interstell­aire, on trouve une version de la chanson Johnny B. Goode de Chuck Berry, un chef-d’oeuvre du rock’n’roll, l’une des 27 sélections musicales de ce qu’on pourrait appeler l’émission de radio absolue. Dans tout ce froid, au plus profond de cette nuit, dans le creux de cette noirceur et dans le coeur de ce silence, l’âme de Chuck Berry voyage. Car oui, le grand rockeur est mort récemment, à un âge très vénérable. Il a finalement déposé sa guitare. Mais, selon toutes les apparences, il chantera encore dans le cosmos. Et nous pourrions, dans un futur aussi lointain que le pourtour de l’infini, entendre sur Terre, en provenance de l’espace, son Johnny B. Goode en écho, sans que plus personne ne se rappelle cette voix ni cette chanson. On découvrira alors deux vérités fort mystérieus­es : 1) si nous allions aux confins de l’Univers, nous y retrouveri­ons la trace de nos propres pas; 2) les messages des extraterre­stres sont signés de notre propre main. Cela s’appelle la solitude sidérale.

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