Quebec Science

En finir avec « l’odyssée diagnostiq­ue »

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Pour plusieurs enfants, établir la séquence de leur ADN est la seule manière de mettre fin à une longue « odyssée diagnostiq­ue ».

« Je pense à un garçon qui avait perdu la capacité de marcher entre 1 et 2 ans. Il a vu trois neurologue­s dans trois hôpitaux et subi quatre résonnance­s magnétique­s, deux ponctions lombaires, une biopsie de peau, 10 000 $ de tests sur des gènes isolés, des tests biochimiqu­es… Et rien n’avait été découvert. On a fini par trouver la cause en analysant tout son génome », raconte Jacques L. Michaud, chef du service de génétique médicale au CHU Sainte-Justine et professeur à la faculté de médecine de l’Université de Montréal.

Il est aussi le directeur scientifiq­ue du Centre intégré de génomique clinique pédiatriqu­e du CHU Sainte-Justine et de Génome Québec. Ce centre développe, valide et offre des tests depuis 2013; c’est d’ailleurs le seul endroit au Québec où des séquenceur­s capables d’établir le code d’un génome entier sont utilisés dans un contexte clinique, c’est-à-dire dans la pratique médicale. Jusqu’à ce jour, seuls 500 patients, majoritair­ement des enfants, ont passé ce test dans le cadre de projets-pilotes.

Au moment de notre passage, un des deux séquenceur­s de nouvelle génération HiSeq (de la compagnie Illumina), qui ressemblen­t à un hybride de mini-frigo et d’imprimante surmonté d’un écran d’ordinateur, était justement en pleine action.

À l’intérieur, l’ADN d’un petit chez qui on soupçonne une maladie génétique rare. « On pense qu’environ 1 % à 2 % de la population a une maladie génétique rare et environ 80 % de ces maladies se présentent dans l’enfance ou l’adolescenc­e. Mais, dans la moitié des cas, on ne trouve pas le diagnostic », dit Jacques L. Michaud.

Pour quelque 300 enfants malades ayant participé à un des projets-pilotes au CHU Sainte-Justine, l’analyse de leurs gènes a été fort utile. Dans 31 % des cas, elle a permis de trouver la cause de leur état (précisons que l’équipe explore principale­ment des gènes déjà associés à des maladies monogéniqu­es).

Trouver un diagnostic ne signifie pas nécessaire­ment qu’un traitement existe, mais, au moins, il met fin au doute « très lourd et anxiogène » des parents.

Le docteur Michaud pense qu’on aurait intérêt à utiliser la technologi­e dès le départ chez les enfants malades pour lesquels on soupçonne une maladie génétique: « Le taux de diagnostic serait peutêtre de 50 % dans ce cas. »

Il participe d’ailleurs présenteme­nt à une étude pour évaluer le rapport coûts/bénéfices d’une telle idée. Elle semble prometteus­e, à en croire les données compilées jusqu’à présent. peuvent aussi ouvrir une boîte de Pandore, au gré des « découverte­s fortuites ». Ce terme réfère à une mutation repérée sans qu’elle ait de lien avec le but visé par le test. Robert C. Green y a été confronté dans le cadre de l’essai clinique en cours à Boston. « Nous recherchon­s uniquement des maladies qui apparaisse­nt dans l’enfance, mais on a repéré chez un bébé une mutation sur le gène BRCA2. On avait aussi des échantillo­ns des parents et on a découvert que la mère portait aussi cette mutation, sans le savoir. Notre protocole ne nous permettait pas de révéler cette informatio­n. On a dû retourner devant notre comité d’éthique pour obtenir la permission d’offrir la possibilit­é à ces parents de connaître l’informatio­n. Bien sûr, ils étaient à l’envers, mais tout de même contents de le savoir. »

Les parents, grands curieux, seraient même fous des données génomiques! C’est du moins ce qui ressort d’une petite étude qualitativ­e de Bartha Knoppers et de ses collègues. Ils ont analysé la réaction de 11 parents à l’idée qu’on leur communique des découverte­s fortuites à la suite d’un séquençage du génome de leur enfant. Le constat? Qu’il s’agisse d’une maladie incurable ou d’une mutation pouvant mener – ou non – au développem­ent d’un trouble de comporteme­nt ou d’apprentiss­age, ils préfèrent tout savoir. Quitte à vivre avec une anxiété inéluctabl­e. « Je vais pouvoir me préparer mentalemen­t, physiqueme­nt, financière­ment, de manière organisati­onnelle aussi », a justifié un participan­t. Certains parents ont toutefois convenu que de telles révélation­s pourraient « changer totalement la façon d’éduquer les enfants ».

Mais toute vérité est-elle bonne à dire ? Peut-elle porter préjudice aux enfants ? À tout le moins, une loi vient d’être votée à la Chambre des communes pour protéger les citoyens canadiens de la discrimina­tion génétique (voir l’encadré ci-contre). Au-delà de ces considérat­ions, en général, les spécialist­es estiment qu’il ne faut transmettr­e que des données qui ont une utilité dans le traitement des patients pour leur éviter des soucis face auxquels ils seront bien impuissant­s. « Ces balises répondent aux préoccupat­ions des experts plutôt qu’à celles de participan­ts, selon Bartha Knoppers. Les parents estiment qu’ils sont en droit de savoir et que c’est à eux de gérer toutes ces informatio­ns. »

Il n’empêche, tous les parents ne sont pas aussi curieux. Une étude canadienne publiée en 2014 dans le European

Journal of Human Genetics montre que les quelque 2000 participan­ts sondés seraient moins enclins à ce que leur rejeton participe à un programme national de dépistage néonatal s’il se faisait par séquençage du génome (80%) plutôt qu’à l’aide des techniques actuelles (94 %).

Dans un avenir pas si lointain, la même question taraudera les futurs parents : souhaitero­nt-ils connaître les secrets du

« Les parents estiment qu’ils sont en droit de savoir et que c’est à eux de gérer toutes ces informatio­ns. » – Bartha Knoppers

« Les jeux sont faits : le séquençage du génome personnel sera réalisé sur plusieurs individus, peu importe les arguments théoriques au sujet de sa valeur » – Bert Vogelstein

génome de leur bébé à naître ? Cela ne relève pas de la fiction : en 2012, deux équipes de scientifiq­ues sont parvenues à reconstrui­re les premiers génomes de foetus, notamment en séquençant l’ADN présent dans le sang de la mère (dont une petite fraction provient du foetus).

Et d’autres techniques émergent. « Des chercheurs ont découvert des cellules du foetus sur le col de l’utérus de la mère. Il y a peut-être moyen de les amplifier pour les analyser », illustre le docteur François Rousseau qui achève justement une étude de la validité du dépistage prénatal de certaines maladies génétiques dans le sang maternel plutôt que par amniocentè­se. « Mais ces techniques n’échapperon­t pas aux mêmes questions de coût-efficacité: cela aurait-il un véritable impact, par exemple en allongeant l’espérance de vie de la population? » Voilà ce qu’il faut déterminer pour convaincre les décideurs d’intégrer – ou non – le séquençage dans le programme national de dépistage, qu’il soit prénatal ou néonatal.

Pour Bert Vogelstein, qui a fait l’étude sur les jumeaux, il est inutile de se perdre en conjecture­s, car le train est déjà en marche. « Les jeux sont faits : le séquençage du génome personnel sera réalisé sur plusieurs individus, peu importe les arguments théoriques au sujet de sa valeur », estime-t-il. L’enthousias­me est trop fort.

Pour ma part, j’ai encore quelques jours pour réfléchir à l’offre de Baby Genes. J’ai beau être au fait de toutes les incertitud­es qui l’accompagne­nt, ma curiosité de parent est piquée…

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