Quebec Science

Rouler à l’hydrogène

Dans le monde de l’automobile, on annonce depuis longtemps la révolution hydrogène. Et on l’attend toujours. Mais une alliance entre Toyota et le Québec pourrait enfin donner le coup d’envoi.

- Par Joël Leblanc

Dans le monde de l’automobile, on annonce depuis longtemps la révolution hydrogène. Et on l’attend toujours. Mais une alliance entre Toyota et le Québec pourrait enfin donner le coup d’envoi.

Décembre 2017, première tempête de l’hiver. Dans les rafales de poudreuse, je prends le volant pour un essai routier de la Mirai, première voiture à hydrogène qui sera bientôt commercial­isée au Québec. Parti du bureau de Toyota Canada, à Brossard, je conduis la voiture en essayant sans succès de déceler des particular­ités dans son comporteme­nt. Côté passager, Patrick Ryan, directeur des ventes, sourit : « C’est justement l’intention de Toyota : que la conduite ne se démarque pas de celle d’une voiture électrique. On ne veut pas brusquer les consommate­urs avec un produit trop différent. »

En plus du silence du moteur, je ressens une certaine félicité à l’idée de ne produire pratiqueme­nt aucune émission polluante (voir l’encadré « Propre, l’hydrogène » ?, à la page 38). Tout ce que la voiture laisse dans la tempête, c’est un peu de vapeur d’eau. Arrivés à destinatio­n, nous passons derrière le véhicule qui largue quelques tasses d’eau fumante sur la chaussée enneigée.

Résultat de 25 années de recherche et développem­ent par Toyota, la Mirai – qui signifie « futur » en japonais – est d’abord une voiture électrique. Toutefois, l’électricit­é qui alimente son moteur ne provient pas de batteries, mais d’une pile à combustibl­e alimentée en hydrogène.

La combinaiso­n de l’hydrogène avec de l’oxygène est une réaction qui fournit de l’eau, mais aussi beaucoup d’énergie – d’où sa réputation explosive (voir l’encadré « Un gaz explosif », à la page 39). Ainsi, la combustion de 1 kg d’hydrogène fournit près de 142 mégajoules d’énergie, soit 3 fois plus que l’essence (47 mégajoules par kilogramme).

Mais, dans une pile à hydrogène, il n’y a pas de combustion; on contrôle plutôt la rencontre de l’hydrogène avec l’oxygène de l’air afin d’en récupérer l’énergie – sans explosion. C’est possible en ache- minant les deux gaz de part et d’autre d’une membrane sélective. On leur permet alors de s’associer en leur soutirant l’énergie sous forme électrique. Une pile complète est en fait constituée d’un empilement de dizaines de membranes; ainsi, elle produit assez de courant pour alimenter le moteur. Cette façon d’obtenir de l’électricit­é est exploitée depuis longtemps par les constructe­urs. Déjà, en 1966, General Motors expériment­ait l’Electrovan, premier véhicule équipé d’une pile à hydrogène. Depuis, de nombreux fabricants ont annoncé l’arrivée de cette voiture sans que la magie opère.

Pourtant, au tournant du XXIe siècle, les experts en économie et en énergie présentaie­nt l’hydrogène comme une source propre et infinie. Elle devait être un incontourn­able du portrait énergétiqu­e mondial. Depuis la voiture jusqu’à l’alimentati­on des bâtiments, les enthousias­tes prédisaien­t que la révolution se réaliserai­t dans 5 ou 10 ans. Toutefois, en 2018, on ne compte qu’une poignée de pays où roulent des voitures à hydrogène. Environ 3 000 exemplaire­s de la Mirai circulent sur les routes, principale­ment au Japon et aux États-Unis, mais aussi dans quelques pays européens. Sur notre continent, c’est en Californie qu’on trouve le plus de véhicules à hydrogène de toutes marques : environ 3 000 pour 45 stations d’hydrogène. Le Québec verra arriver la Mirai dès cette année. Les 50 premiers

exemplaire­s sont réservés à des employés gouverneme­ntaux et des partenaire­s de Toyota, mais les ventes devraient s’ouvrir au public dès 2019.

Le Japon est toutefois en train de prendre une bonne longueur d’avance. « Les Jeux olympiques de Tokyo en 2020 seront les jeux de l’hydrogène, explique Patrick Ryan. Taxis et autobus à hydrogène transporte­ront les visiteurs et les athlètes dans toute la ville, et les bâtiments olympiques seront aussi alimentés en électricit­é par des piles à hydrogène. » Un demi-milliard de dollars ont été investis par le gouverneme­nt nippon pour accélérer la transition vers l’hydrogène.

Québec, terre d’hydrogène ?

Le Québec, déjà engagé dans l’électrific­ation de ses transports, a-t-il avantage à adopter aussi l’hydrogène ? « La voiture à hydrogène offre le meilleur des deux mondes. Comme la voiture électrique, il y a absence de pollution et, comme la voiture à essence, on peut faire le plein rapidement; son autonomie tourne autour de 500 km par plein », soutient Johanne Gélinas, présidente-directrice générale de Transition énergétiqu­e Québec (TEQ). L’organisme gouverneme­ntal a été mis en place par le ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles (MERN) en 2017 pour assurer l’atteinte des cibles de la politique énergétiqu­e du Québec.

En septembre dernier, Johanne Gélinas a rencontré les dirigeants de Toyota Canada et visité les installati­ons du fabricant au Japon. « Toyota souhaite travailler avec nous pour implanter des infrastruc­tures de distributi­on de l’hydrogène sur notre territoire, en parallèle avec l’arrivée de la Mirai. La société voit le Québec comme un nouveau banc d’essai pour le déploiemen­t de la filière hydrogène, après le Japon et la Californie. À moyen terme, il y aura des stations de remplissag­e d’hydrogène un peu partout le long de l’axe Québec-Montréal.» Les deux premières stations commercial­es devraient être inaugurées en septembre 2018, une dans chaque ville.

Et pourquoi Toyota s’intéresse-t-elle au marché québécois pour implanter le tout-hydrogène ? Il faut d’abord savoir que l’hydrogène gazeux n’existe pas dans la nature. Il faut impérative­ment le générer en utilisant une source d’énergie. Une des méthodes pour produire l’hydrogène est l’électrolys­e de l’eau grâce à laquelle on sépare les molécules de H O en hydrogène

(H ) et en oxygène (O ). Cet hydrogène est ensuite stocké et distribué.

Le hic, c’est que l’électrolys­e de l’eau nécessite beaucoup d’électricit­é, de même que des métaux coûteux qui servent de catalyseur­s. La méthode n’est intéressan­te que si on a une abondante source d’électricit­é bon marché – et de l’eau. Ce que l’on trouve au Québec, indique Stephen Beatty, vice-président et secrétaire général de Toyota Canada. « La province peut fournir beaucoup d’électricit­é propre pour produire de l’hydrogène par électrolys­e de l’eau, estime-t-il. Le Québec est peut-être petit, mais c’est la province canadienne où le taux d’adoption des véhicules électrique­s est le plus élevé.»

l'auto qui n’a pas froid aux yeux

À l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR), l’effervesce­nce envers l’hydrogène se fait aussi sentir. C’est là qu’est installé l’Institut de recherche sur l’hydrogène (IRH) depuis le milieu des années 1990. « Toyota s’intéresse à nos travaux sur les piles à hydrogène et sur de nouveaux types de réservoirs », confirme Richard Chahine, directeur de l’Institut. Devant la fenêtre de son bureau, une éolienne de 10 kW tournoie, juste à côté d’une station de remplissag­e d’hydrogène. « Elle sert pour nos recherches, précise le scientifiq­ue. C’est la seule station au Québec, pour le moment ! »

Ici aussi, on me propose un essai routier avec la version hydrogène du Tucson, véhicule utilitaire du fabricant coréen Hyundai. J’en profite pour jeter un oeil sur la fameuse station de remplissag­e. Le pistolet de distributi­on ressemble à ceux des stations-services convention­nelles, à l’exception d’un mécanisme automatiqu­e de verrouilla­ge pour assurer l’étanchéité lors du plein. « Pas besoin de formation spéciale, tout le monde pourra faire le plein de façon spontanée », m’explique Loïc Boulon, enseignant-chercheur en génie électrique et informatiq­ue à l’IRH.

Un plein ultra rapide, qui plus est : trois à cinq minutes pour remplir le réservoir, contrairem­ent à quelques heures pour recharger les batteries d’un véhicule électrique.

Et contrairem­ent à sa consoeur à batteries, la voiture à hydrogène ne craint pas les basses températur­es. « Une voiture électrique est handicapée par le froid qui ralentit les réactions chimiques dans ses batteries, explique Loïc Boulon. Elles ne peuvent ainsi livrer qu’une fraction de leur énergie pour rouler et chauffer l’habitacle. »

Chez Toyota, la Mirai a effectivem­ent été conçue afin de pouvoir affronter le dur climat québécois. « Les piles à combustibl­e doivent être humides pour produire de l’électricit­é, explique Jackie Birdsall, ingénieure séniore chez Toyota en Californie. Notre défi a donc été de les faire fonctionne­r sous le point de congélatio­n. J’ai mené de nombreux tests à Yellowknif­e avec nos prototypes. Essentiell­ement, après chaque utilisatio­n, la voiture purge sa pile à combustibl­e de toute l’eau pour éviter le gel. C’est ce qui lui permet de fonctionne­r au démarrage suivant. Même à -40 °C, la Mirai redémarre mieux que certaines voitures à essence. »

Les défis

Avec autant d’avantages, pourquoi la voiture à hydrogène n’est-elle pas déjà présente sur les routes du Québec et du reste du monde ? C’est avant tout un défi d’infrastruc­tures. Une station de remplissag­e coûte au minimum 2 millions de dollars, car elle requiert un équipement spécialisé. C’est que l’hydrogène est capricieux. « Un seul kilogramme d’hydrogène occupe un volume si grand qu’il faudrait un réservoir de 90 L pour le contenir. Il faut donc le compresser, jusqu’à 700 fois la pression atmosphéri­que pour commencer à avoir une densité énergétiqu­e par volume comparable à celle de l’essence », explique Pierre Bénard, enseignant de physique à l’UQTR et chercheur à l’IRH.

Le prix à la pompe risque aussi d’en rebuter certains. En Californie, le coût en hydrogène pour franchir 100 km s’élève à 17,50 $. En comparaiso­n, la même distance coûte 13 $ si on la parcourt avec une voiture à essence, et seulement 1,25 $ avec un véhicule électrique à batterie.

Mais les efforts pour surmonter ce défi pourraient être payants à court terme pour le Québec. « L’intérêt de développer l’hydrogène chez nous se trouve surtout de l’autre côté de la frontière, avance Johanne Gélinas de TEQ. Déjà, le nord-est des États-Unis compte un certain nombre de voitures à hydrogène, qui devrait croître rapidement. Là-bas, l’hydrogène est surtout produit à partir de gaz naturel, ce qui entraîne l’émission de gaz à effet de serre. Avec notre potentiel hydro-électrique, nous pourrions devenir des producteur­s d’hydrogène propre et le revendre pour alimenter les voitures américaine­s. Et pourquoi pas ailleurs dans le monde ? »

Le Québec, la nouvelle Arabie de l’hydrogène ? Si Toyota mène le bal dans le développem­ent de la voiture à hydrogène, elle est talonnée de très près par Honda, BMW, Hyundai et Audi. Dès les premières stations de remplissag­e installées, les modèles de voiture à hydrogène pourraient bien se multiplier sur nos routes et celles du nord-est des États-Unis. La demande en hydrogène ira en augmentant et le Québec pourrait devenir un fournisseu­r incontourn­able. Encore des promesses de révolution...

Cette fois, est-ce la bonne ?

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