Quebec Science

Le Pharm achien persiste et signe

- Propos recueillis par Marie Lambert-Chan

Olivier Bernard est de retour pour s’attaquer à la racine des faits alternatif­s : les arguments bidon.

Avertissem­ent aux marchands de doute : Olivier Bernard, alias le Pharmachie­n, est de retour avec un troisième livre. Et, cette fois-ci, il s’attaque à la racine des faits alternatif­s : les arguments bidon.

Depuis la mode sans gluten jusqu’à la diète alcaline, en passant par les cures à base de jus, les médecines douces et les OGM, le pharmacien Olivier Bernard ne recule devant aucun sujet, si controvers­é soit-il. Depuis 2012, celui qu’on connaît mieux comme le « Pharmachie­n » vulgarise la science véritable et déboulonne la pseudoscie­nce avec humour et insolence sur son blogue, dans ses livres et à la télé. Pour ses fans, il est le pourfendeu­r des fausses croyances et des mythes sur la santé. Aux yeux de ses détracteur­s, il est un « danger public majeur » qui carbure aux polémiques et aux déclaratio­ns fracassant­es. Les attaques au vitriol, il connaît. Surtout depuis son passage remarqué à l’émission Tout le monde en parle, en novembre 2016. Un épisode difficile qui, entre autres, l’a poussé à écrire son dernier livre, Le Pharmachie­n 3 : La bible des arguments qui n’ont pas d’allure (Les éditions les Malins). Comme le titre l’indique, Olivier Bernard s’est donné pour mission d’identifier les raisonneme­nts fallacieux qui empoisonne­nt actuelleme­nt le débat public, afin d’aiguiser l’esprit critique de ses lecteurs. Et, ainsi, devenir un pro de la riposte devant ceux qui disent n’importe quoi.

Québec Science : Comment est née l’idée de ce troisième tome qui relève davantage du guide d’autodéfens­e intellectu­elle que de l’ouvrage pratico-pratique, comme le sont les deux premiers livres ?

Olivier Bernard : Je suis le Pharmachie­n depuis 2012. J’estime avoir accompli de belles choses mais, au bout du compte, j’ai le sentiment que mon travail de vulgarisat­ion est toujours à recommence­r. Prenez les cures à base de jus. Même si j’ai déjà expliqué tant et plus que les jus ne sont pas un moyen de « détoxifier » le corps, il suffit qu’une nouvelle tendance émerge pour qu’on me demande encore de démythifie­r le concept. Voilà pourquoi j’ai senti le besoin d’écrire un livre qui améliorera­it les réflexes critiques des gens afin qu’ils puissent eux-mêmes voir les failles dans les faux arguments des tenants de la pseudoscie­nce.

QS Votre livre tombe à point en cette ère post-factuelle.

OB Je le souhaite. Le problème de la désinforma­tion et du « dénialisme » scientifiq­ue dépasse le domaine de la santé auquel je me suis consacré jusqu’à présent. Ce n’est pas un hasard si, dans cet ouvrage, j’aborde aussi la religion, la politique et les changement­s climatique­s. Pour la première fois de ma vie, je crains l’impact de la pseudoscie­nce sur l’avenir de notre société. Certains mouvements idéologiqu­es, comme les groupes anti-vaccins ou climatosce­ptiques, sont beaucoup mieux organisés qu’ils ne l’étaient et véhiculent des informatio­ns en apparence très solides sur le plan scientifiq­ue.

Par ailleurs, je remarque que de plus en plus de chercheurs disent n’importe quoi. Ils confondent leur point de vue avec l’état actuel de la science. Et ça, ça me fait peur parce que des individus leur font confiance en raison de leur réputation. Ces gens succombent ainsi à l’argument d’autorité : une chose est présumée vraie parce qu’elle est affirmée par une personne connue. Or, il ne faut jamais se fier à une seule personne. Même pas à moi !

QS Dans votre livre, vous expliquez plusieurs arguments douteux. Lesquels trouvez-vous particuliè­rement retors ?

OB L’un de mes « préférés » est l’appel à la tradition : si c’est utilisé depuis longtemps, c’est forcément bon. Cela implique toutefois deux erreurs de raisonneme­nt. On présume que c’était vraiment bon à l’époque et que c’est toujours pertinent de nos jours.

La technique dite de l’« homme de paille » est chère à mon coeur, parce que je la connaissai­s bien sans avoir de mots pour la décrire. En France, c’est un concept fréquemmen­t utilisé, mais pas ici. C’est le

fait de réfuter les arguments de quelqu’un sur la base de choses qu’il n’a même pas dites. Par exemple : le Pharmachie­n est contre tout ce qui est naturel.

Je trouve les biais cognitifs très intéressan­ts, à tel point que je songe à écrire un livre entier sur le sujet. Ils surviennen­t lorsqu’on réfléchit de façon non rationnell­e, ce qui nous amène à créer notre propre réalité. Les biais de confirmati­on en sont un exemple : on retient seulement ce qui soutient notre opinion et on rejette ce qui la contredit.

Enfin, l’argument d’autorité me touche particuliè­rement parce que je le vis moimême au quotidien. J’entends ou je lis des phrases comme : « C’est le Pharmachie­n qui l’a dit, donc ce doit être vrai. » C’est encore plus marqué depuis mon passage à Tout le monde en parle. Et je n’aime pas ça.

QS On se rappelle que, au cours de cette entrevue, vous aviez affirmé, entre autres, que « l’homéopathi­e est une insulte à l’intelligen­ce humaine » et que « un bon jus d’orange pressé maison, c’est identique à boire un coke ». Vos propos ont suscité de vives réactions. Que s’est-il passé dans les semaines suivant la diffusion de l’émission ?

OB Je ne pensais pas que mes propos feraient autant réagir, car c’était le reflet exact du contenu de mes bandes dessinées et de ma première série télé (NDLR : Les aventures du Pharmachie­n sur les ondes d’ICI Explora). Mais je sous-estimais l’effet Tout le monde en parle. Les deux semaines qui ont suivi ont été un tsunami. Sur les réseaux sociaux, j’ai reçu quantité de commentair­es injurieux. Mais, à la rigueur, je suis capable d’en rire. J’ai toutefois été profondéme­nt découragé par le niveau de déformatio­n de mes propos – et c’est d’ailleurs ce qui m’a poussé à écrire mon dernier livre. J’en ai entendu de toutes sortes. « Le Pharmachie­n a dit que le sucre n’est pas bon, donc je n’en consommera­i plus. » « Le Pharmachie­n a dit qu’on peut faire boire du Coca-Cola aux bébés. » On a dit de moi des choses très malhonnête­s : que je n’avais aucune connaissan­ce scientifiq­ue; que je voulais seulement vendre des médicament­s; que j’avais une attitude misogyne parce que je remettais en question la médecine traditionn­elle, fondée sur les connaissan­ces essentiell­ement féminines, car pratiquée autrefois par les femmes… Au début, j’ai tenté de répondre à tous ces gens. Puis, j’ai arrêté. J’ai quitté le Web pendant deux mois. Après coup, j’ai compris que j’ai choqué la minorité bruyante des réseaux sociaux. La plupart des commentair­es reçus m’ont plutôt démontré que beaucoup ont compris mon message.

QS Ne craignez- vous pas de prêcher aux convertis ?

OB J’ai beaucoup réfléchi à cette question et, sincèremen­t, je ne crois pas que ce soit le cas. Je m’adresse aux individus qui ont des doutes et des questionne­ments. Je n’ai aucune intention de faire changer d’idée les « anti », les « contre », les purs et durs. C’est impossible de le faire, tant ils sont convaincus d’avoir raison. Avec eux, on ne peut même pas s’entendre sur les faits de base. De toute façon, il s’agit d’une infime proportion de la population.

QS Pendant longtemps, les scientifiq­ues ont été perçus comme ceux qui sauveraien­t le monde. Aujourd’hui, il est plutôt de bon ton de remettre en question leur travail, voire de nier leurs résultats de recherche, ce que vous rappelez dans votre livre. Cela vous décourage-t-il ?

OB Les gens ont accès comme jamais à l’informatio­n. Ils n’ont plus besoin des experts comme avant. Je le vois dans ma pratique. Au début de ma carrière, en 2004, les clients de la pharmacie étaient complèteme­nt dépendants de nous. Ils ne nous contredisa­ient jamais. Nous étions entièremen­t responsabl­es de leurs connaissan­ces, ce qui était assez lourd. Puis sont arrivés Facebook et le phénomène « Dr Google » [NDLR : l’utilisatio­n du populaire moteur de recherche pour s’« autodiagno­stiquer »]. Pendant un temps, j’ai trouvé ça extraordin­aire. Je pouvais avoir un véritable dialogue avec mes patients. Il y a cinq ans, toutefois, un glissement s’est produit : les clients arrivaient avec de plus en plus de fausses informatio­ns. Désormais, la communicat­ion avec les patients est plus compliquée qu’avant; ils n’ont plus confiance dans le système de santé. Mais je suis persuadé qu’on peut atteindre un équilibre. C’est pourquoi je donne une formation aux profession­nels de la santé pour mieux discuter avec un patient qui arrive avec de fausses croyances.

QS Quelle est votre méthode ?

OB En résumé, il faut d’abord écouter le patient et lui demander de préciser ses inquiétude­s. Ensuite, il faut accueillir ses craintes avec empathie. Puis, on reconnaît qu’il a raison – en partie. Ce point est très important, car c’est ainsi qu’on amorce le dialogue. En outre, il y a toujours un fond de vérité aux doutes du patient. Par exemple, devant ceux qui accusent Big Pharma de nous empoisonne­r, il faut reconnaîtr­e que l’industrie pharmaceut­ique a commis des abus et a manqué de transparen­ce. En même temps – et c’est la dernière étape –, on doit leur apporter de la perspectiv­e et leur rappeler que les compagnies pharmaceut­iques ont commercial­isé des antibiotiq­ues et des médicament­s, qui ont sauvé des millions de personnes.

Les profession­nels de la santé n’ont plus le choix d’adapter ainsi leur discours. Un médecin ne peut plus dire à son patient : « Je suis le boss, tu vas m’écouter. » Ça ne marche plus.

QS Vous travaillez toujours comme pharmacien à temps partiel. Derrière le comptoir, comment conciliez-vous votre personnage public du Pharmachie­n avec votre rôle profession­nel ?

OB Le Pharmachie­n n’est pas un personnage : c’est moi. Au contraire, à la pharmacie, je suis plus inhibé. Là-bas, je suis obligé de me priver d’une forme de communicat­ion qui, à mon avis, est plus efficace. J’aurais envie de tutoyer mes patients, de leur poser des questions sur leur vie, de prendre 15 minutes avec eux dans le bureau de consultati­on. Mais je ne peux pas, car je n’ai pas le temps. Le modèle des pharmacies s’américanis­e. On doit voir beaucoup de monde, alors que les ressources se réduisent. J’aime travailler en pharmacie, mais peut-être que, un jour, je me vouerai exclusivem­ent à la communicat­ion et à la formation.

«Désormais, la communicat­ion avec les patients est plus compliquée qu’avant; ils n’ont plus confiance dans le système de santé.»

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