Fèces à conviction
L’homme qui a vu la crotte de l’ours
Les biologistes ne reculent devant rien pour étudier les populations animales, quitte à se munir d’un pincenez ! Les crottins, guanos et déjections en tout genre sont de véritables trésors pour qui sait les faire parler. Des indices qui en disent long sur la faune et la santé des écosystèmes, et qui révèlent même certains détails sur l’évolution du climat.
Depuis la Gaspésie jusqu’au Norddu- Québec, l’équipe de recherche en conservation de la faune de l’Université du Québec à Rimouski (UQAR) suit les oiseaux et les mammifères de la forêt boréale à la trace, littéralement ! C’est en étudiant le contenu des fèces d’une vingtaine d’ours noirs, au nord de Saguenay pendant tout un été, que l’équipe du professeur Martin-Hugues St-Laurent a pu détailler les différentes stratégies alimentaires adoptées par ces omnivores. « Ce sont des techniques ancestrales qu’on enseigne encore, car l’utilisation des fèces nous apprend énormément de choses », précise-t-il.
À commencer par la diète ! Les macrorestes – les fragments non digérés provenant principalement de végétaux, mais aussi de poils, de plumes ou d’os – ont indiqué dans ce cas-ci que les ourses flanquées de leur toute dernière portée priorisent les fruits du cornouiller du Canada (disponibles dans les clairières où elles passent le plus de temps). Les femelles accompagnées par des petits un peu plus âgés, elles, se régalent de bleuets. Quant aux ours solitaires, ils semblent apprécier tout particulièrement les fourmis.
« L’étude des fèces comporte des forces et des faiblesses : cela ne donne des indications que sur le dernier repas, il faut donc veiller à récolter le plus d’échantillons possible », prévient Martin-Hugues StLaurent. Entre autres écueils, comment déterminer à quel individu appartient le crottin trouvé ? Pour le savoir, on doit moderniser la récolte des crottes. Grâce à un système de détection par GPS qui retrace le parcours des ours, auxquels on a posé des colliers, on peut lier les fèces à leurs propriétaires. Ce faisant, les scientifiques peuvent déceler des différences interindividuelles ou caractériser l’utilisation d’un territoire par certains groupes au sein d’une population animale. En captivité, le suivi des crottes est beaucoup plus simple : au zoo du parc Assiniboine, à Winnipeg, les chercheurs du Centre pour la conservation des ours blancs ajoutent des paillettes colorées à la nourriture de leurs pensionnaires. Chaque ours a sa couleur, ce qui permet d’identifier les cacas brillants !
Au-delà de l’étude des macro-restes, les crottes d’animaux livrent d’autres types d’information si on daigne les éplucher à l’échelle moléculaire. C’est ce qu’a fait Virginie Cristopherson en 2017, dans le cadre de sa maîtrise sous la direction de Martin-Hugues St-Laurent, afin de déterminer si les caribous et les orignaux se disputent les mêmes ressources dans le parc national de la Gaspésie. En effectuant ce qu’on appelle une analyse par code-barres d’ADN des fèces, on obtient un relevé génétique de tous les végétaux ingérés par ces herbivores. Les résultats préliminaires indiquent que, malgré leurs diètes similaires, les caribous et les orignaux consomment des espèces de plantes différentes et ne semblent donc pas en compétition dans leur gardemanger gaspésien.