Le flou canadien
Au Canada, il n’existe pas de banque de selles. « On y a déjà expédié un traitement en urgence, mais la réglementation ne le permet plus », explique Zain Kassam d’OpenBiome. En effet, Santé Canada considère que la « bactériothérapie » est encore expérimentale, et impose que le donneur soit connu du patient ou du médecin. Une fois les selles obtenues (souvent du conjoint ou de la conjointe), les médecins s’assurent qu’elles sont exemptes de virus, bactéries et parasites. Elles sont ensuite administrées par lavement, « par colonoscopie dans le gros intestin, ou par voie haute, avec une sonde nasale allant jusque dans l’intestin grêle », explique Mickael Bouin, du CHUM. Au CHU de Québec, où une trentaine de personnes ont été traitées depuis l’été 2016, on opte pour des capsules contenant les filtrats concentrés de matières fécales. « Les patients ingèrent 60 capsules en 2 jours, ce qui est moins invasif qu’une colonoscopie. Je m’attendais à plus de dédain, mais ils acceptent le traitement sans problème », explique la microbiologiste-infectiologue Nathalie Turgeon.
Dans une étude publiée fin 2017, l’Albertain Thomas Louie, l’un des spécialistes canadiens de la TMF, a d’ailleurs prouvé que les capsules orales étaient aussi efficaces que la colonoscopie pour l’éradication de C. difficile chez 116 patients. « La pilule simplifie la procédure, diminue les coûts et pourrait améliorer l’accès au traitement », estime-t-il.
Santé Canada a beau encadrer la pratique dans les grandes lignes depuis 2015, chaque hôpital se débrouille dans son coin pour mettre en place son propre protocole. Les experts contactés ne savent d’ailleurs pas précisément combien de personnes ont reçu une greffe fécale dans leurs hôpitaux respectifs. Il n’y a ni groupe de travail ni suivi, comme le confirme le ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec qui « ne dispose pas de données précises », mais qui indique que le Comité de biovigilance « estime qu’il serait souhaitable que la pratique soit standardisée pour la sélection des donneurs, le dépistage et la préparation des greffons ».