Quebec Science

Polémique

- Par Jean-François Cliche

Que

faire quand une étude de bonne qualité vient en contredire d’autres (et même des méta-analyses) tout aussi bonnes ? En décembre 2017, la diffusion de résultats préliminai­res sur l’acupunctur­e a pris une tournure particuliè­rement « épineuse », c’est le cas de le dire.

Oncologist­e à l’université Columbia, Dawn Hershman a alors présenté les résultats d’un des plus vastes essais cliniques sur l’acupunctur­e au Symposium sur le cancer du sein de San Antonio. En tout, 226 femmes atteintes d’un cancer du sein de stade précoce ont participé à l’étude, recevant soit des traitement­s d’acupunctur­e, soit des séances de « fausse acupunctur­e » (aiguilles insérées aléatoirem­ent et moins profondéme­nt dans la peau), soit rien du tout.

Le but : vérifier si cette médecine traditionn­elle chinoise réduit la douleur chez les femmes ayant un cancer du sein, traitées par des médicament­s hormonaux, les inhibiteur­s de l’aromatase. Bien qu’efficaces, ces médicament­s causent très souvent des douleurs articulair­es que Mme Hershman cherche à atténuer autrement que par les antidouleu­rs. Ceux-ci peuvent s’avérer toxiques et entraîner une dépendance. Dans son essai clinique, la chercheuse a trouvé que l’acupunctur­e réduisait la « pire douleur » de 1 point en moyenne sur une échelle de 10 par rapport à la fausse acupunctur­e et à l’absence de traitement. En outre, la « vraie » acupunctur­e doublait le nombre de patientes (58 % par rapport à 30 % dans les autres groupes) dont la douleur s’atténuait par deux points, ce qui est considéré comme le seuil minimal pour qu’un traitement soit jugé « pertinent pour la recherche clinique ».

Voilà qui est fort intéressan­t. Le hic ? Cela contredit la plupart des études les plus sérieuses sur l’acupunctur­e, qui ne lui trouvent pratiqueme­nt aucun effet.

Certes, quiconque faisant une recherche sur cette « médecine alternativ­e » trouvera sur le Web de nombreux articles (en apparence) savants qui concluent à son efficacité, mais ils sont en général de piètre qualité, surtout lorsqu’ils proviennen­t de pays où l’acupunctur­e est une tradition. Imaginez un peu : une analyse récente a démontré que seulement 8,7 % des essais cliniques menés en médecine traditionn­elle chinoise et enregistré­s auprès des Instituts nationaux de la santé aux E.-U. (ce qui est obligatoir­e chez l’oncle Sam) ont rendu leurs résultats publics. Cela suggère qu’un très grand nombre de résultats négatifs sont tus…

Voilà pourquoi les revues de littératur­e et les méta-analyses attestant l’efficacité de l’acupunctur­e sont légion. Mais quand on se concentre sur les revues qui ne tiennent compte que des essais cliniques les plus rigoureux, pratiqueme­nt tous les bénéfices disparaiss­ent. Par exemple, dans une méta-analyse publiée en 2009 dans le British Medical Journal, la réputée Collaborat­ion Cochrane a conclu, au sujet de l’acupunctur­e en tant que traitement antidouleu­r, qu’« un petit effet analgésiqu­e a été trouvé, mais il semble cliniqueme­nt insignifia­nt et ne peut pas être clairement distingué d’un biais ».

Alors, qu’est-ce qu’on fait avec l’étude de Dawn Hershman ? Premièreme­nt, on attend qu’elle soit publiée dans une revue médicale, mais cela semble une formalité. D’autres chercheurs ont affirmé sur le site de Nature, notamment, que son groupe de recherche jouit d’une bonne réputation et que la méthodolog­ie employée était solide.

Et une fois que ce sera fait, on n’aura pas d’autre choix que d’en tenir compte puisque cette étude ne souffre pas des faiblesses classiques qui minent tant de travaux sur l’acupunctur­e. Mais il faudra cependant la placer dans la « balance des preuves », à côté des métaanalys­es dont je viens de parler. Et elle ne suffira pas à elle seule à renverser la preuve – du moins, pas pour l’instant.

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