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Les prisons de Doug Ford : un criminolog­ue propose des solutions nettement moins coûteuses

- Charles Lalande

Les prisons de l’Ontario sont surpeuplée­s, et le pre‐ mier ministre Doug Ford est déterminé à construire « plus de prisons pour gar‐ der les criminels derrière les barreaux pendant long‐ temps ». En faisant cela, il s’entête « à faire des choses qui n’ont jamais fonctionné », selon un pro‐ fesseur en criminolog­ie à l’Université d’Ottawa, Jus‐ tin Piché.

Les

Ontariens

seraient mieux servis si l’administra‐ tion Ford investissa­it davan‐ tage dans les logements per‐ manents avec du soutien, dans les services intensifs en santé mentale et dans la ré‐ duction des risques et de traitement de la toxicomani­e, assure le criminolog­ue en ré‐ ponse aux propos du pre‐ mier ministre tenus le 8 mars.

Selon Justin Piché, tout cela mis ensemble coûte beaucoup moins cher et s’avère être nettement plus efficace que d’enfermer des gens qui ont besoin de com‐ passion et de soutien [plutôt que] des menottes et une cellule.

En plus d’enseigner, Justin Piché fait également de la re‐ cherche sur la constructi­on d'établissem­ent de détention et sur les autres avenues à l’incarcérat­ion. Il est aussi membre de différente­s asso‐ ciations, comme The Crimi‐ nalization and Punishment Education Project, qui milite pour construire des commu‐ nautés, pas des cages, et d’une coalition contre le pro‐ jet de constructi­on d’une pri‐ son à Kemptville, à environ 60 kilomètres au sud d'Ot‐ tawa.

Ce projet, au coût de 500 millions de dollars, n’est pas le seul en chantier par le gou‐ vernement de l’Ontario, qui prévoit aussi dépenser 1,2 milliard $ pour la construc‐ tion d'un nouveau centre cor‐ rectionnel à Thunder Bay.

Citant Statistiqu­e Canada, Justin Piché met en évidence que le coût annuel moyen d’un détenu dans une prison ontarienne est de plus de 130 000 $, selon les plus ré‐ centes données pour l’année 2021-2022.

Le criminolog­ue insiste sur le fait qu’il y a des ap‐ proches moins chères et plus efficaces.

Un logement permanent avec du soutien, ça coûte 40 000 $ par année. Un pro‐ gramme de traitement de la toxicomani­e, d’une durée de 35 jours avec un suivi d’un an, coûte environ 20 000 $ par année.

En pleine entrevue, Justin Piché se lève. Il fouille dans sa bibliothèq­ue et s’empare du livre Less Law, More Or‐ der : The Truth about Redu‐ cing Crime écrit par l’un de ses collègues de l’Université d’Ottawa, Irvin Waller, crimi‐ nologue et expert internatio‐ nalement reconnu en ma‐ tière de prévention du crime et de droit des victimes.

Dans ce bouquin, Irvin Waller écrit, études à l’appui, que pour chaque dollar in‐ vesti dans la prévention en amont du système qui crimi‐ nalise et qui enferme les gens, on peut économiser un montant de 7 $ investit dans la police, les tribunaux, les prisons et les services aux victimes.

La province persiste et signe

Radio-Canada a contacté la porte-parole du cabinet du premier ministre Doug Ford, Caitlin Clark, pour la mettre au parfum des critiques et des solutions offertes par Justin Piché.

Cette dernière a transmis la demande à l’attaché de presse du Bureau du sollici‐ teur général de l'Ontario. Par le biais d’une déclaratio­n écrite, Hunter Kell a assuré que les récidivist­es et les réci‐ divistes violents doivent res‐ ter derrière les barreaux tout en mettant de l’avant la né‐ cessité de moderniser et d’élargir le système correc‐ tionnel de l’Ontario.

Nous ne croyons pas que les voleurs de voitures et les envahisseu­rs de domicile de‐ vraient être relâchés. Nous continuero­ns à réaliser les in‐ vestisseme­nts nécessaire­s et à prendre les mesures pour

garantir que les criminels vio‐ lents restent derrière les bar‐ reaux.

Extrait de la réponse du ministère du Solliciteu­r géné‐ ral de l'Ontario

Dans sa réponse, le minis‐ tère a tenu à rappeler le plus gros investisse­ment dans la prévention de l'itinérance et dans le logement avec ser‐ vices de soutien de l'histoire de l'Ontario en ajoutant de l’argent dans ses pro‐ grammes de prévention de l'itinérance et de logement avec services de soutien pour les Autochtone­s.

L’Ontario a aussi investi 12 millions de dollars pour mettre en contact 2000 per‐ sonnes sortant du système judiciaire avec des em‐ ployeurs, une initiative d’ailleurs partiellem­ent sa‐ luée par Justin Piché.

Dans un contexte où la province a reconnu son manque de main-d’oeuvre, elle a ouvert la porte à plus de métiers pour les per‐ sonnes criminalis­ées. D’un point de vue économique, c’est une approche qui avait du sens pour le gouverne‐ ment Ford, a-t-il mentionné d’entrée de jeu.

Tu peux offrir quelques millions de dollars pour des programmes d’emploi, mais en même temps, tu dé‐ penses des milliards de dol‐ lars pour la constructi­on de nouvelles prisons. Où sont les priorités du gouverne‐ ment?

Justin Piché, professeur de criminolog­ie à l’Université d’Ottawa

Au-delà du débat sur la constructi­on de nouvelles prisons et sur les solutions à l’emprisonne­ment, le crimi‐ nologue amène un point de vue plus large, citant encore une fois Irvin Waller.

Quand on parle de pré‐ vention, il faut aussi penser à long terme, comme des in‐ vestisseme­nts en éducation, des programmes de mento‐ rat, de leadership et des oc‐ casions d’emplois pour les jeunes. Ça, ça peut faire une énorme différence, conclut-il.

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