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À Nashville, les traces durables d’une tuerie de masse

- Violette Cantin

Il y a eu plus de 80 fu‐ sillades dans des écoles aux États-Unis en 2023, se‐ lon un décompte effectué par CNN. Ces tragédies peuvent laisser des traces durables au sein des com‐ munautés touchées, tant sur le plan psychologi­que que sur celui des revendi‐ cations politiques. C’est le cas à Nashville, où une tue‐ rie a fait six morts dans une école primaire, il y a un an.

C’était le 27 mars 2023, peu après 10 h. Ce matin-là, le chirurgien pédiatriqu­e Jo‐ seph Fusco amorçait son quart de travail à l’hôpital pour enfants Monroe Carell Junior, en plein coeur de la capitale du Tennessee. C’était a priori une journée comme les autres.

Tout a changé quand nous avons reçu la fiche d'une première victime par balle, puis deux fiches de plus. Nous avons tous couru à la salle d'urgence, se remé‐ more-t-il sur son lieu de tra‐ vail, où nous le rencontron­s.

La personne responsabl­e du massacre à l'école pri‐ maire Covenant a tué trois enfants de neuf ans et trois employés en quelques mi‐ nutes, à l’aide d’un fusil de type AR-15. Les policiers l’ont rapidement abattue et les jeunes victimes ont été en‐ voyées à l’hôpital. Le Dr Fusco est l’un de ceux qui les ont prises en charge, mais il n’y avait déjà plus rien à faire.

Ce sentiment de déses‐ poir, il m'a habité cette jour‐ née-là. Et il est resté avec moi depuis, poursuit le chirur‐ gien. Il évoque avec une émotion contenue, mais vi‐ sible, les dommages épou‐ vantables et dévastateu­rs faits à leurs corps innocents.

Un an plus tard, Joseph Fusco est toujours profondé‐ ment habité par ce qu’il a vu cette journée-là. Il y a des nuits où je me réveille et où je vois les visages de ces en‐ fants.

Il sait qu'il n'est pas le seul. Cet événement a pro‐ fondément affecté et changé ma vie. Je ne peux même pas imaginer à quel point il a changé celle des familles des victimes et de notre commu‐ nauté.

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Des jeunes descendent dans la rue

La pédiatre Kelsey Gasti‐ neau se souvient elle aussi parfaiteme­nt de cette jour‐ née horrible, l’une des plus difficiles de [sa] carrière.

Elle ne faisait pas partie de ceux qui ont pris les vic‐ times en charge cette jour‐ née-là. Mais des patients blessés par armes à feu, elle en a soigné très souvent. Trop souvent.

Ce qui rend les blessures par armes à feu différente­s, c'est qu'elles sont entière‐ ment évitables, croit la pé‐ diatre. Au sein de la commu‐ nauté médicale du Tennes‐ see, elle est l'une des voix qui demandent au gouverne‐ ment de prendre des me‐ sures pour lutter contre la violence par armes à feu.

Après la tragédie

de l'école Covenant, elle a senti les importante­s consé‐ quences psychologi­ques sur sa communauté. Mais elle a aussi senti un changement politique.

Dans les derniers mois, ce qui m'a apporté le plus d'es‐ poir, c'est de voir les jeunes de ma communauté utiliser leur voix, déclare-t-elle.

En effet, exactement une semaine après la tuerie, des milliers d'étudiants ont quitté leur salle de classe en plein jour pour marcher jusqu'au Capitole de l'État et deman‐ der au gouverneme­nt d'agir pour lutter contre la violence par armes à feu.

J'ai vécu ici presque toute ma vie et je n'ai jamais rien vu de tel, raconte Brynn Jones, étudiante de 22 ans à l’Université Vanderbilt de Na‐ shville. La jeune femme a co‐ organisé la mobilisati­on et s'implique au sein de l'orga‐ nisme March for Our Lives, qui milite contre la violence par armes à feu.

La communauté ne peut pas passer à autre chose puisque les législateu­rs n’ont rien fait après la tuerie.

Brynn Jones, étudiante à l'Université Vanderbilt

Le Congrès du Tennessee est dominé par une super‐ majorité républicai­ne, celle-là même qui, il y a deux ans, a éliminé l’obligation de détenir un permis pour posséder une arme à feu. Dans l'État, n’importe quel citoyen de plus de 21 ans peut doréna‐ vant porter une arme à dé‐ couvert.

Dans un effort pour ré‐ pondre aux revendicat­ions qui ont découlé de la tuerie, le gouverneur républicai­n, Bill Lee, a convoqué une ses‐ sion législativ­e spéciale au mois d’août.

Plusieurs mesures y ont été étudiées, dont la possibi‐ lité de permettre à certains enseignant­s de porter une arme à l'école. L'idée a été décriée par plusieurs mili‐ tants en faveur d'un contrôle plus strict des armes à feu. Au terme de la séance, au‐ cune nouvelle politique n’a fi‐ nalement été adoptée.

Ce dénouement a indigné Brynn Jones. La tuerie à l’école primaire Covenant n’est pas la dernière que nous aurons au Tennessee. Il n’est pas question de savoir si une autre tuerie aura lieu, mais de savoir quand elle aura lieu.

Violette Cantin est lau‐ réate de la bourse Expéri‐ menter le journalism­e à l'étranger de la Fondation de l'UQAM.

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