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Se réappropri­er sa culture, la quête identitair­e menée par de jeunes cinéastes autochtone­s

- Simon Filiatraul­t

Qu'importe les sujets qu'elle traite dans ses oeuvres, la nouvelle généra‐ tion de cinéastes autoch‐ tones est caractéris­ée par une quête de réappropri­a‐ tion culturelle qui s’inscrit elle-même dans un proces‐ sus plus large de guérison.

Les neufs films lors de la première édition du volet Re‐ gards autochtone­s du Festi‐ val de courts métrages au Sa‐ guenay la semaine dernière en sont un exemple élo‐ quent.

Course à pied, crise d’ado‐ lescence, fonte des glaces, in‐ fluence de la religion... Les thématique­s des oeuvres pro‐ jetées dans une salle de spectacle du Cégep de Jon‐ quière vendredi dernier étaient aussi variées que riches.

Le cinéma autochtone, ce n’est pas nécessaire­ment du cinéma qui parle de la ques‐ tion autochtone, explique Vincent Carreau, l’un des deux programmat­eurs au‐ tochtones.

Ce qui rend un film au‐ tochtone, ce sont des biais culturels, des tournures de phrases qui, elles, sont fon‐ damentalem­ent autoch‐ tones. Ce ne sont pas néces‐ sairement des thématique­s, continue le jeune huron-wen‐ dat, tout juste diplômé d’études universita­ires en ci‐ néma.

Néanmoins, une constante transcende l'en‐ semble de ces films de courte durée : les histoires illustrées reflètent le désir des cinéastes autochtone­s de se réappropri­er leur culture.

En concevant leur court métrage comme s’il s’agissait d’un journal intime, Vincent Careau qualifie cette ap‐ proche de processus de gué‐ rison qui a pour effet de mettre des baumes sur des cicatrices, sur des traumas intergénér­ationnels.

La relève cinématogr­a‐ phique jette ainsi un regard sur le passé qui devient un regard vers le futur, dénotant une dimension rétro-pros‐ pective, telle que le caracté‐ risent M. Careau et Jess Mur‐ win, tous deux responsabl­es de la programmat­ion de Re‐ gards autochtone­s.

Or, cette approche diffère de celle de la génération pré‐ cédente. Si aujourd’hui les ci‐ néastes s’efforcent à raconter les histoires des Autoch‐ tones, leurs prédécesse­urs racontaien­t les histoires au‐ tochtones, et ce, de leur propre perspectiv­e.

À cet égard, le nom d’Ala‐ nis Obomsawin - qui a fait l'objet d'une rétrospect­ive sa‐ medi dernier au festival vient immédiatem­ent en tête du jeune programmat­eur hu‐ ron-wendat qui la qualifie de véritable pionnière dans le ci‐ néma autochtone.

Ses longs métrages Ka‐ nehsatake, 270 ans de résis‐ tance sur les évènements de la crise d’Oka, ou encore Les événements de Restigouch­e - qui revient sur les rafles me‐ nées contre les Mi’kmaw de Listuguj dans un conflit sur les droits de pêche entre la Première Nation et Québec ont exposé au monde entier ces pans de l'histoire autoch‐ tone.

La parole ayant été re‐ mise dans les mains des Au‐ tochtones, le processus de guérison de la jeunesse au‐ tochtone se veut aujourd'hui plus positif. On célèbre la culture au lieu de l'expliquer, résume Vincent Careau.

S'enraciner dans la culture à travers des his‐ toires

Pouvoir offrir un espace aux personnes pour qu'elles puissent partager des choses qu'elles n'auraient pas pu ex‐ plorer autrement ou qu'elles n'auraient pas été invitées à explorer dans leur contexte, c’est très valorisant et res‐ sourçant, affirme Jessica Miinguuaqt­ii, une artiste in‐ terdiscipl­inaire inuk qui a vu son court métrage présenté à Regards autochtone­s.

Intitulé February Six‐ teenth Nineteen Forty-Seven, son film de quatre minutes incarne le récit oral de la naissance de sa grand-tante Levinia Brown. À travers une animation de type stop mo‐ tion, l'aînée raconte l’accou‐ chement de sa mère durant une traversée dans la toun‐ dra sur un traîneau à chien avec son mari et leurs deux autres enfants.

J'ai été stupéfaite par cet événement. Dans les récits de ma grand-mère, de mes tantes, des aînés en général, souvent ils ne reconnaiss­ent pas à quel point c'est in‐ croyable pour ceux d'entre nous qui n'ont pas grandi sur le territoire. Pour ma grande tante, ça ne l'est pas. Pour elle, c'est juste quelque chose qui s'est produit, re‐ marque la cinéaste inuk émergente qui a appris cette histoire qu’elle prenait du thé et faisait de la couture avec sa grande tante.

J'ai appris à mieux me connaître et à me réappro‐ prier ma culture en appre‐ nant ces choses et en appré‐ ciant mes origines et la diffi‐ culté de survivre [pour les In‐ uit] en général.

Jessica Miinguuaqt­ii, ci‐ néaste

Toutefois, cette quête de réappropri­ation culturelle vient avec son lot de défis.

Lors de ses dernières vi‐ sites à Rankin Inlet, au Nuna‐ vut, Jessica Miinguuaqt­ii a lourdement ressenti le poids des traumatism­es profondé‐ ment ancrés dans la commu‐ nauté inuit et qui sont au‐ jourd’hui banalisés. C’est pourquoi elle a pris la déci‐ sion de prendre ses dis‐ tances pour quelque temps avec cet environnem­ent.

En allant là-bas, je me suis exposée à la douleur généra‐ tionnelle que beaucoup d'entre nous, peu importe d'où nous venons, res‐ sentent, s’est-elle confiée avec émotions.

Néanmoins, la jeune femme ne ferme pas la porte à l’idée de retourner auprès de sa communauté par ellemême afin d’avoir une expé‐ rience différente dans le cadre avec son processus de guérison et de réappropri­a‐ tion culturelle. Même s'il est pénible d'être séparé de ma famille, mes ancêtres sont làbas. Et je ne peux pas me sé‐ parer d’eux.

Partager ses préoccupa‐ tions sur le grand écran

Catherine Boivin partage également ce désir d’être plus présente sur le territoire ancestral de sa communauté atikamekw à Wemotaci, mais davantage pour des raisons de survie linguistiq­ue.

Une personne m’a dit : "Tu devrais aller en forêt". Car c’est de là que vient la langue, peut-on l’entendre dire en langue atikamekw dans son court métrage 6 mi‐ nutes/kilomètre, aussi pré‐ senté sur le grand écran à Regards autochtone­s.

Au rythme de ses pas dans un décor brumeux, elle y exprime ses préoccupa‐ tions et ses rumination­s par rapport au territoire et à la langue, plongeant ses audi‐ teurs dans l’univers onirique de ses courses matinales dans les rues de la commu‐ nauté abénakise d’Odanak.

Je constate aujourd’hui à quel point je suis en forme, tout comme nos ancêtres au‐ trefois, lit-on dans les soustitres du court métrage.

Pour cette maratho‐ nienne, la sédentaris­ation de ses ancêtres a eu pour effet de compromett­re la trans‐ mission du patrimoine cultu‐ rel de la nation. Se déplaçant moins sur le territoire, les Ati‐ kamekw modernes sont non seulement moins en forme,

mais ils oublient des mots, ce qui met la langue en péril et les plonge dans une insécu‐ rité culturelle.

Elle trace lien de causalité direct entre la présence sur le territoire et la survie de la langue.

Sans le territoire, la langue disparaîtr­ait. On a be‐ soin du territoire pour faire vivre la langue.

Catherine Boivin, cinéaste C’est pourquoi un des messages qu’elle véhicule dans son court métrage est de se réappropri­er le terri‐ toire, et par conséquent la culture, au nom des an‐ ciennes et des prochaines gé‐ nérations

C'est important de penser à nos ancêtres parce que eux ils ne marchent plus sur cette terre en ce moment. Mais nous, on en est là. Il faut qu'on occupe cet espace-là. Il faut qu'on soit présent sur le territoire.

Prendre sa place avec in‐ tégrité

À travers ces quêtes de ré‐ appropriat­ion culturelle, les deux femmes autochtone­s se donnent comme mission d’occuper cet espace que la société semble dorénavant leur accorder, et ce, en toute intégrité.

On se permet, on se donne la permission de ra‐ conter les choses et, même là, de raconter ce qu'on veut aussi. On n'est pas là pour faire plaisir, affirme Cathe‐ rine Boivin qui encourage les futurs cinéastes autochtone­s à continuer de raconter des histoires selon leurs perspec‐ tives.

La finalité des courts mé‐ trages autochtone­s ne consiste pas non plus à édu‐ quer les allochtone­s, contrai‐ rement à la philosophi­e qui prévalait dans un passé pas si lointain.

Ce que j'observe avec les films qu'on a reçus, c'est qu'on arrive tranquille­ment à une autre étape où les Au‐ tochtones font moins des films à titre informatif. On n'éduque moins les gens sur ce qui s'est passé. On est plus dans des histoires, avance Vincent Carreau qui note que ce phénomène concerne particuliè­rement les gens qui n'ont pas grandi avec toutes les attaches à leur culture, mais qui es‐ sayent de se reconnecte­r.

Je n'ai pas fait le film dans l'intention de montrer la culture inuit aux gens, dé‐ clare quant à elle Jessica Miinguuaqt­ii. C'était avant tout une question de passion et de curiosité. Elle est d’ailleurs d’avis que la meilleure forme d’éducation est celle qui n'essaye pas de faire avaler quelque chose aux gens à la cuillère.

Mais avant d’avoir un véri‐ table impact dans le réel, l’ar‐ tiste inuk estime qu’une étape préalable et fonda‐ mentale est nécessaire : ré‐ concilier ses expérience­s des réalités occidental­es et au‐ tochtones.

Avant d'avoir un impact sur l'extérieur, il faut d'abord s’attarder à notre for inté‐ rieur. Parce que je suis une femme inuk, mais que j'ai aussi un héritage de colons blancs et européens. Que je le veuille ou non, j'incarne ce pont en moi-même, en ré‐ conciliant tout cela en moi.

C’est à travers ces ré‐ flexions que celle-ci juge que son travail s’avéra davantage une fenêtre vers les réalités autochtone­s.

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