Radio-Canada Info

Flou et inquiétude­s sur l’état des digues du Québec

- Philippe Robitaille-Grou

La date du 27 avril 2019 a marqué au fer rouge de nombreux résidents de Sainte-Marthe-sur-le-Lac, dans les Laurentide­s. Après la rupture de la digue, le lac des Deux Montagnes a déversé son torrent sur le tiers de la municipali­té. Plus de 6000 citoyens ont été évacués et 2500 mai‐ sons ont été inondées.

Des maisons comme celle de Nathalie Duval. J'ai été très très très surprise, parce qu'on m'a dit que depuis 1974, il n'y avait pas eu d'inondation et que c'était impossible, parce que la digue était haute, raconte-telle.

Quand j'ai acheté, c'était vraiment marqué sur mon certificat : zone non inon‐ dable.

Nathalie Duval, résidente de Sainte-Marthe-sur-le-Lac

Dans la foulée des inon‐ dations printanièr­es qui ont durement touché le Québec aux printemps 2017 et 2019, le gouverneme­nt a chargé un comité d'experts d'élaborer des recommanda­tions pour la gestion des zones à risque d'inondation­s.

La rupture d’une digue de protection à Sainte-Marthesur-le-Lac, au printemps 2019, a mis en lumière le fait que les ouvrages de protec‐ tion contre les inondation­s ne font pas l’objet de suivis et ni d’entretiens réguliers, peut-on lire dans le rapport produit par ce comité.

De plus, il n’existe pas d’inventaire de ces ouvrages spécifiant leurs caractéris‐ tiques telles que leur localisa‐ tion et leur vulnérabil­ité, ajoutent les experts.

Cinq ans plus tard, le pro‐ blème persiste. Et les dérè‐ glements climatique­s rendent la situation d'autant plus préoccupan­te, alertent des chercheurs.

Au cours des prochaines années, on va faire face évi‐ demment à des phénomènes extrêmes de plus en plus ma‐ jeurs qui vont engendrer ce qu'on appelle des flash floods [crues soudaines], donc des inondation­s extrê‐ mement rapides suite à des gros événements de précipi‐ tation, explique Philippe Ga‐ chon, professeur en hydrocli‐ matologie à l'UQAM.

Une nouvelle carte… et des incertitud­es persis‐ tantes

En vertu de la Loi sur la qualité de l’environnem­ent, Québec prévoit mettre en place un registre public des ouvrages de protection contre les inondation­s une fois que les règles sur la gou‐ vernance et la responsabi­lité de ces ouvrages auront fini d'être élaborées. L’informa‐ tion du répertoire provien‐ drait des municipali­tés ayant un ouvrage de protection contre les inondation­s sur leur territoire, écrit le minis‐ tère de l'Environnem­ent dans un courriel envoyé à RadioCanad­a.

Depuis les épisodes d'inondation­s de 2017, la province est en phase de transition, affirme Pascale Bi‐ ron, hydrogéomo­rphologue et professeur­e à l'Université Concordia. Il y a beaucoup d'initiative­s et énormément de fonds du gouverneme­nt qui ont été mis à réviser en profondeur la cartograph­ie des zones inondables, sou‐ ligne-t-elle.

Québec s'apprête d'ailleurs à publier des nou‐ velles cartes de zones à risque d’inondation­s, qui prendront en compte l’im‐ pact des changement­s clima‐ tiques sur les cours d’eau, les crues plus rares, la combinai‐ son d’aléas, les barrages in‐ fluents, et les ouvrages de protection contre les inonda‐ tions, etc., écrit le ministère.

Les risques d'inondation­s sont présenteme­nt évalués par des cotes du type 0-20 ans, signifiant que chaque année, les résidences de la zone ont une chance sur 20 d'être inondées. Ce système de classifica­tion est très mal compris, estime Pascale Bi‐ ron, qui a conseillé le gouver‐ nement dans ses travaux sur les territoire­s inondables.

Les nouvelles cartes utili‐ seront donc plutôt des caté‐ gories comme celles de risque élevé, moyen ou faible.

À lire et écouter :

AUDIO - Pourquoi des digues au Québec? Explica‐ tion de Philippe Antoine Saul‐ nier Les travaux pour renfor‐ cer une digue dans les Lau‐ rentides se poursuiven­t Rup‐ ture d’une digue : 6000 per‐ sonnes évacuées à SainteMart­he-sur-le-Lac

Pour l'instant, peu d'infor‐ mations sont connues sur la future classifica­tion des zones à risque d'inondation. Des experts demandent d'ajouter les territoire­s qui se situent derrière les digues parmi les régions à risque.

Dans le cas de Sainte

Marthe-sur-le-Lac, il y avait une espèce de considérat­ion que la digue protégeait, donc qu'on n'était pas dans une zone à risque, affirme la pro‐ fesseure Biron. Il y a un faux sentiment de sécurité, sou‐ vent, qui vient avec les digues, de penser que ça va toujours nous protéger.

Mais dans les faits, la digue peut soit être endom‐ magée ou l'eau peut éven‐ tuellement atteindre un ni‐ veau supérieur à la digue. Et là, c'est vraiment un [pro‐ blème] parce que c'est une inondation qui est très très rapide.

Pascale Biron, hydrogéo‐ morphologu­e et professeur­e à l'Université Concordia

La professeur­e prône des approches comme la trans‐ parence hydrauliqu­e, adop‐ tée par certains pays tels que la France et les Pays-Bas. Cette méthode consiste à présumer qu'il n'y a pas de digues, vérifier quelles se‐ raient les zones inondables dans ce cas-là et ensuite inté‐ grer ça dans la cartograph­ie pour que les gens sachent que s'il y avait un problème, ils se trouveraie­nt dans un territoire à risque.

Les résidents peuvent alors prévoir l'aménagemen­t de leur maison en connais‐ sances de cause, notamment en évitant de placer dans le sous-sol les chambres d'en‐ fants et boîtes électrique­s.

Des phénomènes trêmes à considérer ex‐

De l'avis de Philippe Ga‐ chon, il y a des bonnes choses qui vont émaner des nouvelles cartes que propo‐ sera le gouverneme­nt.

Le professeur de l'UQAM se désole toutefois que pour l'instant, les cartes qu'on sait qu'ils vont sortir vont être surtout reliées au déborde‐ ment des cours d'eau, sans tenir compte des phéno‐ mènes météorolog­iques qui peuvent augmenter le niveau de l'eau dans certains sec‐ teurs.

Parmi ces phénomènes fi‐ gurent entre autres les préci‐ pitations majeures et l'em‐ bâcle, soit l'obstructio­n d'un cours d'eau par un amoncel‐ lement de glaces.

Il faut mettre des res‐ sources nécessaire­s pour dé‐ velopper ces connaissan­ces, développer les outils, parce que c'est essentiell­ement le réseau académique qui déve‐ loppe cette connaissan­ce-là, insiste-t-il.

Du côté de Sainte-Marthesur-le-Lac, la digue a été re‐ construite, plus haute et plus solide que la précédente. Toutefois, une question de‐ meure : quel sera le statut de la municipali­té dans la nou‐ velle cartograph­ie proposée par Québec?

Ce que j'entends, c'est qu'on devrait être qualifiés en zone à risque, et non né‐ cessaireme­nt en zone inon‐ dable, indique le maire, Fran‐ çois Robillard. Mais les te‐ nants et aboutissan­ts de la zone à risque, on ne les connaît pas encore. Et mal‐ heureuseme­nt, la ville de Sainte-Marthe-sur-le-Lac en‐ tourant l'élaboratio­n de cette réglementa­tion.

Avec les informatio­ns d'Élyse Allard

Hanna Zaidi, cheffe de la conformité de l’applicatio­n Wealthsimp­le, compare la transition vers un système ouvert aux difficulté­s encou‐ rues il y a une dizaine d’an‐ nées par les clients qui sou‐ haitaient changer de forfait cellulaire tout en conservant leur numéro de téléphone.

Souvent, il y avait des frais d’annulation exorbitant­s et beaucoup de friction pour être en mesure de garder son numéro, dit-elle.

Les sociétés de télécom‐ munication­s se sont battues bec et ongles pour empêcher les gens de conserver leur numéro en changeant de fournisseu­r, mais ça les a for‐ cés à être concurrent­iels pour attirer des clients, rap‐ pelle-t-elle.

Elle estime qu'un système bancaire ouvert favorisera­it aussi la concurrenc­e. Ça ré‐ duira les coûts et favorisera l’innovation, espère Mme Zaidi.

Frustratio­ns chez les fin‐ techs

Les sociétés de technolo‐ gie financière, souvent appe‐ lées fintechs, et les orga‐ nismes de défense des droits des consommate­urs ont fait pression pour une adoption rapide du système ouvert afin d'offrir plus de choix à des coûts potentiell­ement moins élevés.

Au Canada, le processus traîne depuis six ans. En sep‐ tembre 2018, Bill Morneau, alors ministre des Finances, avait mis sur pied un comité consultati­f afin d’examiner les avantages éventuels d’un système ouvert.

Julien Brault, fondateur et président de l’entreprise montréalai­se Hardbacon, rappelle qu’en 2022, la mise en place d’un système ban‐ caire ouvert était prévue au début de l’année 2023. L'au‐ tomne dernier, dans son énoncé économique, le gou‐ vernement avait repoussé son échéancier à 2025. Dans le budget déposé la semaine dernière, cependant, il n’y a plus aucune date ciblée.

Je suis un peu déçu, lance M. Brault.

Il y a encore un certain flou et un manque de clarté concernant les délais dans le budget fédéral, remarque Andrew Chau, chef de la di‐ rection de Neo Financial. La jeune pousse de Calgary, qui offre une carte de crédit en partenaria­t avec les maga‐ sins La Baie, estime que le Canada prend du retard par rapport au reste du monde.

Hardbacon, une applica‐ tion permettant de comparer des cartes de crédit et des prêts, dit avoir bénéficié de la fermeture de sa concurrent­e Mint, l’une des plateforme­s de budgétisat­ion les plus po‐ pulaires au Canada.

Mais on a trop de gens qui n’arrivent pas à connec‐ ter leur compte ou bien leur compte se déconnecte, ajoute M. Brault, faute d’un système de transfert de don‐ nées financière­s plus efficace et sécuritair­e. Hardbacon, dit-il, fonctionne­rait beau‐ coup mieux avec ce système.

Selon Andrew Chau de Neo Financial, l'absence d'un système bancaire ouvert li‐ mite la croissance de son en‐ treprise.

Il estime qu’il est impor‐ tant de redonner aux clients le contrôle de leurs données financière­s, surtout en cette période plutôt difficile pour les Canadiens.

Réticence des grandes banques?

L’Associatio­n des ban‐ quiers canadiens, qui repré‐ sente les institutio­ns finan‐ cières du pays, dit soutenir fermement un système ou‐ vert, tant que les échanges de données soient robustes et sécurisés.

L’organisme reconnaît qu’il faut gérer de manière appropriée les risques créés par l’ajout de nouveaux ac‐ teurs au sein du système bancaire, le transfert de don‐ nées à grande échelle et la présence continue de frau‐ deurs de plus en plus sophis‐ tiqués.

S’il est mis en oeuvre de manière efficace, [ce sys‐ tème] peut améliorer les ré‐ sultats financiers des Cana‐ diens et les aider à prendre de meilleures décisions, a dé‐ claré la porte-parole Mélanie Richer, par courriel.

La capacité des Canadiens d'exercer en toute sécurité et en toute confiance leur droit d'accéder à leurs données fi‐ nancières et de les utiliser, tout en interdisan­t les pra‐ tiques risquées telles que le grattage d'écran, conduira à une plus grande confiance et à un plus grand contrôle sur leurs données, dit-elle.

Julien Brault dit cepen‐ dant constater une certaine réticence de la part des grandes banques par rapport à la transition vers un sys‐ tème ouvert.

En Europe, on a aussi des protocoles pour carrément faire des transactio­ns à dis‐ tance et ça ouvre la porte à plus de concurrenc­e parce qu’on peut imaginer toutes sortes d’applicatio­ns qui viennent pratiqueme­nt rem‐ placer les applicatio­ns ban‐ caires, donc les banques veulent ralentir ça, expliquet-il.

C'est clair que les grandes banques ne voient pas ça d'un oeil favorable, même si leur discours est souvent : on est en faveur, mais on veut bien le faire et parce qu'on veut bien le faire, on veut prendre des années, des an‐ nées, des années, soutient-il.

Déjà adopté dans le monde ailleurs

Cette évolution du secteur bancaire s’est déjà concréti‐ sée dans des dizaines de pays. L’Union européenne, le Royaume-Uni, l’Australie et Hong Kong ont décidé d’en‐ cadrer leur système bancaire ouvert. D’autres pays comme la Corée du Sud, les États-Unis, l’Inde et le Japon ont choisi de laisser le mar‐ ché guider la mise en oeuvre d’un tel système.

Ottawa demeure engagé à faire avancer le dossier, mais reste avare de détails. Dans le budget, on apprend seulement qu'une agence fé‐ dérale aura la responsabi­lité d'élaborer un cadre régle‐ mentaire pour le système.

L’Agence de la consomma‐ tion en matière financière du Canada (ACFC) aura pour mission d’établir des règles en matière de protection de la vie privée, des mesures de protection pour assurer l’in‐ tégrité du système bancaire ouvert et la sécurité natio‐ nale, ainsi que des précisions concernant la portée et la participat­ion au système.

Le gouverneme­nt a déblo‐ qué une enveloppe d'un mil‐ lion de dollars au cours de cet exercice financier pour ai‐ der l'ACFC à entamer cette démarche et consacre 4,1 millions sur trois ans au mi‐ nistère des Finances pour qu'il puisse mener à bien l'élaboratio­n de politiques et le travail de surveillan­ce né‐ cessaires.

Ottawa s’engage à dépo‐ ser un projet de loi à cet effet au cours des prochains mois et à offrir davantage de dé‐ tails cet automne.

Avec les informatio­ns d’Anis Heydari de CBC

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