Désintoxication forcée : un projet de loi « flou » et « inquiétant », dit un psychiatre
Au Nouveau-Brunswick, le gouvernement Higgs veut présenter un projet de loi qui forcerait certains toxi‐ comanes à se faire soigner contre leur gré. L’idée a dé‐ jà vivement fait réagir les travailleurs sociaux et de rue et c’est maintenant au tour des professionnels de la santé de lever un dra‐ peau rouge.
Le Dr Benoit Bergeron, psychiatre au Centre hospita‐ lier universitaire Dr-GeorgesL.-Dumont, assure que ni lui ni ses homologues de la Commission des psychiatres n’ont été consultés par la province jusqu'à maintenant.
On a des inquiétudes sur qu’est-ce qui va représenter ce projet de loi, qui demeure très flou pour nous, affirmet-il.
Le Dr Benoit Bergeron tra‐ vaille directement avec la po‐ pulation itinérante, dont une partie est sujette à des en‐ jeux de consommation de drogue. Ce que les toxico‐ manes de la rue ont besoin avant toute autre chose, ditil, c’est de l’espoir.
Ils ont besoin d’avoir une place où ils se sentent en sé‐ curité de partager leur pro‐ blématique, ce qui n’est déjà pas évident avec le climat de méfiance qu’ils peuvent avoir avec les soins actuellement en place.
Le Dr Benoit Bergeron précise que pour soigner la maladie qu’est la toxicoma‐ nie, une approche flexible en‐ vers ceux qui en souffrent est primordiale.
Parce que ce sont des gens qui, lorsqu’ils sont très enfoncés dans la toxicoma‐ nie vont perdre parfois des repères temporels et ne se‐ ront pas nécessairement ca‐ pables de se souvenir de leur rendez-vous, donne-t-il en exemple. Ils ont besoin de soins qui vont à eux, dans la communauté.
Par ailleurs, l’une des plus grandes problématiques aux‐ quelles font face les toxico‐ manes est l’accès au loge‐ ment. On n’a pas d’héberge‐ ment capable de tolérer les gens qui ont ces probléma‐ tiques de santé mentale là, soutient le Dr Benoit Berge‐ ron.
J’ai des patients qu’on va finir par réussir à être héber‐ gés et qui vont se faire mettre à la porte parce qu’ils n’ont pas réglé le problème de consommation qui n’est pas une problématique qui se règle du jour au lende‐ main poursuit-il.
Il existe déjà une loi sur la santé mentale
Le gouvernement Higgs a précisé que le projet de loi de désintoxication forcée ne toucherait pas l’ensemble des consommateurs, mais plutôt ceux qui sont un dan‐ ger pour eux-mêmes ou un danger pour autrui.
Pour le Dr Benoit Berge‐ ron, cette déclaration est en‐ core une fois très floue, et laisse place à la libre inter‐ prétation.
Il existe déjà une loi sur la santé mentale où il y a des gens qui peuvent avoir tem‐ porairement des libertés res‐ treintes sous prétexte que l’état mental engendre une dangerosité pour lui-même ou pour autrui, rappelle-t-il.
Pour nous, c’est inévitable qu’il s’agit d’un enjeu de santé, de soins, puis de santé sociale. Et actuellement, ça semble être beaucoup du côté de la sécurité du public que l’enjeu est amené. Dr Benoit Bergeron
Le Dr Benoit Bergeron ad‐ met qu’il existe des cas mi‐ nimes ou extrêmes où la question pourrait se poser à savoir si une intervention plus drastique est nécessaire.
Or, cette décision devrait venir de la communauté mé‐ dicale, dit-il.
Ça va tomber dans la cour de la Santé
Forcer des gens dans la rue à aller se faire soigner, cela signifie aussi faire grim‐ per le nombre de patients dans les centres de réadapta‐ tion de la province. Mais, à la connaissance du Dr Benoit Bergeron, les ressources ac‐ tuelles de ces établissements n’auront pas la capacité de les accueillir.
À Moncton, le centre de désintoxication a fermé tem‐ porairement il y a quelques mois déjà, avant même qu’un projet comme ça passe, donne-t-il en exemple. J’ai des patients qui attendent pendant plusieurs semaines ou mois d’avoir une opportu‐ nité d’aller en centre de ré‐ adaptation.
On n’a déjà pas les res‐ sources en place pour les gens qui veulent de l’aide. Dr Benoit Bergeron De plus, dit-il, l’attente pour avoir accès à des traite‐ ments peut facilement dis‐ suader les toxicomanes vou‐ lant, de leur plein gré, s’enga‐ ger sur ce chemin de guéri‐ son: Quand le délai devient trop long, ils abandonnent. On a perdu notre momen‐ tum avec eux, se désole le Dr Benoit Bergeron.
Bien que le projet de loi n’a pas encore été déposé, la Commission des psychiatres continuera à surveiller le dos‐ sier de près.
C’est certain que ça va tomber dans la cour de la santé. On est assez inquiet, dit le Dr Benoit Bergeron
Avec des renseignements de Karine Godin