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Dans l’oeil d’Ivanoh : les bonnes idées ne donnent pas toujours de bonnes photos

- Ivanoh Demers

Le photograph­e constammen­t à cherche d’une scène origi‐ nale à croquer, il imagine souvent des scénarios, tente d'anticiper l'action. Il peut avoir en tête une cer‐ taine compositio­n et tenter de prévoir où les différents sujets vont se placer.

En faisant preuve de pa‐ tience, il va régulièrem­ent obtenir la photo désirée après plusieurs minutes d'es‐ sais infructueu­x. Mais par‐ fois, même après de mul‐ tiples tentatives, les résultats peuvent ne pas être bons. Et il faut savoir le reconnaîtr­e.

Nous sommes à Saint-Pé‐ tersbourg, en Russie. Des ca‐ dets russes se préparent pour une cérémonie qui aura lieu le 9 mai pour souligner la victoire des Russes contre les Allemands lors de la Seconde Guerre mondiale.

La photograph­e Olga Maltseva a repéré un soldat immobile, qu’elle a placé à l’avant-plan. Derrière, un groupe de cadets se dirige vers elle d’un pas rapide.

Je me permets d’interpré‐ ter son raisonneme­nt : en réalisant ses photograph­ies avec une basse vitesse d’ob‐ turation (environ 1/8 ou 1/15 seconde), l’arrière-plan fera l’objet d’un « flou de mouve‐ ment » (ou « flou cinétique »), ce qui créera un superbe ef‐ fet et montrera que le défilé est en marche. Si le soldat qui tient un fusil reste bien immobile, il apparaîtra net sur la photo malgré la basse vitesse, ce qui fera un beau contraste avec les troupes derrière.

Une très bonne idée, qui valait la peine d’être essayée. D’ailleurs, on voit que l’effet de mouvement des militaires qui paradent est parfaite‐ ment réussi.

Par contre, le sujet en avant n’est pas net : il subit lui aussi un certain flou de mouvement ou peut-être un « flou de bougé » (induit par un mouvement de la main) sans aucun doute accidentel -, ce qui bousille l’idée.

On a souvent le réflexe de vouloir publier une photo parce qu’on y a consacré un temps considérab­le. Erreur. Il faut être capable de lâcher prise et de laisser tomber son idée. Mieux vaut se concentrer sur la prochaine prise de vue.

Lorsqu’on couvre la poli‐ tique, notamment, porter une attention particuliè­re au positionne­ment des mains et à l’expression du visage per‐ met de réussir de très bonnes photos. J’ai d’ailleurs déjà consacré une chronique à la gestuelle des mains.

Le photograph­e Sergei Gapon a choisi d’exploiter cette notion, la semaine der‐ nière, alors que le premier ministre britanniqu­e Rishi Su‐ nak était en visite à Varsovie, en Pologne.

Mais ici, la main est mal située et cache presque la to‐ talité du visage de M. Sunak. La mise au point a été faite sur ses doigts. Et son oeil, qu’on voit partiellem­ent, est flou. Son expression faciale est donc difficile à interpré‐ ter. Résultat : une photogra‐ phie confuse.

Le Congrès américain a adopté mardi un plan d’aide militaire et économique d’ur‐ gence de 95 milliards de dol‐ lars pour l’Ukraine, Israël et Taïwan. Il a reçu un très large soutien au Sénat.

Le photograph­e Andrew Harnik était au Capitole pour illustrer ce vote. Il a choisi de montrer un ouvrier qui me‐ surait un puits de lumière fracassé. On perçoit à l’ar‐ rière-plan l’imposante archi‐ tecture de l’édifice. Le projec‐ teur à gauche est défec‐ tueux.

Quel est le concept der‐ rière cette photo? Quel est le lien entre un homme qui va réparer une vitre brisée et le Sénat des États-Unis qui ac‐ corde une aide financière de 95 milliards? Quelle informa‐ tion émane de cette image?

Je cherche toujours.

En attente du deuxième tour des élections générales en Inde, une fête a été orga‐ nisée pour le président du Bharatiya Janata Party, Amit Shah, dans la région de Ben‐ galuru.

Un homme en vêtement traditionn­el regarde le photo‐ graphe avec de grands yeux et tire la langue. Elle devient forcément un élément im‐ portant de l’image.

Qui est ce personnage? Que fait-il? Est-ce que ce geste fait partie d’un spec‐ tacle? Quel lien doit-on faire avec les élections générales au pays? Autre irritant : la femme à gauche de la photo nous regarde, ce qui dé‐ tourne inutilemen­t notre at‐ tention.

Lorsqu’on se pose autant de questions sur une photo, c’est qu’elle rate la cible.

Mon clin d'oeil de la se‐ maine

Dans le cadre d’un repor‐ tage des journalist­es Daniel Boily et Davide Gentile sur les hospitalis­ations à domi‐ cile, j’ai accompagné l’infir‐ mier Marc-André Tremblay alors qu’il allait voir des pa‐ tients chez eux.

Mon idée était de prendre une photo à travers le dos‐ sier d’une chaise de cuisine. Il était important de montrer que l'action se situait dans la résidence du patient. Équipé d’un objectif grand-angle, je me suis servi d’un trou dans le dossier pour encadrer la scène. Et j’ai attendu plu‐ sieurs minutes un moment qui montrait bien les soins prodigués à la maison.

Je ne vous montre toute‐ fois pas les photograph­ies moins réussies (plus d’une centaine) que j’ai prises avant d’arriver à un résultat que j’aimais…

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