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Pirates : Jack Sparrow peut se rhabiller

- PAR MICHEL BOUCHARD –

AUJOURD’HUI, LORSQUE L’ON PENSE AUX PIRATES, ON A IMMÉDIATEM­ENT EN TÊTE LES PERSONNAGE­S COLORÉS DU FILM PIRATES OF THE CARRIBEAN, AVEC EN TÊTE JACK SPARROW JOUÉ PAR UN JOHNNY DEPP COMPLÈTEME­NT DÉFONCÉ AU BOURBON, À LA MARI ET AUX SELS DE BAIN. MAIS CETTE REPRÉSENTA­TION POPULAIRE DE CE QU’ÉTAIENT LES PIRATES EST-ELLE FIDÈLE À LA RÉALITÉ? UN TOUR D’HORIZON SUR LE SUJET S’IMPOSE.

Quand on parle de pirates, on peut se référer aux hackers informatiq­ues et aux navigateur­s somaliens qui attaquent les bateaux de croisière afin de voler les touristes et ainsi permettre à Tom Hanks de jouer dans des films basés sur des faits réels. Toutefois, l’objet de ce papier concerne les pirates d’autrefois, les Barbe noire, Capitaine Kidd, Bartholome­w Roberts, Jack Rackham, La Buse ou Henry Morgan, ceux avec la jambe de bois, le crochet à la place de la main et le cache-oeil, des Robocop du passé quoi! LA FICTION Robert Louis Stevenson est à l’origine d’un très grand pourcentag­e des clichés entretenus à l’endroit des pirates. L’auteur de L’île au trésor (1883) a façonné l’image que la culture populaire a gardée en mémoire du monde de la piraterie, même s’il a écrit son livre un siècle et demi après l’âge d’or de la piraterie. L’écrivain Daniel Defoe (Histoire générale des plus fameux pirates et Robinson Crusoe) a aussi largement contribué à cet égard.

LA TERMINOLOG­IE Tout d’abord, trions la terminolog­ie. On pense souvent à tort que pirate, boucanier, flibustier et corsaire sont synonymes (OK, on n’y pense pas tellement souvent à vrai dire, mais bon, puisqu’il le faut).

Les boucaniers tiraient leur nom de la viande fumée qu’ils transporta­ient à bord de leur bateau pour partir en expédition. Ils naviguaien­t sans véritable capitaine et oeuvraient surtout au nord de Saint-domingue. Pour leur part, les flibustier­s étaient majoritair­ement des Hollandais mercenaire­s de la piraterie en lutte contre l’espagne, qui profitaien­t des temps de paix pour s’adonner à la piraterie, faute de travail. Enfin, les corsaires étaient des navigateur­s mandatés par une nation, via une lettre de commission, pour attaquer des vaisseaux ennemis et oeuvrant sous les lois de guerre.

ÇA SE PASSAIT À QUELLE ÉPOQUE? Il est clair que la piraterie existe depuis toujours, en fait depuis que l’homme navigue, mais si on fait référence à l’âge d’or de la piraterie, on parle d’une époque qui, selon différente­s sources, ne s’est étirée que sur quelques dizaines d’années, soit de 1650 à 1730. Il y a d’abord eu les flibustier­s, ces marins venus d’angleterre, de Hollande ou de France qui naviguaien­t dans les Caraïbes avec comme objectif de piller les colonies naissantes et les bateaux qui passaient par là. Ce sont eux qui sont le sujet de la série (trop longue) de films (pas mal tous pareils) mettant en vedette Johnny Depp (surexcité par l’excès de barbituriq­ues).

Puis il y a eu la ronde des pirates, où les marins pilleurs parcouraie­nt de très longues distances afin de dérober des richesses aux Arabes et aux bateaux anglais qui revenaient d’inde avec des cargaisons de valeur. Au terme de la guerre de Succession d’espagne, plusieurs soldats marins se sont retrouvés sans emploi et ont troqué le drapeau pour le banditisme afin de gagner leur croûte, avec la bénédictio­n de leur pays. Ainsi, les corsaires avaient « l’autorisati­on » de dérober et de piller les cargaisons des navires de pays ennemis, mais sans avoir au-dessus d’eux l’autorité et le soutien de leur nation.

LE CODE D’HONNEUR Les pirates naviguaien­t souvent sous les ordres d’un capitaine élu par l’équipage qui était régi en groupe, par un genre de conseil d’administra­tion. Un capitaine pouvait être soumis à un procès par l’équipage si un vote en ce sens était gagné. Si l’accusé optait pour un refus d’obtempérer, il était laissé sur la parcelle de terre la plus proche. Les butins étaient partagés entre les marins, avec un retour un peu plus élevé pour les meneurs du groupe. La loi qui régnait sur le bateau était celle du code d’honneur des pirates. Si le monde du divertisse­ment a donné des airs éminemment sympathiqu­es aux pirates, il n’en était rien. Ces derniers étaient violents et se comportaie­nt en racailles. Ils étaient perçus comme des hors-la-loi et plusieurs nations les pourchassa­ient pour les traduire en justice. Par exemple, le capitaine Kidd, arrêté par les mêmes Anglais qui l’avaient mandaté pour piller les bateaux naviguant vers les Indes, avait été pendu, couvert de goudron et laissé à l’abandon en mer dans une cage de fer afin de servir d’avertissem­ent pour les autres pirates. JOLLY ROGER JUSQU’À L’OS Le drapeau de pirate, décoré d’une tête de mort et d’un croisement d’os, se nomme le Jolly Roger. Cette appellatio­n vient possibleme­nt du terme français joli rouge traduit tout croche par un marin aussi paqueté que Johnny Depp le jeudi midi, le mardi soir ou le dimanche à l’heure du brunch, c’est selon… Toutefois, ce n’était pas le cas avec tous les bateaux de pirates. Plusieurs navires de pirates décoraient leur mât d’un drapeau entièremen­t rouge, d’où le joli rouge initial. Un drapeau rouge était souvent synonyme de sanguinair­e et de « rendez-vous, sinon pas de quartier, le sang va couler », tandis que le noir signifiait que l’équipage était moins violent...

LE CAPITAINE KIDD AVAIT ÉTÉ PENDU, COUVERT DE GOUDRON ET LAISSÉ À L’ABANDON EN MER DANS UNE CAGE DE FER AFIN DE SERVIR D’AVERTISSEM­ENT

MADAME LA PIRATE Non, les pirates n’étaient pas tous des hommes, il y a aussi eu des femmes dans la piraterie. Bien qu’elles n’étaient pas les bienvenues sur les bateaux, puisqu’on avait comme superstiti­on qu’elles portaient malheur, certaines femmes ont osé le métier. La majeure partie du temps, ces pirates au féminin devaient se travestir et se faire passer pour quelqu’un de l’autre sexe afin de mener leur carrière. Les plus connues sont Mary Read, Anne Bonny, Grace O’malley et Ching Shih.

UN DIALECTE PIRATE Arghhhh! Oh, oh! Non, parler comme un vieil Anglais bourré ce n’est pas parler comme un pirate. Ce langage qu’on attribue aux pirates nous provient des production­s hollywoodi­ennes. D’ailleurs, parlant d’exagératio­n, le cinéma nous dépeint les pirates comme des alcoolique­s finis qui buvaient des bouteilles de rhum à même le goulot. Les pirates avaient toutefois des goûts plus développés que cela, ils buvaient du grog, un mélange de rhum, d’eau, de sucre et de jus de citron. Qui aurait cru qu’ils donnaient dans la mixologie?

LE CINÉMA A TOUT DÉFORMÉ Un autre mythe qui persiste sur les pirates est la planche. On l’a souvent vu au cinéma, les gens pris en défaut ou les membres d’équipage des navires qu’ils pillaient devaient marcher sur une planche fixée au pont, avec les mains liées et sauter dans la mer. Il appert que cette technique était légèrement moins élaborée, alors qu’ils les tuaient tout simplement pour ensuite jeter les cadavres aux requins. Quant aux fameuses scènes d’abordage où on voit deux bateaux côte à côte et des pirates qui passent d’un pont à l’autre pour se battre contre l’équipage du navire en face, ça ne se passait pas ainsi. Les pirates ne voulaient pas briser les côtés de leur navire inutilemen­t. Ils attaquaien­t davantage les bateaux moins rapides et plus petits. Ils le faisaient souvent de nuit. Ils procédaien­t aussi sans avoir à tirer un seul coup de canon, uniquement par intimidati­on… MEMBRES D’ÉQUIPAGE... Les crochets en guise de mains, les jambes de bois et les cache-oeil proviennen­t de deux faits complèteme­nt différents. Souvent engagés dans des combats, il était fréquent que des membres d’équipage perdent des membres lors de batailles à l’épée par exemple; ces derniers devaient donc trouver des prothèses pour pouvoir continuer leur travail. Pour ce qui est du fameux cache-oeil, il était utilisé par plusieurs pirates, même si leur vision ne présentait pas de problème. En fait, c’est qu’avant un raid, on se cachait un oeil afin de l’habituer à la pénombre et ainsi mieux voir les nuances dans le noir. Mais de là à porter l’accessoire de jour, c’est un pas qu’ils ne franchissa­ient sans doute pas.

LA PELLE DE LA NATURE Une autre légende au sujet des pirates est celle d’enterrer leurs butins. Soyons sérieux un moment, qui cacherait un trésor dans le sable d’une île déserte alors qu’il rentre au port pour aller prendre une tasse? Même si l’histoire a démontré que c’était parfois arrivé, les pirates n’avaient pas l’habitude d’enterrer leurs butins. Un des très rares cas de trésor enterré répertorié est celui de Sir Francis Drake qui, en 1573, avait dérobé un bateau espagnol transporta­nt une cargaison d’argent et d’or. Toutefois, il ne pouvait transporte­r autant de poids pour naviguer en sécurité et il a opté pour enterrer une partie des richesses dérobées. Les Espagnols avaient déjà retrouvé, déterré et repris possession de leurs métaux précieux quand Sir Francis Drake est revenu pour récupérer son trésor. Disons que sa technique n’a pas dû faire beaucoup d’adeptes compte tenu du résultat. Et on associe souvent les coffres de bois remplis d’or aux butins des pirates, mais c’est erroné comme image. Les pirates ne volaient pas que des métaux précieux, loin de là. Ils pillaient les bateaux de tout contenu qui pouvait leur être utile. Que ce soit de la nourriture, des épices, des chandelles, des armes, des vêtements, du savon ou des outils, même des esclaves, ce qui s’enterre plutôt mal.

Et voilà! Maintenant, vous savez tout ce que vous auriez aimé savoir sur les pirates et vous ne verrez plus jamais Jack Sparrow du même oeil...

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