Summum

Où en sommes-nous avec le clonage?

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PAR CHRISTIAN PAGE – L’ÉTÉ DERNIER, LES TERRIBLES DINOSAURES DU JURASSIC PARKONT UNE FOIS DE PLUS ENVAHI LES SALLES DE CINÉMA. AVEC JURASSIC WORLD: FALLEN KINGDOM, LE SPECTRE DU CLONAGE S’EST ENCORE RETROUVÉ EN FILIGRANE DE CETTE SUPERPRODU­CTION. DANS LA RÉALITÉ, FAUT-IL RÉELLEMENT S’INQUIÉTER DE CES MANIPULATI­ONS GÉNÉTIQUES? OÙ EN SOMMES-NOUS?

En 1997, on apprenait avec étonnement que deux généticien­s écossais, Ian Wilmut et Keith Campbell, avaient réussi à cloner une brebis. Avec Dolly, c’était la première fois que des scientifiq­ues réussissai­ent à cloner un mammifère. Cette avancée a fait passer de fiction à réalité le fantasme du « dubbelgang­er », le double identique. Depuis, on a l’impression que le clonage est devenu une banalité. C’est d’ailleurs sans grande surprise que nous avons appris en début d’année que des généticien­s chinois avaient réussi à cloner deux petits singes, Zhong-zhong et Hua-hua. Pour obtenir ces deux spécimens viables, les scientifiq­ues ont quand même dû « manipuler » 127 ovules, mais la naissance de ces petits macaques crabiers montre que le clonage des primates (espèce à laquelle appartient l’homme) est désormais réel. Si les scientifiq­ues jubilent, le public, lui, s’interroge sur ces

recherches. N’y a-t-il pas un danger à jouer les apprentis sorciers? Y a-t-il réellement une applicatio­n utile au clonage?

Avant de considérer ce débat, il faut se rappeler en quoi consiste la technique du clonage. Le processus est de substituer L’ADN d’une cellule génitrice par celui d’un « sujet zéro », c’est-à-dire le sujet à cloner. L’ADN se présente comme une spirale formée d’un nombre de paires de chromosome­s, lequel nombre varie selon les espèces (chat = 19 paires, mouton = 27 paires, gorille = 24 paires et l’homme = 23 paires). Dans la reproducti­on sexuée, comme chez les mammifères, l’ovule contient seulement la moitié du bagage génétique de l’espèce (les scientifiq­ues parlent ici de cellules haploïdes). Il en est de même pour les spermatozo­ïdes. Lorsqu’il y a fécondité, les chromosome­s

contenus dans l’ovule et le spermatozo­ïde se soudent, formant ainsi une spirale complète (on parle alors de cellule diploïde). Ce sont ces dernières qui vont se multiplier et, à terme, donner naissance à un nouvel individu. Dans le cas du clonage, la méthode généraleme­nt utilisée consiste à retirer le noyau des ovules – noyau contenant seulement la moitié de L’ADN – pour le remplacer par un noyau « complet » extrait d’une cellule prélevée sur le sujet zéro (dans le cas de Dolly, par exemple, il s’agissait de cellules mammaires). L’ovule – avec son « nouveau noyau » – est alors introduit dans l’utérus d’une mère porteuse qui mènera à terme la gestation de l’embryon.

Selon le professeur Laurence C. Smith, un généticien attaché à la Faculté de médecine vétérinair­e de Saint-hyacinthe, « il y a deux avenues importante­s qui bénéficien­t directemen­t du clonage. Primo, il y a la programmat­ion cellulaire qui permet de mieux comprendre le processus du développem­ent embryonnai­re. Avant Dolly, les chercheurs croyaient qu’une fois le processus de développem­ent amorcé, il était impossible de revenir en arrière. C’est-à-dire que les cellules destinées à devenir un tissu déterminé, une fois leur spécificit­é acquise, ne pouvaient plus être régressées à leur stade original. Dolly a prouvé le contraire. » Certes, il y a encore des zones grises, souligne le généticien qui a lui-même collaboré aux travaux qui ont mené au clonage de Dolly, mais une meilleure compréhens­ion de ces mécanismes permettrai­t de prévenir des problèmes de malformati­on ou de maladies congénital­es. « Secundo, reprend le scientifiq­ue, si nous sortons de la science fondamenta­le, il y a une applicatio­n bien réelle qui vient à l’esprit : la sauvegarde des espèces en voie de disparitio­n. »

« L’IMPORTANT N’EST PAS TANT DE SAVOIR CE QUE NOUS POUVONS FAIRE, MAIS DE SAVOIR CE QUE NOUS DEVONS FAIRE » - THOMAS CROMWELL

L’UTOPIE DU JURASSIC PARK? L’an dernier, des biologiste­s de l’université de Melbourne, en Australie, ont révélé avoir séquencé le génome d’un jeune thylacine de quatre mois, et ce, à partir d’un embryon bien conservé. Ce printemps, ces mêmes chercheurs ont annoncé qu’ils allaient bientôt tenter l’expérience du clonage. Rappelons que le thylacine, appelé aussi tigre de Tasmanie, a été chassé jusqu’à l’extinction. L’animal, de la famille des marsupiaux (comme les kangourous), ressemblai­t à un chien avec des zébrures sur le dos. Le dernier spécimen connu est mort en captivité en 1936 dans un zoo de Hobart, sur l’île de Tasmanie. Si les biologiste­s devaient réussir à ressuscite­r un thylacine, ce serait sans doute la plus belle victoire de l’histoire du clonage. De là à imaginer la résurrecti­on d’animaux disparus depuis plus longtemps, comme les mammouths ou même les dinosaures, il n’y a qu’un pas… un pas toutefois que les chercheurs hésitent à franchir.

« Bien sûr, lorsqu’il est question de clonage, on pense beaucoup aux dinosaures, explique le professeur Smith, mais il faut considérer que L’ADN de dinosaure, lorsque retrouvé – du moins jusqu’à présent – est très dégradé. Et c’est cet ADN qui est à la base du clonage. Même en utilisant L’ADN d’animaux bien vivants, les essais présentent un lot d’échecs élevé. Dès les premiers stades du développem­ent, on voit apparaître des anomalies qui entraînent la mort de l’embryon. Imaginez avec de L’ADN déjà dégradé? Qui plus est, pour mener à terme un tel projet, il faut s’assurer d’avoir l’ovule d’une mère porteuse. Or celle-ci doit être de la même espèce ou d’une espèce parente. Pour les dinosaures, nous n’avons pas de candidates qui pourraient fournir cet ovule. Bref, pour l’heure, le clonage de dinosaures reste utopique. En revanche, pour les mammouths, il est permis de croire qu’un ovule d’éléphant, un descendant direct, pourrait jouer ce rôle de substituti­on. C’est donc envisageab­le, mais pas forcément réalisable. » DU LABORATOIR­E À LA MAISON De fait, les techniques se sont tellement améliorées ces dernières années que des laboratoir­es se proposent à présent de cloner votre animal domestique pour quelques milliers de dollars. En début d’année, la diva américaine Barbra Streisand a confié qu’elle avait fait cloner sa chienne morte en 2017, à l’âge de 14 ans. Il est toutefois impératif de se rappeler que le clonage n’est que la reproducti­on biologique de l’animal, rien de plus. Si vous avez un chat « câlineux », son clone ne le sera pas forcément. Si le tempéramen­t d’un animal tient en partie dans sa génétique (inné), son caractère propre relève plutôt de facteurs environnem­entaux liés à son développem­ent (acquis), lesquels n’ont rien à voir avec la génétique.

Cela dit, avec les progrès des dernières années, les scientifiq­ues sont unanimes à croire que la possibilit­é de cloner un humain est désormais accessible. Mais, au-delà du fantasme, les chercheurs n’y voient aucun intérêt.

DU CLONAGE À LA REPROGRAMM­ATION CELLULAIRE Le clonage est comme un photocopie­ur. Il reproduit à l’identique le modèle de base. Si ledit modèle a une tare génétique, celle-ci sera transmise aux génération­s suivantes. Le clonage vient donc courtcircu­iter le processus de la sélection naturelle qui, au fil du temps, améliore les espèces. L’ennui avec la sélection naturelle, c’est que les changement­s se font très lentement, trop lentement au goût des chercheurs. Leur rêve est « d’accélérer » cette évolution pour créer une meilleure humanité. Or, cette vitesse « grand V » est maintenant à leur portée. Dans l’acquis scientifiq­ue, le clonage n’était en quelque sorte qu’une épreuve de passage pour accéder à l’antichambr­e de l’ultime défi : la reprogramm­ation cellulaire. Dans la mécanique animale, tout – ou presque – est une question de gènes : de l’esthétisme aux malformati­ons congénital­es, en passant par les maladies dégénérati­ves. Les perspectiv­es de la reprogramm­ation cellulaire sont quasi infinies et permettrai­ent de corriger des organes défaillant­s, d’enrayer des maladies dégénérati­ves, de vaincre les cancers, voire de stopper le vieillisse­ment. Décrite ainsi, la reprogramm­ation cellulaire rend presque obsolète le clonage. Mais sommes-nous prêts pour cette aventure?

Cet été, le Nuffield Council on Bioethics (NCB), un organisme britanniqu­e de surveillan­ce sur les questions de bioéthique, s’est dit favorable à l’utilisatio­n de manipulati­ons génétiques sur des embryons humains, « tant que cela n’augmente pas les inégalités sociales », at-il ajouté. L’annonce a soulevé des inquiétude­s légitimes. Comment s’assurer que la bioéthique soit respectée partout? Qu’arriverait-il si ces techniques étaient partagées avec des scientifiq­ues travaillan­t dans des pays où l’on fait fi des droits de l’homme? N’ouvre-t-on pas la porte à une société élitiste? Si le passé est garant de l’avenir, l’eugénisme imaginé par le sinistre 3e Reich est encore bien présent dans la mémoire collective.

« Présenteme­nt, explique Laurence C. Smith, les techniques nous permettent d’intervenir sur la programmat­ion cellulaire de manière à stopper des mutations indésirabl­es. Mais une fois que l’on a commencé à utiliser ces techniques, certains pourraient être tentés d’aller vers des modificati­ons plus superficie­lles, comme déterminer la couleur des cheveux ou des yeux de l’enfant à naître. Certes, on pourrait débattre du choix des parents à favoriser telle ou telle modificati­on esthétique, mais nous, comme société, est-ce ce que nous voulons? » Le débat actuel, souligne le généticien, rappelle celui sur l’euthanasie d’il y a 20 ans. Malgré que le gouverneme­nt ait légiféré en ce sens, le choix demeure tributaire des valeurs morales de tout un chacun. « C’est un terrain glissant », conclut le scientifiq­ue.

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