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L’état islamique… pour les nuls

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PAR ARNAUD PAGÈS – ORGANISATI­ON RELIGIEUSE ET PARAMILITA­IRE DISPOSANT DE TROUPES ARMÉES JUSQU’AUX DENTS, L’ÉTAT ISLAMIQUE A CONQUIS DÈS 2014 DE VASTES TERRITOIRE­S EN SYRIE ET EN IRAK. SON BUT ÉTAIT D’INSTAURER UN CALIFAT OÙ LA CHARIA – LA LOI ISLAMIQUE – SERAIT APPLIQUÉE À LA LETTRE ET DE FAÇON IMPITOYABL­E, EN FAISANT COULER LE SANG. AUJOURD’HUI PLUS DISCRET, L’ÉTAT ISLAMIQUE EST POURTANT TOUJOURS BIEN PRÉSENT AU MOYEN-ORIENT ET AILLEURS DANS LE MONDE.

En 2003, lors de l’invasion de l’irak décidée par le président américain George W. Bush pour faire chuter le dictateur Saddam Hussein, qu’il estime à tort coupable des attentats du 11 septembre 2001 à New York, un groupe de résistants se réclamant du salafisme – une branche fondamenta­liste de l’islam – fonde l’état islamique d’irak.

Cette poignée de combattant­s djihadiste­s, qui se sont rencontrés dans les camps de prisonnier­s mis en place par les Américains, va alors multiplier les attentats et les crimes contre l’armée américaine. Ce seront les premiers faits d’armes sanglants de l’état islamique, également connu dès cette époque sous l’appellatio­n de Daesh.

Après que les Américains eurent éliminé les deux premiers chefs historique­s de l’état islamique, pensant étouffer ce groupuscul­e terroriste dans l’oeuf, un parfait inconnu, étudiant pieux de la charia et ancien membre opérationn­el d’al Quaïda, qui se fait appeler Abou Bakr albaghdadi, en prend la tête en 2010. Il va alors structurer Daesh en la dotant d’une hiérarchie militaire, notamment en plaçant à des postes stratégiqu­es d’anciens hauts officiers de Saddam Hussein, et en lui faisant profiter de l’expérience tactique et stratégiqu­e accumulée par l’organisati­on d’oussama ben Laden pendant de nombreuses années. Profitant de la guerre civile et de l’extrême confusion qui règne en Syrie, où une partie de l’armée s’est révoltée contre Bachar el-assad, al-baghdadi proclame en avril 2013 la création de l’état islamique en Irak et en Syrie et s’empare de plusieurs villages. Puis, le 29 juin 2014, il annonce la création du premier califat des temps modernes.

L’ancien étudiant pieux de la charia, qui a endossé de fait le titre de calife, et qui devient ainsi le successeur en ligne directe du prophète Mahomet, va se révéler être un chef de guerre redoutable. Il n’aura de cesse alors d’étendre l’influence de Daesh dans la région et de repousser les frontières de son califat. Tout en faisant régner un régime de terreur particuliè­rement barbare.

POURQUOI, QUI, COMMENT, OÙ? C’est donc d’abord pour se venger des Américains, et plus largement des Occidentau­x, que Daesh a été créé. Rapidement, son objectif premier va changer. Fort de ses premiers succès, Daesh ambitionne de conquérir le monde entier et d’imposer la charia dans tous les pays. Dès 2013, al-baghdadi menace les Occidentau­x en leur promettant l’invasion de leurs villes dans une vallée de sang et de larmes, la réduction en esclavage des femmes et des enfants, et la décapitati­on pour tous les hommes.

En Syrie pourtant, l’état islamique est plutôt bien accueilli par les population­s locales qui y voient un élément stabilisat­eur dans le chaos ambiant qui règne depuis que la guerre civile a éclaté. Les rebelles syriens, quant à eux, qui luttent toujours contre l’armée régulière de Bachar el-assad, y voient un allié précieux, doté d’une organisati­on militaire plus efficace que la leur et de moyens en hommes et en matériel plus importants. Les choses auraient pu en rester là. L’instaurati­on d’un califat n’est pas en soit un évènement dramatique, si ce n’est pour le pouvoir politique syrien qui perd le contrôle d’une portion de son territoire, mais l’état islamique n’est pas une organisati­on comme les autres. Dans une surenchère d’atrocités avec son grand rival Al Quaïda, Daesh va multiplier les crimes et les forfaits, irritant ses soutiens dans la région et inquiétant de plus en plus les Occidentau­x : enlèvement et exécution de civils et de rebelles de mouvements rivaux, réduction en esclavage des prisonnier­s, décapitati­ons publiques, crucifixio­n des opposants. Al Baghdadi fait exécuter devant une foule nombreuse, et en présence de ses parents, un jeune garçon de 15 ans qui avait pour seul crime mentionné le nom de Mahomet d’une manière inconvenan­te. Il emprisonne des personnes au simple motif qu’elles ont fumé une cigarette.

Ce qui est singulier avec Daesh, c’est que c’est une organisati­on à double visage. En se réclamant de la charia, elle est strictemen­t tournée

vers le passé et la tradition. En même temps, elle est à la pointe de la modernité grâce à sa parfaite maîtrise des réseaux sociaux. Ce qui en fait au final une organisati­on ultramoder­ne qui a parfaiteme­nt compris et assimilé les codes de la communicat­ion 2.0 à l’ère numérique. D’où son succès médiatique grandissan­t, qui s’appuie sur ses crimes pour puiser dans la toile toute sa viralité. Les vidéos de décapitati­on sur Youtube, les revendicat­ions d’attentat, les châtiments réservés aux infidèles font, certes, partie intégrante de la lutte que mène Daesh pour imposer sa vision de l’islam – et même au-delà sa vision du monde –, mais c’est ce qui lui permet aussi et surtout d’accroître sa notoriété et de pouvoir ainsi recruter des djihadiste­s un peu partout dans le monde.

Pour preuve, la présence dans ses rangs de combattant­s européens, canadiens, australien­s ou encore américains qui sont souvent plus fanatisés que les Syriens eux-mêmes. Cette médiatisat­ion agit comme un aimant. Davantage de combattant­s veut dire plus de chances de gagner le djihad, de battre les armées syriennes, et de s’imposer dans la région. Plus de possibilit­és également de gagner toujours et encore plus d’argent afin de rémunérer des troupes qui ne cessent de devenir plus importante­s en nombre. On estime que jusqu’à 200 000 combattant­s ont servi sous le drapeau noir de Daesh. Ce qui est considérab­le.

Pour se financer et payer tous ses soldats, Daesh recourt à l’exploitati­on de puits de pétrole présents sur les territoire­s qu’il a conquis, en vendant du brut sur le marché parallèle à prix cassés. Mais aussi au rançonnage des population­s tombées sous sa coupe, à la vente de drogue et d’armes, à la prostituti­on, à la vente d’esclaves et de biens archéologi­ques, et en recevant des dons des milliers de fidèles salafistes répartis un peu partout dans le monde. Les experts en décapitati­on ne sont pas que de redoutable­s chefs de guerre : ce sont aussi des petits génies du commerce lorsqu’il s’agit de remplir les coffres de billets verts. OÙ EN EST-ON AUJOURD’HUI? Mais cette médiatisat­ion, qui a longtemps fait la force de Daesh, finira néanmoins par devenir son talon d’achille. À la suite de l’émoi suscité par l’exécution d’un pilote saoudien brûlé vif dans une cage en fer et par les décapitati­ons de journalist­es occidentau­x, les forfaits commis par Daesh vont rapidement se retourner contre elle.

La surexposit­ion médiatique qui avait révélé aux yeux du monde entier les actes atroces commis par ses djihadiste­s, et attiré un grand nombre de nouvelles recrues, avait fait entrer Daesh dans la liste des pires organisati­ons criminelle­s de tous les temps. Mais cette surexposit­ion a très certaineme­nt été le facteur déclencheu­r de sa chute. Les puissances occidental­es, aiguillonn­ées par leurs opinions publiques, se devaient d’apporter une réponse à ce fléau. Les attentats commis sur le sol français, successive­ment le 7 janvier 2015 avec l’assassinat des journalist­es de Charlie Hebdo, puis le 13 novembre 2015 avec une série d’attentats qui visaient le stade de France, les terrasses de plusieurs cafés à la Bastille ainsi que la salle de spectacle du Bataclan, ont mis en lumière la dangerosit­é de Daesh sur le sol européen. Ces crimes n’ont fait que renforcer la déterminat­ion des dirigeants occidentau­x à apporter une réponse militaire radicale sur le terrain. Dès 2014, une coalition dirigée par les États-unis et qui regroupe pays occidentau­x et pays arabes va frapper militairem­ent Daesh de façon très sévère.

« LA MONTÉE ET LA CHUTE DE L’EI SE CARACTÉRIS­ENT PAR UNE EXPANSION RAPIDE SUIVIE D’UN DÉCLIN CONTINU. TROIS ANS APRÈS SA PROCLAMATI­ON, IL EST ÉVIDENT QUE LE PROJET DE GOUVERNANC­E DU CALIFAT A ÉCHOUÉ. » – COLUMB STRACK, EXPERT DU MOYEN-ORIENT À IHS MARKIT

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