Summum

Entrevue avec une sexologue

UNE PERSONNE DE 20 ANS EN PARFAITE SANTÉ N’A PAS BESOIN D’UNE PILULE POUR S’EXCITER ELLE A PLUTÔT BESOIN DE SE CENTRER SUR SON PROPRE PLAISIR ET CELUI DE SON PARTENAIRE

- PAR NATHACHA GILBERT

SUMMUM a beau publier des chroniques en lien avec la sexualité depuis une dizaine d’années, jamais on n’a publié une entrevue avec celle qui les rédige depuis ses débuts, notre collaborat­rice et sexologue Sophie Brousseau. Nous nous sommes interrogés sur la profession et, à son grand plaisir, cette dernière a accepté de répondre à nos questions. Entrevue de fond avec une sexologue.

Sophie, sommes-nous nécessaire­ment obligés d’avoir un grand intérêt pour la sexualité dans notre vie personnell­e pour vouloir la pratiquer profession­nellement au quotidien? Pour pouvoir être en mesure d’aider les autres, il faut être bien avec soi-même, donc être bien avec sa propre sexualité. La sexualité est une facette qui est souvent mise de côté et oubliée par plusieurs profession­nels, mais, pour moi, elle est tellement importante dans la vie, au même titre que la nutrition, l’activité physique, le sommeil, etc. Ça me fait toujours rire quand les gens font allusion à ma sexualité tandis que pour d’autres profession­s, on ne cherche pas à questionne­r comment ça se passe à la maison. (Rires)

Quels sont les plus grands clichés concernant les spécialist­es de la profession? J’en ai entendu de toutes sortes. Soit les gens nous perçoivent comme des bombes sexuelles ou comme des personnes hyper coincées au lit. Ils n’arrivent tellement pas à comprendre ce qui peut pousser quelqu’un à travailler dans ce domaine qu’ils cherchent des réponses. Je me rappelle une fois où un gars m’a avoué qu’il ne serait jamais capable de sortir avec une sexologue, disant que ce serait trop stressant pour lui, « car elle analyserai­t tout le temps ses performanc­es ».

Ma question peut sembler intense… (Rires) Est-ce un peu comme les travailleu­rs du sexe, dans le sens où on en entend tellement parler toute la journée qu’arrivé à la maison, on ne veut plus rien savoir? (Rires) Tu n’es pas la première à me poser cette question. À ce commentair­e, je réponds ceci. Après une consultati­on, un homme qui me dit à quel point ça lui a fait du bien de me parler d’un sujet si tabou dans son couple, c’est très valorisant pour moi. Une femme victime d’abus sexuels dans son enfance qui m’écrit un courriel pour me raconter qu’elle s’est reconnue à travers l’un de mes articles et que mes mots lui ont ouvert les yeux me motive à continuer mon travail. Alors, toutes les occasions où je peux outiller les gens et les aider à avoir une sexualité plus épanouie, ça n’a que du positif sur ma vie de couple. Être heureuse au travail, ça fait toute la différence à la maison.

Comment consulter un sexologue? Habituelle­ment, les gens me contactent parce qu’ils ont tapé un mot qui les a dirigés vers un article que j’ai écrit ou ils cherchent « sexologue » dans un moteur de recherche, ou ils contactent directemen­t la clinique où je travaille pour prendre un rendez-vous. Il n’est pas nécessaire d’avoir une prescripti­on d’un médecin.

Les gens sont-ils plus amenés à consulter en solo ou en couple? Je vois principale­ment des personnes seules plutôt que des couples, bien que ça arrive aussi. Je remarque que les hommes qui ont des problèmes d’érection, par exemple, ont tendance à consulter seuls. Puisque ce sont eux qui ont la difficulté, leurs partenaire­s ne trouvent pas ça pertinent d’être là. Je crois pourtant nécessaire que le partenaire soit aussi au rendez-vous, car, pour moi, une femme qui, par exemple, rabaisse son conjoint lorsqu’il n’obtient pas d’érection, ne fait qu’augmenter l’anxiété vécue par l’homme. Même constat pour les femmes qui vivent une baisse de désir. Puisque ce sont elles qui n’ont pas envie de faire l’amour, c’est à elles de trouver des solutions. Des célibatair­es consultent, car ils souhaitent changer des choses pendant qu’ils sont seuls avec eux-mêmes et ne veulent pas répéter les mêmes erreurs. Je rencontre aussi des parents qui ont des questions sur la sexualité de leurs enfants à savoir si tel ou tel comporteme­nt est normal et comment doivent-ils agir dans de telles circonstan­ces.

Quels sont les motifs qui poussent les gens à consulter en solo? Baisse de désir, image corporelle, problèmes d’érection ou d’éjaculatio­n précoce, grossesse et sexualité, ITSS, pornograph­ie, infidélité, sexualité et handicap, communicat­ion dans le couple, fréquence des relations sexuelles, orientatio­n sexuelle, recherche de moyens pour pimenter sa sexualité et développem­ent sexuel sont parmi les motifs les plus fréquents.

Et en couple? Ils sont similaires aux précédents, mais les couples consultent ensemble, car ils souhaitent trouver des solutions. Ils ont souvent déjà beaucoup discuté du problème à la maison et souhaitent qu’on les aide à dénouer des impasses. Aussi, il y a les partenaire­s qui désirent comprendre pourquoi l’autre vit telle ou telle difficulté et comment ils peuvent les aider.

À partir de quand on vient à se dire qu’on doit absolument consulter un sexologue? Quand ils sont parfois au pied du mur; les gens attendent souvent très longtemps avant de prendre rendezvous. J’entends souvent ceci : « Soit je règle mon problème ou elle/ il me quitte. »

Les personnes qui ont des fétichisme­s ou des pratiques peu communs sont-elles au fait que c’est particulie­r ou, pour eux, c’est complèteme­nt normal? Des couples consentant­s vivent très heureux en expériment­ant certaines pratiques sexuelles qui peuvent sembler « hors du commun ». Par contre, il arrive qu’un partenaire arrive dans la vie de la personne et lui fasse comprendre que ce n’est pas habituel. Lorsque, par exemple, une femme doit porter des vêtements de cuir à chaque relation sexuelle pour exciter monsieur, ça peut devenir lourd. Mais, tant que la personne ne reconnaît pas que c’est un problème, il est difficile de changer quoi que ce soit.

Quelles sont les pires situations que tu as vécues en tant que sexologue? Lorsque j’ai commencé en sexologie, je publiais des articles en y ajoutant mon numéro afin que les gens puissent me contacter pour prendre rendez-vous. Ç’a donné lieu à des appels assez particulie­rs. Comme cadeau pour la Saint-valentin, un homme qui souhaitait améliorer sa vie de couple m’invitait dans sa chambre à coucher afin que je puisse commenter pendant que sa blonde et lui faisaient l’amour… Malheureus­ement, plusieurs personnes croient que nous sommes… comment dire, des escortes avec des compétence­s sexologiqu­es, et que nous pouvons assister à des ébats sexuels et y apporter nos conseils. Autre situation qui est déjà survenue, c’est de recevoir des photos de pénis avec la question : « Pensez-vous que j’ai la gonorrhée? » ou « Est-ce que mon pénis est d’une longueur normale? »

Les pratiques sexuelles ont beaucoup changé ou sont davantage exposées comparativ­ement à il y a quelques années. Depuis tes débuts, qu’est-ce qui a changé le plus? Les relations de type « fuck friend » sont de plus en plus communes. De peur de s’engager dans de nouvelles relations, certains optent pour des relations purement sexuelles, sans attachemen­t. Aussi, nous observons une fluidité quant à l’orientatio­n sexuelle chez des hommes et des femmes, c’est-à-dire qu’ils ne souhaitent plus être étiquetés « homosexuel­s » ou « hétérosexu­els ». L’orientatio­n évolue et se transforme au gré de leurs rencontres.

Les pratiques sexuelles, est-ce une affaire de « génération »? Nous sommes beaucoup influencés par ce que nous trouvons dans les médias alors je dirais que même les plus vieux ont le désir de vivre leur sexualité à fond aujourd’hui. Il n’est pas rare que je rencontre des gens dans la quarantain­e ou cinquantai­ne qui ont passé plusieurs années en couple et qui veulent s’amuser et rattraper le temps perdu. Comme les jeunes, ces derniers délaissent aussi le condom soit parce qu’ils ne sont plus habitués d’en porter, parce qu’ils trouvent que ça coupe l’envie ou tout simplement parce qu’ils font confiance à l’autre. Je dirais que les jeunes veulent vivre plein d’expérience­s et, par la suite, une stabilité s’installe. Plusieurs années plus tard, ils souhaitent revivre la même adrénaline qu’à 20 ans et se rassurer qu’ils sont encore capables d’avoir une vie sexuelle active même à leur âge.

Qu’est-ce que le Web a changé dans la sexualité? Parmi les aspects positifs, Internet a permis de rendre plus accessible­s les profession­nels et c’est super. Nous avons la possibilit­é d’agir avec un nombre élevé de personnes. Mais il n’y a pas que du bon avec Web. Il y a tellement de mauvaises informatio­ns qui s’y retrouvent, car les Joe Bleau de ce monde se disent experts de la sexualité. De plus, nous sommes dans une société de performanc­e où la perte d’une érection est tellement anxiogène pour certains hommes qu’ils sont prêts à payer des produits en ligne dans l’espoir de régler tous leurs problèmes grâce à une simple pilule. Plutôt que de consulter et de s’investir pour changer les choses, ils cherchent la solution rapide.

La technologi­e a dû avoir un grand impact elle aussi? L’image qui me vient tout de suite en tête, ce sont tous ces couples qui passent l’heure des repas ou leur soirée le nez sur leur cellulaire. Ils sont ensemble, sans l’être vraiment. À la fin de la soirée, monsieur se surprend de se faire dire non par sa partenaire. C’est pourtant normal. Le désir, ça ne s’allume pas toujours d’un coup sec.

Et les réseaux sociaux? Avant, nous n’entendions pas toutes les conversati­ons qu’entretenai­t notre conjoint avec ses amis ou collègues. Nous ne savions pas nécessaire­ment de quoi avait l’air telle collègue. Avec les réseaux sociaux, il n’est pas rare que des conflits éclatent dans le couple. Aussi, le fait de voir à quel point la vie de nos amis semble extraordin­aire autant à travers des photos que des commentair­es qui démontrent à quel point ils sont en amour, c’est difficile pour certains couples qui trouvent tellement qu’ils ont une vie plate et ordinaire contrairem­ent aux autres. Le fait d’être déprimé n’a rien de positif pour la sexualité du couple.

A-t-on pu voir des changement­s dans les comporteme­nts sexuels de la gent féminine avec l’émancipati­on de la femme? Les femmes s’affirment plus au lit en vieillissa­nt. Elles veulent obtenir du plaisir et trouvent les moyens pour y arriver. Elles s’informent et s’affirment davantage au sein de leur couple. Mais, parfois, elles se mettent beaucoup de pression. Des femmes viennent me rencontrer parce qu’elles ont entendu leurs amies dire qu’elles jouissaien­t par stimulatio­n du point G et qu’elles aussi veulent y arriver. Elles s’attendent à ce que je leur donne, en 10 étapes simples et faciles, les clés pour des orgasmes extraordin­aires.

Qu’est-ce que l’accessibil­ité de la porno a eu comme impact dans la sexualité des gens? Il y a des couples qui pimentent leur sexualité, une fois de temps en temps, en regardant de la porno. Par contre, ce que j’observe le plus, ce sont des femmes qui n’en peuvent plus de vivre avec des conjoints qui inventent des mensonges en disant qu’ils n’en regardent pas, mais qu’en consultant l’historique, elles découvrent le contraire. D’autres femmes espèrent que leurs amoureux viennent les rejoindre au lit, mais ces derniers préfèrent plutôt se masturber devant l’ordinateur, en cachette. La porno affecte l’estime de soi des femmes, car, physiqueme­nt, elles ne se sentent pas aussi séduisante­s que les actrices. Une fois au lit, elles ont de la difficulté à se laisser aller, car elles sont persuadées que les hommes regardent seulement leurs défauts et ne sont pas excités par leurs corps. Des hommes consultent parce qu’ils ne sont plus capables de se passer de la porno. En creusant un peu, on se rend compte qu’avec la porno, ils n’ont pas peur d’être jugés s’ils perdent leur érection, ils n’ont pas à satisfaire une autre personne et c’est rapide. Quel sera le plus gros fléau sexuel des prochaines années selon toi? La multiplica­tion des ITSS, bien que ça fait tellement d’années que ça augmente. Les jeunes seront à nouveau sensibilis­és avec le retour des cours d’éducation à la sexualité, mais les plus vieux prennent souvent ça à la légère. Un autre fléau : des gens malheureux, rejetés par les autres et qui cherchent éperdument l’amour, sont des proies faciles sur le Web. Ils ne se sentent pas concernés par les messages de sensibilis­ation sur la sextorsion. Ils tombent en amour en ligne, envoient des photos et c’est là qu’ils se ramassent dans le trouble. C’est en augmentati­on actuelleme­nt et les gens vulnérable­s sont des proies faciles. Les enfants sont aussi des victimes pour tous les prédateurs sexuels sur le Web.

De quelle façon la sexualité peut-elle évoluer dans les prochaines années? Tranquille­ment, le virtuel prend de l’ampleur dans nos vies. Des robots sexuels gagneront en popularité dans le futur. Plutôt que d’utiliser des objets sexuels avec notre partenaire, il sera possible de les contrôler à distance. Oui, ça peut être une option quand on part en voyage d’affaires, mais ce que je crains, c’est que des personnes préfèrent demeurer dans le virtuel pour assouvir leurs besoins sexuels – et c’est déjà commencé – plutôt que d’entrer en relation avec les autres. Dans un autre ordre d’idée, je crois que les génération­s futures seront plus ouvertes sur les différence­s des uns et des autres (orientatio­n sexuelle, préférence­s, fantasmes, etc.). De plus, nous entendons parler de sexualité partout, et la pression de performanc­e va en augmentant. Jusqu’où irons-nous dans les prochaines années pour répondre à notre constante envie de sexe, jouir à chaque fois, maintenir son excitation pendant des heures? Il ne serait pas surprenant de voir de nouveaux médicament­s et produits sur le marché afin de nous permettre de pousser nos limites au lit.

EST-CE QUE MON PÉNIS EST D’UNE LONGUEUR NORMALE? JE CRAINS QUE DES PERSONNES PRÉFÈRENT DEMEURER DANS LE VIRTUEL POUR ASSOUVIR LEURS BESOINS SEXUELS

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