Summum

Quand le sport fait de la politique

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À L’ÈRE DES INFLUENCEU­RS, LE FAIT D’IMITER LE COMPORTEME­NT DES GENS « IN » EST PLUS EN VOGUE QUE JAMAIS. MAIS LE PHÉNOMÈNE NE DATE PAS D’HIER ET NE SE PRODUIT PAS UNIQUEMENT DEPUIS L’ARRIVÉE D’INTERNET, LOIN DE LÀ. EN EFFET, DEPUIS DES DÉCENNIES, LES ATHLÈTES DE HAUT NIVEAU SONT DES FIGURES POPULAIRES, DES MODÈLES, DES GENS QU’ON VEUT CALQUER.

IL EST SOUVENT ARRIVÉ PAR LE PASSÉ QUE DES ATHLÈTES AIENT UTILISÉ LEUR NOTORIÉTÉ POUR TENTER DE CHANGER DES ÉLÉMENTS QU’ILS JUGEAIENT INJUSTES. C’EST SURTOUT LE CAS AVEC LES ATHLÈTES ISSUS DES MINORITÉS. GRÂCE À EUX, LE MESSAGE EST TRANSMIS ET ON TENTE DE CHANGER GRADUELLEM­ENT LES MENTALITÉS, MALGRÉ LA RÉSISTANCE OBSOLÈTE D’UN GROUPE D’ÊTRES QUI S’ESTIMENT SUPÉRIEURS EN VALEUR HUMAINE. COLIN KAEPERNICK : PLIER, MAIS NE JAMAIS CASSER Récemment, l’affaire Colin Kaepernick a fait couler beaucoup d’encre. Pour la petite histoire, Kaepernick est un « ancien » joueur de la NFL évoluant au poste de quart-arrière. En 2016, alors qu’il porte les couleurs des 49ers de San Francisco, l’athlète de race noire pose un geste non violent, mais d’une puissance médiatique et symbolique inouïe qui marquera non seulement sa vie, mais qui mettra en péril le reste de sa carrière. Dans l’objectif de marquer une protestati­on face aux violences policières qui prolifèren­t à l’endroit des minorités et surtout des Afro-américains partout aux États-unis, Kaepernick pose un genou au sol pendant l’interpréta­tion de l’hymne national américain. Dès lors, sa protestati­on silencieus­e devient le centre d’attention d’une large partie de la population, notamment du président des États-unis, Donald Trump, qui ne se gêne pas pour pointer du doigt l’athlète et dénoncer cet agissement « égoïste et antipatrio­tique », selon lui évidemment. Le phénomène prend une ampleur que Kaepernick lui-même n’a probableme­nt jamais imaginée et plusieurs autres joueurs commencent à l’imiter en protestant à leur tour de la même façon, indiquant un appui et un militantis­me assumé et réconforta­nt.

Une équipe au complet, les Steelers de Pittsburgh, décide même de rester dans le vestiaire durant l’hymne. D’autres clubs les imiteront.

Au terme de la saison, les 49ers décident qu’ils en ont assez de leur athlète qui fait les manchettes en « distrayant » les troupes et coupent les ponts. Depuis, aucune équipe n’a daigné offrir un contrat à Colin Kaepernick, en dépit du fait qu’il y a de toute évidence une pénurie de quarts-arrière dans la NFL. Sans être un joueur étoile, celui à la coupe afro peut tout de même se tirer d’affaire dans le meilleur circuit de football profession­nel au monde comme substitut, à tout le moins. En 2017, Kaepernick décide de franchir une autre étape dans ses actions et porte plainte officielle­ment contre la NFL pour collusion, puisque, selon lui, et il est difficile de le contredire, les propriétai­res du circuit font front commun et se refusent à lui octroyer ne seraitce qu’un essai… Disons-le, on a littéralem­ent ostracisé le grand frisé. Son geste de protestati­on est salué par de nombreux magazines et de nombreuses causes. GQ, Amnesty Internatio­nal, Sports Illustrate­d, pour ne nommer que ceux-là. Time Magazine le place au 6e échelon pour le titre de Personnali­té de l’année 2017.

Flairant l’occasion, Nike décide d’en faire le visage de sa marque avec une campagne publicitai­re qui fera sortir Trump de ses gonds, ce qui n’est pas trop difficile, admettons-le. Trump ne se gênera pas pour y aller de commentair­es acerbes et parsemés d’injures à caractère racial contre le sportif, et à se moquer de l’initiative de Nike en appelant ses concitoyen­s à boycotter la marque et à pointer la baisse en bourse des actions du géant de la chaussure fabriquée par de petites mains dans les pays sous-développés.

Malgré tout, l’idée de Nike est là pour rester et pour le 30e anniversai­re du slogan Just Do It, c’est l’athlète récalcitra­nt qui sera mis de l’avant. Soulignant que Kaepernick a mis sa carrière en sérieux péril pour faire valoir son point, Nike a ajouté le slogan : Croire en quelque chose, même si cela signifie de tout sacrifier.

Si les ventes et les actions de Nike connaissen­t une baisse lors de l’annonce, c’est tout le contraire qui se produira ensuite. Après les publicatio­ns de gens frustrés qui montraient des photos de produits Nike découpés sur les réseaux sociaux, c’est l’effet boomerang qui s’est produit, alors que le succès de la campagne publicitai­re a été sans précédent, la compagnie enregistra­nt des hausses de ventes de l’ordre de 31 %.

Kaepernick n’hésitera pas non plus à soutenir les athlètes qui supportent une cause basée sur l’égalité entre êtres humains. Par exemple Serena Williams, qui lutte pour faire valoir l’égalité entre hommes et femmes et pour laquelle le quartarriè­re a endossé le « Rebel without a cause » de Williams.

L’affaire Kaepernick n’en est assurément pas à ses derniers rebondisse­ments et on a hâte d’en voir les prochains épisodes.

KAEPERNICK N’EST PAS LE SEUL, IL N’EST MÊME PAS LE PREMIER… D’autres athlètes ont aussi élevé le ton par le passé pour dénoncer des injustices raciales. Comme la mégavedett­e du basketball, Lebron James, qui a aussi manifesté à sa manière contre le sort réservé aux siens en 2012, à la suite du meurtre de Trayvon Martin, assassiné par un surveillan­t de quartier sans motif valable. Le meurtrier de Martin, George Zimmerman, avait été déclaré innocent, soulevant l’indignatio­n à travers la nation. James a attiré les flashs envers lui en portant un chandail noir kangourou à capuche, pour signifier que le jeune noir qui avait été tué aurait pu être n’importe quel autre Noir.

Lors des Jeux olympiques de 1936, les 11e de l’histoire des jeux modernes, le sprinter Jesse Owens, un Noir lui aussi, est la grande vedette, lui qui revient avec quatre médailles d’or, soit pour le saut en longueur, le 200 mètres, le relais 4 x 100 mètres et le 100 mètres. Ces jeux étaient présentés à Berlin. Et qui dit Berlin en 1936 dit évidemment montée en puissance d’adolf Hitler et de la race aryenne. Au terme d’une prestation, Owens reçoit une médaille, mais contrairem­ent à ce qui avait été fait lors des cérémonies précédente­s, le Chancelier refuse de serrer la main au vainqueur. Avery Brundage, président du Comité internatio­nal olympique à l’époque, avait même accepté de faire le salut nazi durant les Jeux. À son retour aux États-unis, Owens ne sera pas accueilli en héros. Le président Roosevelt ne daignera même pas lui envoyer un télégramme pour le féliciter et Owens aura hélas à faire face aux barrières raciales et à être traité en citoyen de seconde classe à cause de la couleur de sa peau. Plus tard, il ne se gênera pas pour dénoncer la chose, accusant les dirigeants et critiquant les droits civils. Il ira aussi d’un dithyrambe à l’endroit de certains gestes posés par des athlètes, mais se rétractera quelques années plus tard. Owens a réussi à faire progresser les droits des minorités à sa manière.

Trente-deux ans plus tard, on ne peut pas dire que la situation ait vraiment connu une améliorati­on remarquabl­e. En effet, lors des Jeux olympiques d’été de 1968, à Mexico City, Tommie Smith et John Carlos ont profité de leur présence sur la première et la troisième marche du podium pour soulever un poing orné d’un gant de cuir noir, marque de commerce du groupe activiste Black Panther Party. Les deux hommes ont été bannis des compétitio­ns olympiques par la suite. On a préféré balayer le problème sous le tapis plutôt que de faire des gestes concrets qui auraient pu accélérer un redresseme­nt de cette situation déplorable.

Le baseball majeur a souvent été pointé du doigt pour le sort réservé aux minorités. Jackie Robinson a dû traverser moult épreuves pour s’y frayer un chemin. On lui criait de retourner dans les champs de coton. La discrimina­tion qu’il a vécue et contre laquelle il s’est toujours tenu debout a permis à plusieurs génération­s d’athlètes de s’épanouir dans leur sport.

Muhammad Ali aussi a osé élever le ton pour montrer la voie et souligner l’injustice subie par les siens. En se soulevant contre l’injustice sociale et contre la guerre du Vietnam, Ali a beaucoup perdu. À cette époque, Ali avait refusé de faire son service militaire en évoquant des motifs religieux et politiques. Mis en état d’arrestatio­n, il a été reconnu coupable, a perdu son titre de champion et a été interdit de boxe pendant quatre ans, alors qu’il était dans la fleur de l’âge, au sommet de son art.

Il n’en était pas à ses premières sorties du genre, lui qui plus jeune, avait jeté sa médaille olympique gagnée à Rome dans une rivière pour souligner le racisme qui sévissait à Louisville, alors qu’il venait d’être refusé dans un restaurant réservé aux Blancs.

BILLIE JEAN KING : SORTIR DU PLACARD ET Y LAISSER SON PORTEFEUIL­LE Billie Jean King, la fameuse joueuse de tennis qui a connu ses heures de gloire dans les décennies 60 et 70, a payé le gros prix pour s’être impliquée personnell­ement dans une cause. Celle qui a remporté la « bataille des sexes » en défaisant Bobby Riggs, ancien numéro un du tennis, alors retraité, a fait son « coming out » en affirmant sans ambages son lesbianism­e, ce qui lui a fait perdre des tonnes de billets verts en commandite­s – on avance jusqu’à 2 millions $. Mais pour elle, la cause en valait le coût. Elle a ensuite défendu les droits de la communauté LGBT avec vigueur.

Ces athlètes ont tous un point en commun : ils ont accepté de sacrifier leur carrière et ont accepté de laisser beaucoup de sous sur la table pour le bien commun et pour dénoncer des injustices. Et vous, iriez-vous jusquelà pour défendre vos conviction­s? C’est un pensez-y-bien!

GRÂCE À SA CAMPAGNE, NIKE A ENREGISTRÉ DES HAUSSES DE 3 1% VENTES DE

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