Summum

Le syndrome post-traumatiqu­e

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PAR MICHEL BOUCHARD – MISE EN SITUATION : VOUS ÊTES UN ÉTUDIANT AU CÉGEP ET, POUR PAYER VOS ÉTUDES, VOUS TRAVAILLEZ DANS UN DÉPANNEUR DE NUIT. UN PAUVRE TYPE CAGOULÉ EN QUÊTE DE SA DOSE DE MÉTHAMPHÉT­AMINE FAIT IRRUPTION DANS LE COMMERCE ET SORT UNE ARME À FEU DE GROS CALIBRE. EN POINTANT LE FUSIL VERS VOUS, IL VOUS CRIE : « ENVOYE, DONNE-MOI L’CASH SINON JE TE TIRE MON SALE. GROUILLE-TOI! AH PIS RAJOUTE UN CARTON DE CIGS, PIS UN LOTTO-MAX, AVEC L’EXTRA, PIS METS TOUT ÇA DANS UN SAC… »

Le type sort en courant avec son butin dans les mains – parce que les commerces n’offrent plus de sacs plastiques et que le voleur avait oublié son sac réutilisab­le – et vous vous hâtez d’appeler la police. Vous racontez ce qui s’est passé, vous faites votre déposition aux agents et ils quittent. En rentrant à la maison, vous êtes évidemment secoué. Vous appelez des proches pour raconter l’incroyable histoire que vous venez de vivre. Vous dormez mal, vous êtes nerveux, bref, des réactions normales.

Au bout de deux ou trois jours, vous reprenez le cours normal de votre vie et l’épisode malheureux devient une anecdote à raconter aux prochains partys… Soit jeudi, vendredi et samedi prochains puisque, comme c’est indiqué plus haut, vous êtes étudiant au cégep alors les partys, c’est minimum trois soirs par semaine! Votre quotidien est toutefois modifié et, involontai­rement, chaque fois que vous avez besoin d’acheter quelque chose, vous évitez à tout prix les dépanneurs.

Deux mois et demi plus tard, vous vous réveillez en pleine nuit en sursaut. La respiratio­n haletante, vous ouvrez la lumière en tremblant. Vous avez l’impression qu’un éléphant s’amuse à poser une patte sur votre poitrine et vous suez plus qu’un boxeur en fin de 9e round. Le lendemain, la même chose survient, mais cette fois, avec des images qui flashent dans votre tête. Vous avez l’impression de revivre sans cesse le hold-up survenu quelques semaines plus tôt. Vous entendez ses mots dans votre tête, vous revoyez le trou au bout du canon de son arme à feu et vous avez l’impression de sentir à nouveau l’odeur de l’haleine fétide du voleur. L’insomnie se met alors de la partie. Mais vous n’êtes pas au bout de vos peines.

Les images de l’évènement vous reviennent sous forme de flash rapide à tout moment de la journée et créent en vous un intense sentiment d’anxiété et de stress. Vous peinez à parler de la chose à vos proches, de peur de passer pour un faible. Vous prenez vos distances avec les gens qui vous entourent, vous développez une étrange agressivit­é incontrôla­ble, vous avez l’impression de ne plus être maître de votre propre personne.

Vous vivez un cauchemar tout éveillé. Vous êtes définitive­ment aux prises avec un trouble de stress post-traumatiqu­e.

REVIVRE L’ÉPISODE L’état de stress post-traumatiqu­e (ESPT), c’est sensibleme­nt ça. Revivre l’épisode traumatisa­nt sous forme de « flashback », et ces images viennent modifier complèteme­nt le comporteme­nt. Un vol à main armée n’est pas lié automatiqu­ement à un ESPT, certains n’en ressentiro­nt jamais les effets ou n’auront qu’une très faible réaction.

Pour les besoins de la cause, un vol avec violence (le hold-up) a été cité en exemple, mais un ESPT peut apparaître à la suite de différente­s formes de situations déclenchan­tes.

Vous connaissez probableme­nt quelqu’un qui a eu un accident d’automobile et qui, après coup, hésitait à prendre le volant à nouveau. Voilà une réaction qui s’apparente, à petite échelle, à un ESPT. Une agression sexuelle peut aussi en être la cause, tout comme le décès d’un proche, une agression violente ou une catastroph­e, comme une inondation, un feu ou une explosion dont vous êtes témoin.

Les évènements d’ampleur peuvent paraître spectacula­ires, mais ils ne sont pas les uniques éléments à engendrer un ESPT. En effet, l’exposition de manière répétitive à des situations tragiques ou à des images troublante­s peut aussi s’immiscer et, ainsi, venir lentement perturber l’équilibre émotionnel. À titre d’exemple, on pourrait parler d’un enquêteur qui est exposé à des images de pornograph­ie infantile à répétition, un ambulancie­r qui doit intervenir sur les lieux d’un suicide ou une infirmière aux urgences qui doit traiter des blessures atroces...

SYMPTÔMES Les symptômes ont des durées et surtout des intensités qui sont propres à chaque cas. L’état psychotiqu­e que le traumatism­e engendre varie aussi.

Ce n’est pas nécessaire­ment au lendemain d’un évènement traumatisa­nt que L’ESPT se manifeste automatiqu­ement, il peut mettre un certain temps à apparaître. La littératur­e explique que c’est bien souvent au cours des trois mois qui suivent l’épisode déclenchan­t que les symptômes commencent à se faire sentir, mais ils peuvent également mettre de nombreuses années avant de bouleverse­r l’état mental d’une victime. Parce que, disons-le, un individu aux prises avec un ESPT est vraiment une victime d’un problème psychologi­que qui doit être traité par un profession­nel et qui doit également être mieux compris par l’ensemble de la société.

Différente­s réactions sont possibles lorsque quelqu’un est aux prises avec un ESPT.

La reviviscen­ce fait en sorte qu’une victime revit sans cesse la situation à laquelle elle a été confrontée. Son cerveau lui envoie des photograph­ies mentales de l’évènement si elle se retrouve dans un contexte qui peut lui rappeler la situation de traumatism­e. La reviviscen­ce vient avec un sentiment d’impuissanc­e et d’inconfort de forte intensité.

Contre son gré, un individu utilise l’évitement et l’insensibil­ité émotive pour déjouer son malaise. Ainsi, la personne tente par tous les moyens d’éviter de se retrouver dans un contexte similaire. Comme l’exemple de la personne qui n’irait plus acheter un paquet de gomme dans un dépanneur à la suite d’un vol.

Les altération­s émotionnel­les entraînent des malaises et des conflits qui causent une fuite des êtres proches et un repli sur soi-même. La victime D’ESPT aurait alors tendance à s’enfermer et à refuser les invitation­s d’amis et les sorties. Cet état amène un sentiment de culpabilit­é et surexpose les émotions négatives que sont la colère, la perte de l’estime de soi, la confiance, la honte, la culpabilit­é, la peur, l’impuissanc­e ou le sentiment d’infériorit­é.

L’insomnie, son nom l’indique, c’est une altération des habitudes du cycle du sommeil. L’éveil mental s’en voit perturbé et des troubles de concentrat­ion, des pertes de mémoire – en d’autres mots, avoir des trous –, une augmentati­on de l’agressivit­é et une hypervigil­ance peuvent se manifester. L’hypervigil­ance force un individu à toujours rester sur ses gardes au cas où… Chez d’autres sujets, l’insomnie entraînera des comporteme­nts dangereux pour sa propre intégrité physique via des gestes imprudents, des tendances à l’automédica­tion et des comporteme­nts autodestru­cteurs.

La dissociati­on fait littéralem­ent revivre, mentalemen­t, la totalité de l’évènement en quelques secondes. L’individu se retrouve temporaire­ment dans un genre de monde parallèle où il est le seul invité. S’il est plus rare que les autres types de manifestat­ions, il demeure un symptôme possible.

CONSÉQUENC­ES C’est bien beau d’énumérer les symptômes, mais quelles en sont les conséquenc­es?

La dépression guette évidemment les gens aux prises avec un ESPT. Certains, pour tenter d’amenuiser les troubles d’anxiété et les épisodes d’angoisse ou de panique, vont engourdir leur cerveau avec des substances, telles que l’alcool et les drogues, ce qui amène évidemment d’autres problèmes graves. Les pensées suicidaire­s sont aussi présentes dans de nombreux cas; hélas, trop de gens passeront à l’acte. L’isolement social est aussi un problème, alors que les victimes ont tendance à se placer à l’écart de la société par crainte de jugement. D’autres troubles d’ordre physique peuvent aussi s’inviter à la danse. Douleurs musculaire­s, battements cardiaques irrégulier­s, étourdisse­ments, nausées, troubles d’ordre intestinal, baisse du système immunitair­e, engourdiss­ements dans les extrémités, hypersensi­bilité aux températur­es externes...

Il est possible d’amenuiser l’intensité des problèmes liés à L’ESPT en travaillan­t sur soi et en consultant des spécialist­es. Plusieurs thérapies montrent d’ailleurs un impression­nant taux de succès, par exemple l’approche cognitivo-comporteme­ntale, qui réussit à ramener le patient sur le chemin de la guérison dans plus de 6 cas sur 10. L’idée est d’aider le cerveau à remplacer le codage et à réduire l’intensité des émotions négatives.

Les maladies mentales, dont L’ESPT fait partie, sont encore taboues dans notre société. Les gens aux prises avec le syndrome du choc posttrauma­tique ont peur du jugement et hésitent à en parler, ce qui rend leur situation encore plus difficile. Il est temps de voir les différente­s formes de maladies mentales être considérée­s au même titre que les autres maladies et non comme des signes de faiblesse… Avoir un bobo dans le cerveau, ça ne doit pas être perçu comme un mal moindre qu’une artère bouchée au coeur…

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