Le poltergeist d’acton Vale
PAR CHRISTIAN PAGE – LA PETITE LOCALITÉ D’ACTON VALE SE SITUE DANS LA MRC D’ACTON, EN MONTÉRÉGIE, À UNE HEURE DE ROUTE DE MONTRÉAL. DANS LA DEUXIÈME SEMAINE DE JANVIER 1969 (IL Y A PRATIQUEMENT 50 ANS, JOUR POUR JOUR), DES ÉVÈNEMENTS ÉTRANGES VONT VENIR BOULEVERSER LA VIE DES ST-ONGE, UNE FAMILLE PIEUSE TRÈS IMPLIQUÉE DANS LA VIE PASTORALE DE SA COMMUNAUTÉ.
PREMIÈRE SOIRÉE Le 6 janvier, vers 19 h, alors que les membres de la famille s’apprêtent à s’installer devant la télévision, un vacarme inhabituel les fait sursauter. Ils ont l’impression que des « déménageurs » s’affairent dans une chambre du second étage. Pourtant, la petite maison ne compte que quatre locataires : le couple St-onge (Sylvio et Irène), leur fils André (25 ans) – assis également au salon – et la petite Guylaine B., une fillette de six ans, confiée aux St-onge durant l’absence de ses parents. Intrigué, Sylvio St-onge grimpe les marches, mais dès qu’il arrive sur le palier, il s’arrête… stupéfait. Dans la chambre, droit devant lui, il voit le tiroir d’une commode s’ouvrir et se vider de ses vêtements. Toute la literie a aussi été tirée des matelas. Le temps de redescendre au salon, il voit un cadre représentant Notre-dame-duperpétuel-secours se décrocher d’un mur de la cuisine et voler au travers de la pièce, sans se briser. Puis c’est au tour des meubles du salon de bouger tout seuls : un fauteuil se retrouve dans un coin et une table se renverse sans que personne n’y ait touché.
Ne sachant quoi faire, les St-onge téléphonent au presbytère. Il est alors un peu plus de 21 h 30. C’est l’abbé Wilfrid Bérard qui prend l’appel. Même si l’affaire paraît invraisemblable, le jeune vicaire décide quand même de se rendre sur place pour voir de quoi il en retourne. Il n’est pas déçu.
Dès son arrivée, l’ecclésiastique est témoin de nombreux incidents inexplicables. Les vêtements – replacés dans les tiroirs et les penderies – se retrouvent encore une fois pêle-mêle sur le plancher; le cadre de Notre-dame-du-perpétuel-secours s’offre un nouveau « vol plané » (là encore sans se briser) et des lits se mettent à « sauter » comme s’ils étaient pris d’une soudaine danse de Saintguy. Puis, vers 22 h, les manifestations s’arrêtent aussi brusquement qu’elles ont commencé. Après avoir béni ses hôtes, l’abbé Bérard se retire encore sous le choc. Il est loin de s’imaginer que le cauchemar des St-onge n’en est qu’à sa première nuit.
DEUXIÈME SOIRÉE Le lendemain soir, sur le coup de 19 h, les St-onge sont de nouveau installés au salon. Dans la cuisine, la petite Guylaine fait ses devoirs. Soudain, le cadre de Notre-dame-du-perpétuel-secours, qui a solidement été refixé au mur, se décroche, fait un mouvement en diagonale et va choir aux pieds de la fillette qui laisse échapper un cri de stupeur. Il est clair que les manifestations de la veille sont encore au rendezvous. Au même moment, un bruit sourd se fait entendre au second étage. Les St-onge y montent à pas feutrés, comme s’ils craignaient d’y découvrir une bête féroce. Ils constatent qu’une petite table de chevet a été renversée et son contenu répandu sur le plancher. Il est temps, se disent-ils, de rappeler au presbytère.
Cette fois, c’est l’abbé Claude Léveillé qui reçoit l’appel des St-onge. Dans l’après-midi, son confrère Bérard lui a détaillé les étranges manifestations observées la veille dans la petite maison du boulevard Saint-andré. L’appel des St-onge ne le surprend donc qu’à moitié. Après avoir écouté leur récit, le vicaire les assure qu’il passera dans la soirée.
Dès son arrivée, monsieur St-onge l’entraîne vers l’une des chambres du deuxième. Appuyé sur le mur du fond, un lit en fer tressaute, animé par quelque maléfice invisible. Mais ce qui retient le plus l’attention de l’ecclésiastique ce n’est pas autant le lit que ses couvertures : celles-ci se roulent et se déroulent comme s’il s’agissait d’un store à ressort. Pourtant, la pièce est tout à fait déserte. Le père Léveillé n’a jamais rien vu de pareil. Lentement, il sort de sa poche une fiole d’eau bénite et en lance quelques jets en décrivant le signe de la croix.
Comme la veille, sur le coup de 22 h, les manifestations cessent aussi brusquement qu’elles ont débuté. Mais ce n’est que partie remise…
TROISIÈME SOIRÉE Le soir suivant, le téléphone sonne à nouveau au presbytère d’acton Vale. Il est 19 h 30. C’est l’abbé Normand Bernier qui est de service. À l’autre bout du fil, Sylvio St-onge l’informe que les manifestations ont repris de plus belle. « Le diable est dans la cabane », dit-il.
En compagnie des pères Bérard et Léveillé, l’abbé Bernier – qui jouit aussi d’une formation scientifique – se rend donc chez les St-onge. Sur place, il ne tarde pas à être témoin d’incidents tout à fait fantastiques. À peine a-t-il mis les pieds dans la cuisine que le cadre de Notre-dame-du-perpétuel-secours – replacé sur le mur – s’envole sous ses yeux, traverse la pièce et va s’accrocher sur la poignée de la porte du salon. Un peu plus tard, alors que toute la maisonnée est réunie au salon, d’étranges « claquements » se font entendre provenant de la cuisine. Les trois prêtres s’avancent et voient la table et les chaises qui tressautent sur le plancher, comme si le mobilier était doué d’une vie propre. Puis c’est au tour de la salle de bain d’être le théâtre de ces étranges manifestations. Des brosses en bois, montées sur des crochets, commencent à battre contre le mur, puis des flacons d’eau de toilette et des parfums sont jetés à bas des étagères. Et comme si ce n’était pas suffisant, une table de métal – placée contre une armoire – s’envole et se retrouve dans la baignoire.
À un moment donné, les prêtres proposent à leurs hôtes de dire une prière. Or, voilà que le chapelet que serre la jeune Guylaine lui est littéralement arraché des mains et lancé contre le mur. L’incident ne fait que conforter l’opinion du père Léveillé qui voit dans ces manifestations l’empreinte du Malin.
Enfin, vers 22 h, comme lors des deux soirées précédentes, les manifestations s’arrêtent d’un seul coup. Le lendemain, informée, la mère de Guylaine retire sa fille de la garde des St-onge, accusant les témoins d’avoir « trop d’imagination ». Avec le départ de Guylaine, les manifestations s’arrêtent pour de bon. Les Stonge ne rapporteront aucune autre manifestation étrange. Le phénomène – quelle que soit sa nature – semble définitivement terminé.
ENQUÊTE Le mot poltergeist, d’origine allemande, signifie « esprit bruyant ». Il s’agit de l’un des phénomènes les plus intéressants du dossier de « l’inexpliqué ». Ces manifestations se déclenchent sans crier gare. Elles se produisent spontanément, perdurent quelque temps et s’arrêtent aussi soudainement qu’elles ont débuté. Elles se caractérisent par des objets qui se déplacent ou qui disparaissent pour réapparaître à d’autres endroits, par des coups frappés dans les murs ou par des incendies qui se déclenchent sans cause apparente. Dans les milieux de la recherche en parapsychologie, les experts hésitent à associer ces manifestations à une quelconque forme de transcendance (qu’il s’agisse d’êtres désincarnés, de démons ou même d’extraterrestres). Comme ces manifestations se produisent presque toujours dans l’environnement d’un individu – que les chercheurs appellent « l’agent du poltergeist » –, l’hypothèse la plus populaire voudrait que ces manifestations soient des expressions involontaires de l’esprit sur la matière (mécanisme appelé télékinésie) et produites de manière involontaire par l’agent du poltergeist (un peu à l’image de la célèbre Carrie White du roman éponyme de Stephen King). Dans le cas du poltergeist d’acton Vale, est-il possible que la petite Guylaine B. ait été, involontairement, la force derrière ces manifestations?
En 2005, lorsque j’ai choisi de m’intéresser à cette histoire (je réalisais à l’époque la série documentaire Dossiers Mystère pour le compte de Canal D), ma première démarche a été de retrouver les témoins originaux, à commencer par Sylvio et Irène St-onge. Hélas, j’ai vite appris que ceux-ci étaient décédés, lui en 1979 et elle en 1984. Comme je connaissais toutefois l’identité de Guylaine B., je me suis mis à la tâche de remonter jusqu’à elle… Là encore, mes résultats ont été peu concluants. Certes, j’ai retrouvé la dame en question, mais Guylaine (alors âgée d’une quarantaine d’années) a refusé de commenter quoi que ce soit.
Après Guylaine, je me suis mis à la recherche des trois vicaires. Le père Bérard est décédé il y a de nombreuses années, mais, en 2005, les pères Léveillé et Bernier étaient toujours bien vivants. Le premier coulait une paisible retraite au Séminaire de Saint-hyacinthe et le second était toujours actif dans la vie pastorale. J’ai commencé par contacter l’abbé Bernier. Celui-ci m’a donné rendez-vous à l’église Saint-luc de Granby.
Normand Bernier m’est apparu comme un homme affable, calme et amical. Au moment de notre rencontre, les évènements d’acton Vale étaient déjà vieux de 35 ans. Malgré les années écoulées, l’ecclésiastique demeurait tout aussi perplexe vis-à-vis de ces manifestations qu’il l’était en 1969. L’idée qu’il ait pu être victime d’une fraude ou d’une manipulation était exclue. Les St-onge étaient des candidats bien improbables à une supercherie. Qui plus est, une telle mise en scène aurait nécessité un déploiement technique des plus sophistiqués, sans compter que plusieurs de ces manifestations se sont produites dans une pièce alors que toutes les personnes présentes étaient réunies dans une autre.
De l’église Saint-luc de Granby, je me suis rendu au Séminaire de Saint-hyacinthe où j’ai rencontré l’abbé Claude Léveillé. Pendant deux heures, nous avons revu en détail les évènements d’acton Vale. Pour lui, les manifestations observées chez les St-onge avaient un aspect « diabolique ». Il n’a d’ailleurs pas manqué de me rappeler que c’était au moment où Guylaine entamait ses devoirs de catéchèse que ces évènements se déclenchaient. À l’instar de son collègue Normand Bernier – qu’il n’avait pas revu depuis 25 ans à ce moment-là –, Claude Léveillé a rejeté toutes possibilités de trucage ou de manipulation de la part des St-onge ou de qui que ce soit d’autre. « Tout cela était l’oeuvre du Diable », d’insister le père Léveillé.
L’affaire du poltergeist d’acton Vale est frustrante. Primo, la courte durée des évènements n’a pas permis aux témoins de vérifier la moindre hypothèse et, secundo, avec le temps, la plupart de ces mêmes témoins sont décédés et ne sont plus là pour raconter ce qu’ils ont vu. Cela dit, je n’ai aucun doute sur la réalité de ces évènements. J’ai interviewé Normand Bernier et Claude Léveillé et – malgré que les deux hommes ne s’étaient pas adressé la parole depuis des années – ils m’ont raconté des évènements identiques dans leurs moindres détails. Quant à les expliquer… c’est une autre histoire. Pourquoi chez les St-onge? Pourquoi justement trois soirs, alors que Guylaine (si l’on accepte qu’elle était « l’agent du poltergeist ») était sous la garde des St-onge depuis des mois? Pourquoi ces manifestations se produisaient-elles toujours entre 19 h et 22 h? Comme si l’étrange n’était pas déjà suffisamment… étrange sans y ajouter ces singularités.
EST-IL POSSIBLE QUE LA PETITE GUYLAINE B. AIT ÉTÉ INVOLONTAIREMENT LA FORCE DERRIÈRE CES MANIFESTATIONS?