Les drogues, au-delà du cannabis
PAR JEAN-FRANÇOIS CYR – DEPUIS LE 17 OCTOBRE, IL EST POSSIBLE D’ACHETER DU CANNABIS EN TOUTE LÉGALITÉ AU CANADA. LE PAYS EST SEULEMENT LE DEUXIÈME ÉTAT DANS LE MONDE À AUTORISER LA MARIJUANA RÉCRÉATIVE, APRÈS L’URUGUAY EN 2013. ALORS QUE CERTAINS ONT DÉNONCÉ CETTE LÉGALISATION POUR SES EFFETS NÉFASTES SUR LE DÉVELOPPEMENT PSYCHOLOGIQUE DES JEUNES, D’AUTRES ONT AUSSI SOULEVÉ LE DANGER DE « L’EFFET PASSERELLE », CETTE THÉORIE QUI VEUT QU’UNE PART DES CONSOMMATEURS DE CANNABIS PEUT ÉVENTUELLEMENT PROGRESSER D’UN PRODUIT À UN AUTRE PLUS « DUR ». EN D’AUTRES MOTS, DES GENS PEUVENT CONSOMMER DE LA MARIJUANA ET, ENSUITE, UNE AUTRE DROGUE POTENTIELLEMENT PLUS DANGEREUSE. VOILÀ QUI OUVRE UN AUTRE DÉBAT TOUT AUSSI IMPORTANT. QUELLES SONT CES AUTRES DROGUES ET À QUEL POINT SONT-ELLES MENAÇANTES POUR LA SANTÉ D’UNE PERSONNE? SUMMUM VOUS PROPOSE UN ORGANIGRAMME DE CERTAINES DROGUES RÉPANDUES AU QUÉBEC, INCLUANT LES EFFETS QU’ELLES PROCURENT AU CONSOMMATEUR. POUR CE FAIRE, NOUS AVONS INTERROGÉ LE SPÉCIALISTE EN TOXICOMANIE DE L’UNIVERSITÉ DE MONTRÉAL, JEAN-SÉBASTIEN FALLU, AFIN QU’IL NOUS PARTAGE SES CONNAISSANCES SUR LE SUJET.
EN CONSTANTE ÉVOLUTION
Selon monsieur Fallu, il est très difficile de déterminer comment les drogues ont évolué dans le temps, car elles sont constamment soumises à des variations, c’est-à-dire à des modifications dans leur composition chimique : « La MDMA pure, synthétisée en Allemagne à la fin du 19e siècle et redécouverte par la compagnie pharmaceutique Merck en 1912 – qui voulait la développer pour ses vertus coupe-faim –, n’est pas bien différente de celle qu’on ferait aujourd’hui dans un laboratoire. Mais les drogues achetées sur le marché noir sont à peu près toujours impures. C’est d’ailleurs le cas pour la quasi-totalité des drogues illicites. »
« C’est d’ailleurs pour ça qu’on fait fausse route en classant les drogues par catégorie, ajoute-t-il. Elles sont plus complexes qu’en apparence. Par exemple, la MDMA est à la fois un dépresseur et un stimulant. On peut aussi mélanger de nombreuses autres drogues, ce qui modifiera les effets escomptés par une seule substance. C’est le cas du fentanyl, qui peut se retrouver dans la cocaïne ou le crack. Mais bon, les humains adorent faire des catégories pour tout. Et ça aide quand même à une compréhension sommaire des drogues les plus répandues. Il faut juste se méfier des approches préconçues en santé publique. »
Bien entendu, afin de bien comprendre les effets d’une drogue sur le corps humain, il faut tenir compte de la composition de la substance, mais aussi de la santé et de la réceptivité de la personne qui les consomme. Il ne faut pas non plus négliger le contexte et l’impact de l’environnement. Il y a toujours plusieurs facteurs à considérer dans l’absorption d’une substance. Une drogue n’est pas automatiquement dangereuse, selon le spécialiste en toxicologie.
D’ailleurs, le concept de dangerosité utilisé par les autorités pour démoniser les drogues est totalement inefficace, d’après Jean-sébastien Fallu. On doit plutôt aborder les drogues par l’entremise du mode de consommation (dépendamment si la substance a été fumée, inhalée ou avalée, les effets et les conséquences seront divers), des symptômes potentiels, des conséquences d’une consommation régulière et des risques de dépendance physique ou psychologique.
PERTURBATEURS/HALLUCINOGÈNES
CANNABIS
Le cannabis, quand il est fumé, produit des effets quasi instantanés sur le cerveau. Lorsqu’il est intégré à une préparation culinaire, l’effet est plus long à se faire sentir et la période d’attente peut durer environ une heure. Le cannabis, appelé aussi marijuana, est une drogue produite à partir de la plante du même nom. Il se présente sous différentes formes : séché, haschich, huile de haschich et extrait de concentré de tétrahydrocannabinol (THC). Le cannabis est composé de plus de 500 substances différentes, dont les deux principaux ingrédients actifs sont le THC et le cannabidiol (CBD).
La personne intoxiquée au cannabis pourra présenter divers symptômes : rougeur des yeux, éclats de rire spontanés, légères difficultés motrices et temps de réaction supérieurs à la normale. Il est fréquent que, quelque temps après l’absorption du cannabis, l’usager ressente une faim intense, car il peut causer l’hypoglycémie. Il arrive parfois que des effets secondaires plus perturbants fassent leur apparition. On parle notamment de paranoïa, d’anxiété, d’hallucinations ou de désorientation. Le cannabis peut entraîner une dépendance modérée chez de rares consommateurs et sa consommation à long terme a parfois des effets indésirables. Cette drogue, lorsque consommée régulièrement, peut donner lieu à un syndrome motivationnel, c’est-à-dire que le consommateur abusif deviendra apathique, passif. Ses intérêts et son ambition diminueront éventuellement et son rendement scolaire ou professionnel en sera affecté. Par ailleurs, un usage prolongé de cette drogue risque de provoquer des déficits d’attention, de concentration ou des trous de mémoire. Certains fumeurs de cannabis expérimenteront aussi ce qu’on appelle des « flashbacks », ils verront réapparaître des symptômes d’intoxication des jours, voire des semaines, après l’arrêt de la consommation. Chez certains consommateurs, la libido peut être diminuée. Puisque le cannabis est généralement fumé, il peut, à long terme, être à l’origine de problèmes cardiovasculaires similaires à ceux occasionnés par le tabac, d’autant plus qu’il contient plus de goudron que celui-ci.
Les effets d’un sevrage au cannabis sont généralement minimes.
« Il n’y aura pas de catastrophe en santé publique au Québec à propos du cannabis, affirme Jean-sébastien Fallu. De toute manière, on était mieux de légiférer pour encadrer davantage la production et l’utilisation du cannabis. Celui-ci peut, bien entendu, causer des inconvénients, des problèmes de santé. Tout dépendra de l’usage qu’en fera chaque consommateur, depuis sa légalisation en octobre. C’est le même scénario pour l’ensemble des drogues, de toute façon. Fumer huit joints de marijuana peut être plus dommageable à long terme qu’une pilule de MDMA consommée à l’occasion. »
Quant aux règlements contraignants et aux interdictions adoptés par certaines villes au Québec, monsieur Fallu croit que les autorités devraient plutôt éviter ces approches moralisatrices qui risquent de ne pas donner les résultats escomptés. Selon lui, il faut dédramatiser le débat et, surtout, miser sur l’éducation et l’encadrement en général.
Il existe un enjeu beaucoup plus grave à propos du cannabis. Il s’agit des cannabinoïdes de synthèse, qui sont des molécules synthétiques qui imitent les effets du cannabis. « Le cannabis synthétique est une drogue qui me fait frémir », affirme Jean-sébastien Fallu.
Appelé aussi spice, K2 ou bliss, le cannabis de synthèse est apparu il y a plus d’une douzaine d’années sur le marché noir. Les substances chimiques ajoutées aux herbes visent à imiter les effets de la marijuana, mais provoquent, en réalité, des effets beaucoup plus dangereux et imprévisibles. Parfois, les usagers changent radicalement de comportement, allant de l’hallucination à une forte agressivité. Le problème, c’est que les substances ajoutées sont très variées et, parfois, fort dommageables pour le corps et le cerveau. Le spice a même gagné la réputation de transformer celui qui en consomme… en zombie.
Du fait de sa composition chimique différente de celle du cannabis classique, il est indétectable dans les tests de dopage et serait, à ce titre, particulièrement prisé des sportifs, des policiers et des militaires. Le cannabis de synthèse a d’ailleurs connu un gros « hit » au sein de l’armée américaine et de l’armée canadienne.