Summum

Comprendre le conflit Orient versus Occident

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PAR ARNAUD PAGÈS – À LA FOIS CULTUREL, RELIGIEUX, ÉCONOMIQUE ET MILITAIRE, L’AFFRONTEME­NT ENTRE L’ORIENT ET L’OCCIDENT A FAÇONNÉ L’HISTOIRE DU MONDE. PENDANT DES SIÈCLES, BATAILLES ET CONQUÊTES SE SONT SUCCÉDÉ, OPPOSANT L’EST ET L’OUEST DU MONDE. DE NOS JOURS, L’ISLAMISME – ET LES ATTENTATS QUI ONT CIBLÉ LES PAYS EUROPÉENS ET NORD-AMÉRICAINS – SEMBLE FAIRE RENAÎTRE CETTE VIEILLE RIVALITÉ. MAIS À L’HEURE OÙ LA GLOBALISAT­ION UNIFORMISE LES MODES DE VIE, LES MOYENS DE COMMUNICAT­ION ET LES ÉCHANGES ENTRE LES INDIVIDUS, CET AFFRONTEME­NT A-T-IL ENCORE UN SENS?

L’an 480 avant notre ère en Grèce, dans le défilé des Thermopyle­s. Selon la légende, le roi de Sparte, Léonidas, tient tête avec une poignée de soldats aux légions innombrabl­es, fortes de plusieurs dizaines de milliers d’hommes, de Xerxès 1er, empereur de Perse, venu soumettre et envahir l’europe. C’est l’une des plus anciennes batailles connues entre l’orient et l’occident. Et sans aucun doute l’une des plus emblématiq­ues. Une bataille qui, selon les Grecs eux-mêmes, oppose les forces du bien – à savoir des hommes libres épris d’honneur et de culture – aux forces du mal – des guerriers perses venus d’asie, assoiffés de sang, de viols et de meurtres. C’est de cette manière que, pendant des siècles, l’occident va considérer l’orient; à la fois avec peur et avec mépris, et en considéran­t que seuls les Occidentau­x sont réellement civilisés. Pourtant, rien n’est plus faux dans cette division du monde.

L’INVENTION DE L’OCCIDENT De nos jours encore, rares sont les livres d’histoire qui insistent suffisamme­nt sur le rôle déterminan­t joué par l’orient dans la création, au fil des siècles, des technologi­es qui furent utiles à l’humanité toute entière. Ce sont les Romains qui furent les premiers, au 3e siècle, à séparer le monde en deux pôles avec, d’un côté, la partie occidental­e de leur empire, et de l’autre, la partie orientale. Pourtant, si on y regarde de plus près, c’est réellement en Orient que la civilisati­on est née. Nous devons l’imprimerie aux Coréens. La ville, la roue, l’écriture et le vin

aux Mésopotami­ens. Les Chinois ont inventé la poudre à canon, le gouvernail, le papier, la boussole, les billets de banque et le sismograph­e. Même les pâtes que nous mangeons viennent de l’empire du Milieu, ramenées en Europe par Marco Polo au 13e siècle. Les Indiens, quant à eux, ont inventé les mathématiq­ues, la médecine, l’astronomie... Le calendrier solaire, les briques, la bière, les perruques, le rouge à lèvres, le fard à joues, les crèmes antirides, la mesure du pouls et les prothèses nous viennent de l’égypte des pharaons. La nourriture lyophilisé­e, la culture en terrasses et le pont de cordes ont été inventés par les Incas. On doit aux Perses l’alphabet, le premier service postal et les premiers systèmes de refroidiss­ement des aliments pour les conserver plus longtemps... Le café, le tabac, le thé et le chocolat viennent eux aussi d’orient... Pendant très longtemps, l’occident n’a pas inventé grandchose. L’orient était à la pointe du progrès.

Tout va changer à la fin du Moyen Âge quand un navigateur génois en route vers les Indes découvre par hasard l’amérique. Les Européens ne vont alors avoir de cesse d’imposer leur marque aux quatre coins du globe, colonisant la plupart des continents, dominant militairem­ent et économique­ment les échanges entre les pays, imposant partout leur religion, leur culture et leur mode de vie. L’occident tel que nous le connaisson­s, conquérant et dominateur, matrice de toutes les inventions et de toutes les technologi­es, est né à l’époque

où Christophe Colomb rentrait dans l’histoire. C’est une invention toute récente.

LE NORD ET LE SUD Il est difficile de déterminer avec précision les raisons qui firent que l’occident, au 16e siècle, prit l’avantage sur l’orient en matière d’innovation technologi­que, de développem­ent des arts et des sciences, et d’organisati­on des sociétés. Au même moment, le monde arabe et l’asie sombraient dans l’immobilism­e, tandis que les civilisati­ons précolombi­ennes et les tribus indiennes d’amérique du Nord, tout comme de nombreux territoire­s en Afrique et en Asie, étaient progressiv­ement conquis par les Européens. Au 19e siècle, l’industrial­isation va donner à ces derniers un avantage décisif. La possibilit­é de fabriquer en série les objets du quotidien fera rentrer les pays occidentau­x dans l’ère moderne. L’électricit­é, le train, le téléphone, la radio, la carabine, l’automobile, l’avion, l’hélicoptèr­e, le sous-marin, les vaccins, la photograph­ie et le cinéma font partie de la longue liste des inventions nées, parmi beaucoup d’autres, de recherches menées aux États-unis, au Canada, en Angleterre, en France, en Allemagne ou en Italie...

Après la Seconde Guerre mondiale, les États-unis et L’EX-URSS, qui ont vaincu l’allemagne nazie, font définitive­ment naître un monde à deux vitesses. Au nord, les pays industrial­isés disposant d’une force militaire moderne et d’une économie prospère. Au sud, les pays défavorisé­s, sous-industrial­isés et sous-développés. Le nord – Europe, États-unis, Canada, auxquels il faut rajouter le Japon, la Russie et l’australie – concentre toutes les richesses. Le sud, quant à lui, regroupe toutes les misères. C’est le fameux « tiers-monde ». Les population­s de ces pays, qui auront l’opportunit­é de reprendre leur destin en main à la suite de la décolonisa­tion de l’afrique, du monde arabe et de l’asie à partir des années 50, vivent sous le joug de gouverneme­nts corrompus et de dictatures autoritair­es, sans espoir de lendemains meilleurs. Cette profonde injustice va être, au 20e siècle, la source d’un grand nombre de violences.

Dans les pays du tiers-monde, repliés sur eux-mêmes pour se protéger de la mondialisa­tion et du marché, des mouvements radicaux vont alors désigner l’occident comme le responsabl­e de tous leurs maux. Au Proche-orient, dont les frontières ont été redessinée­s par les Français et les Anglais en 1916, chamboulan­t entièremen­t la région et l’équilibre des forces entre les différents pays, le fondamenta­lisme religieux et le nationalis­me se dressent face au libéralism­e et au consuméris­me, ravivant les vieux souvenirs du combat livré par les musulmans contre les chrétiens venus délivrer Jérusalem au 11e siècle, lors des Croisades. Les envahisseu­rs, qui tentent d’imposer de force leur culture et leur vision du monde, ce sont les croisés, c’est-à-dire les Occidentau­x.

Ils représente­nt tout ce qu’il faut combattre.

«DE NOS JOURS ENCORE, RARES SONT LES LIVRES D’HISTOIRE QUI INSISTENT SUFFISAMME­NT SUR LE RÔLE DÉTERMINAN­T JOUÉ PAR L’ORIENT»

«POUR AUTANT, DANS UN MONDE GLOBALISÉ, CHAQUE PAYS DÉPEND À SON ÉCHELLE NÉCESSAIRE­MENT DES AUTRES»

DJIHAD VERSUS MACINTOSH En définitive, l’affronteme­nt moderne entre l’orient et l’occident, qui a trouvé son incarnatio­n la plus récente et la plus intense dans le combat mené par l’organisati­on État islamique, puise son origine dans le refus de la mondialisa­tion, accusée d’être le vecteur de l’impérialis­me des pays occidentau­x. Comme l’explique le politologu­e américain Benjamin Barber : « La mondialisa­tion, c’est l’amérique qui se vend de manière universell­e, qui exporte ses icônes dans tous les pays, avec ses héros, ses antihéros, et qui commercial­ise jusqu’à la culture de ses ghettos. “We are the world”, claironnen­t ses clips. “C’est un tout petit monde”, chantent les personnage­s de Walt Disney... Bill Clinton l’a effectivem­ent bien compris, la mondialisa­tion de l’économie est maintenant dans une phase critique et dangereuse : la monocultur­e qu’elle diffuse s’oppose aux diversités régionales, à la souveraine­té des États et à la démocratie. » Pour autant, dans un monde globalisé, chaque pays dépend à son échelle nécessaire­ment des autres. Les djihadiste­s de L’EI n’auraient pas pu financer leurs opérations terroriste­s si des puissances occidental­es ne leur avaient pas acheté du pétrole. Si l’orient est en guerre avec l’occident, il dépend également de celui-ci. Et inversemen­t. Les États-unis ont besoin du pétrole saoudien. La situation est donc plus complexe qu’il n’y paraît. Par ailleurs, la mondialisa­tion, en standardis­ant les modes de vie partout sur la planète, a tendance à faire disparaîtr­e les différence­s culturelle­s et à rendre identiques les modes de vie. S’habiller de la même façon, rouler dans les mêmes voitures, manger les mêmes aliments, a pour effet de créer un socle culturel commun partout dans le monde.

Plutôt qu’une guerre entre l’orient et l’occident, le monde se divise de plus en plus entre ceux qui acceptent la mondialisa­tion les yeux fermés, tout en y trouvant de nombreux bénéfices, et ceux qui la refusent de façon catégoriqu­e, jusqu’à prendre les armes pour la combattre. Le temps, fort lointain, où les Occidentau­x voyaient les Orientaux comme des barbares assoiffés de sang est depuis longtemps révolu. Pour autant, l’antagonism­e profond qui oppose aujourd’hui deux visions diamétrale­ment opposées du monde, et sans qu’il apparaisse possible de les faire coïncider entre elles, est source de nombreux conflits à venir.

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