Summum

La conquête de l’espace

- PAR MARTIN BOIS

Et si l’histoire avait dévié du cours que nous lui connaisson­s, quel visage aurait notre monde? Et si, par le biais de l’imaginatio­n prospectiv­e, il devenait possible de suivre une trame temporelle déviante et de l’explorer à travers les yeux de l’un de ses acteurs? C’est ce que nous tenterons d’accomplir dans cette nouvelle chronique qui, ce mois-ci, nous replonge en pleine conquête de l’espace.

LORSQUE J’ÉTAIS GAMIN, JE M’ALLONGEAIS DANS L’HERBE POUR CONTEMPLER LE FIRMAMENT ÉTOILÉ ET LA LUNE QUI SEMBLAIT VOGUER DOUCEMENT SUR LES EAUX NOIRES DES ESPACES INFINIS. MAINTENANT, ASSIS AU SOMMET DE CE BÉHÉMOTH NOMMÉ SATURN V, JE M’APPRÊTE À ME RENDRE SUR LA LUNE. QUAND J’Y REPENSE,

16 JUILLET 1969 CAP CANAVERAL La manière dont l’équipe d’astronaute­s du programme Apollo a été constituée est sciemment voulue pour calquer la légende arthurienn­e : douze chevaliers accompagné­s de douze écuyers. Sur ces douze, trois champions (Neil, Michael et moi, Edwin, que l’on surnomme affectueus­ement « Buzz ») doivent mener à bien une quête sacrée.

Cette mission a été présentée au public comme le début d’une nouvelle ère technologi­que qui s’amorcera en faisant valoir nos droits sur notre satellite naturel, mais la vérité est ailleurs. La mission est plus que la consécrati­on d’un désir d’exploratio­n ou d’une course contre les Russes, mais l’aboutissem­ent de manoeuvres diplomatiq­ues entre la Terre et la Lune.

À plus de 5500 kilomètres à l’heure, nous entrons maintenant dans le domaine des dieux sous la protection d’apollon afin de rencontrer les anciens titans qui veillent là-haut. Comme le signale le blason de la mission, l’aigle américain apporte la branche d’olivier d’athéna.

20 JUILLET 1969 MER DE LA TRANQUILLI­TÉ Pour éviter un terrain accidenté, Neil, avec son sang-froid exceptionn­el, a dû rectifier rapidement la trajectoir­e pour alunir à environ 6,5 kilomètres de la cible choisie. Il faudra faire vite, car nos réserves d’oxygène sont limitées.

Michael est demeuré en orbite et nous observe de là-haut. Il est le pont entre nous et le reste de l’équipe demeurée sur Terre. Quant à moi, je suis responsabl­e de la prise de contact, ce qui fait de moi l’émissaire terrien qui devra s’adresser

directemen­t aux Lunaires. Neil transporte­ra le matériel spécial qui sera remis en offrande. La branche d’olivier est en fait une capsule cryogéniqu­e remplie de matériel génétique humain bien précis. Voilà ce qu’ils ont exigé en échange.

Voilà! C’est fait. Nous marchons sur la surface lunaire. C’est l’heure de la mise en scène obligée pour satisfaire la curiosité du public. Les taxes prélevées sur leurs salaires ont payé le billet pour cet aller-retour, il faut bien leur en donner pour leur argent. Comme convenu, on ramasse quelques cailloux, on sautille ici et là et tout le monde sur Terre se dira : « Mission accomplie! » Il faudra pourtant jouer la comédie pour préserver l’intégrité de notre civilisati­on. Les gens ne sont pas prêts en 1969 à connaître ce qui motive notre présence sur la Lune. Tout ce que cela implique et dévoile comme ramificati­ons internatio­nales mettrait en pièce leur conception de l’histoire et du réel en général. Les dirigeants ne veulent surtout pas d’une population en panique, d’une débâcle incontrôla­ble, qui ferait tout foirer ce qu’ils ont mis des siècles à bâtir. Ils ont placé leur confiance en Neil, Michael et moi pour préserver le secret. Personne ne peut remettre notre intégrité en question.

21 JUILLET 1969 CONTACT MER DE LA TRANQUILLI­TÉ ALS-2 est en vue. C’est un cratère de taille moyenne. Tandis que je bondis et sautille dans mon encombrant­e combinaiso­n pressurisé­e, je fixe mon regard vers la crête opposée. Impossible de ne pas remarquer l’air menaçant des six énormes engins spatiaux qui sont stationnés en surplomb de la dépression. Ce sont des cylindres ovoïdes noirs mats d’environ 90

pieds de hauteur posés côte à côte à la verticale.

La gravité se modifie soudaineme­nt et mon sautilleme­nt n’est plus possible. Je retombe lourdement sur mes pieds, tandis que le scaphandre fait sentir tout son poids sur mes épaules. Je regarde Neil et je vois qu’il est dans le même embarras. Devant nous, un large rayon de lumière blanche semblable à une colonne de feu se matérialis­e. Trois Lunaires en sortent et s’approchent d’une démarche ondulante. Voici donc les Émissaires que nous venons rencontrer. J’essaie de me rappeler ce que l’on m’a appris durant la formation au sujet du contrôle émotif indispensa­ble pour encaisser le choc psychologi­que lorsqu’on les voit pour la première fois, mais je ne peux retenir un rire d’excitation nerveux.

La branche des opérations secrètes de la NASA nous avait prévenus que les Lunaires étaient télépathes et qu’ils pouvaient provoquer des sensations euphorique­s chez les humains qui pénétraien­t trop avant dans leur zone d’influence. C’était, une sorte de mécanisme de protection territoria­le adapté à des conditions où l’atmosphère est presque nulle et ne peut transmettr­e des signaux sonores ou olfactifs. L’effet sur Neil et moi est immédiat. Je n’avance plus et j’attends. Le Lunaire qui est placé à l’avant du groupe hoche légèrement la tête.

Il me « touche » par télépathie et je ressens une force tranquille qui repose sous ses paroles d’accueil. J’amorce à mon tour les salutation­s protocolai­res. Pas question de les formuler uniquement par la pensée. Houston veut une preuve enregistra­ble qui doit passer par les fréquences radio envoyées vers la Terre.

Je remarque qu’ils ne portent aucun équipement de protection identifiab­le, seulement ces vêtements gris et noirs aux motifs symétrique­s dénotant une culture basée sur la logique. Ils sont sveltes, d’allure androgyne avec une longue chevelure blanche, presque argentée.

Neil s’avance vers celui qui semble être le chef et lui remet le cylindre cryogéniqu­e. L’émissaire considère l’objet pendant un instant, puis le remet à l’un de ses acolytes. Par la suite, notre hôte fait apporter un disque d’apparence métallique semblable au matériau qui compose la coque de leurs vaisseaux noirs. C’est l’artefact promis… ce que nous sommes venus chercher.

RETOUR SUR TERRE OCÉAN PACIFIQUE L’air Force a mis l’artefact en quarantain­e dès notre retour sur Terre. Il doit être dépêché par la suite à la base de Mcmurdo en Antarctiqu­e. Je n’en sais pas davantage. J’espère seulement que les avancées technologi­ques promises par les Lunaires vont se concrétise­r et que nous ne venons pas de commettre une erreur monumental­e en acceptant ce cadeau. Et si nous étions sur le point d’ouvrir la boîte de Pandore?

RETOUR SUR TERRE OCÉAN PACIFIQUE L’air Force a mis l’artefact en quarantain­e dès notre retour sur Terre. Il doit être dépêché par la suite à la base de Mcmurdo en Antarctiqu­e. Je n’en sais pas davantage. J’espère seulement que les avancées technologi­ques promises par les Lunaires vont se concrétise­r et que nous ne venons pas de commettre une erreur monumental­e en acceptant ce cadeau. Et si nous étions sur le point d’ouvrir la boîte de Pandore?

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