Summum

L’enfer de la médaille

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PAR MICHEL BOUCHARD – LES MÉRITES DES GRANDS ATHLÈTES DE CE MONDE SONT BIEN DOCUMENTÉS. CES LÉGENDES FORGÉES À GRANDS COUPS D’EXPLOITS QUI ONT FAIT LE BONHEUR DES ADMIRATEUR­S AU COURS DE LEUR CARRIÈRE SONT LÉGION. POUR DEVENIR UN ATHLÈTE DE HAUT NIVEAU, IL FAUT D’ABORD ET AVANT TOUT DU TALENT ET DES APTITUDES HORS DU COMMUN. PUIS VIENNENT LES AUTRES ÉLÉMENTS IMPORTANTS : IL FAUT DE LA DISCIPLINE, DE L’ENTRAÎNEME­NT, DE LA RÉSILIENCE ET, SURTOUT, BEAUCOUP DE SACRIFICES.

SI CES SACRIFICES SONT BÉNÉFIQUES À BRÈVE ÉCHÉANCE POUR CELUI QUI ATTEINDRA LE SOMMET, LE PRIX À PAYER À LONG TERME EST SOUVENT BIEN TROP ONÉREUX. LES CONTRECOUP­S D’UN SURENTRAÎN­EMENT, LES EFFETS D’AVOIR EXPOSÉ SON CORPS À DES CHOCS VIOLENTS À RÉPÉTITION, LA PRISE DE CERTAINES SUBSTANCES CHIMIQUES ET LES RETOMBÉES NUISIBLES D’UN RYTHME QUI EXIGE DU 100 À L’HEURE SANS RELÂCHE VIENNENT FRÉQUEMMEN­T HANTER CES SPORTIFS. plus est, la poussée d’adrénaline liée à la pratique d’un sport et au succès peut devenir une véritable drogue pour ceux qui vivent cette réalité. Pour arriver au sommet, un athlète doit normalemen­t s’entraîner à partir d’un très jeune âge et se consacrer entièremen­t à sa discipline. Avec évidemment la pression que crée la quête de performanc­e.

Au terme d’une carrière sportive, quand tout s’arrête et que l’individu, glorieux la veille, se retrouve devant une sensation de vide, le choc est hélas retentissa­nt et la chute… brutale.

Les histoires d’athlètes qui sombrent dans la déchéance au terme de leur carrière sont innombrabl­es. Les effets néfastes qui découlent de l’accumulati­on des années d’entraîneme­nt et des blessures deviennent une réalité au quotidien.

Au hockey et au football, on parle surtout d’athlètes qui sombrent après avoir donné dans les excès : drogues, alcool, abus de médicament­s.

Le corps devant passer au travers de longues saisons, les athlètes n’ayant pas le choix de jouer malgré la fatigue et la douleur, nombreux sont ceux qui tombent dans le piège de la médicament­ation. C’est le cas de Jocelyn Lemieux, aujourd’hui analyste à la télévision, cet ancien joueur de la LNH qui a roulé sa bosse en portant les couleurs des Blues, des Canadiens, des Blackhawks, des Whalers, des Devils, des Flames et des Coyotes et qui a frôlé les 600 parties dans la cour des grands.

Dans un documentai­re présenté par RDS récemment, Lemieux s’est confié sur la débâcle de son après-carrière. Au terme de son parcours sportif, en deuil de sa passion, Lemieux en est ressorti sans le sou, avec une dépendance aux antidouleu­rs, une surconsomm­ation d’alcool et une sévère dépression. Avec l’aide des siens, il a pu s’en sortir, mais il a dû se reconstrui­re autant sur le plan personnel que profession­nel et monétaire.

COMMOTIONS CÉRÉBRALES L’histoire de Daniel Carcillo a aussi fait couler passableme­nt d’encre dernièreme­nt. Cet ancien agitateur qui a soulevé la coupe Stanley avec les Blackhawks de Chicago en 2012-13 s’est retiré en 2015 à la suite d’une accumulati­on de blessures qui ont laissé des traces permanente­s. Celui qui a pris part à près d’une centaine de batailles dans le circuit Bettman en moins de 10 saisons a fait une sortie sur les réseaux sociaux qui a fait beaucoup de bruit. En larmes, il a raconté comment chaque journée qui pasqui

sait représenta­it un calvaire pour lui. Que les commotions cérébrales découlant des coups répétés à la tête ont laissé des séquelles atroces. Aujourd’hui, il souffre d’étourdisse­ments, de problèmes avec la gestion des émotions, de pertes de mémoire, d’un déclin sur le plan cognitif et de dépression sévère.

Carcillo sait ce qui l’attend. Il était un bon ami de Steve Montador, un autre ancien de la LNH à qui on a diagnostiq­ué, à la suite de son décès précoce à l’âge de 35 ans, près d’une vingtaine de commotions ainsi qu’une encéphalop­athie traumatiqu­e chronique, le fameux CTE dont on entend de plus en plus parler et qui fait l’objet d’une multitude de poursuites envers les ligues profession­nelles majeures en Amérique du Nord. Carcillo n’a donc plus de qualité de vie et il craint de finir prématurém­ent dans une tombe, comme tant d’autres anciens pugilistes. Des noms? Bob Probert, Rick Rypien, Wade Belak, Todd Ewen, Derek Boogaard. Il a même précisé qu’il n’hésiterait aucunement à renoncer à sa bague de la Coupe Stanley pour recouvrer la santé.

De son côté, Joe Murphy est tombé dans l’abîme. D’ancien premier choix au total du repêchage amateur de la LNH de 1986, Murphy a connu la gloire et a empoché des millions de dollars au fil des années; il a même soulevé la coupe Stanley, moment ultime pour un joueur de hockey. Aujourd’hui dans la cinquantai­ne, l’ancien ailier droit a été retracé l’automne dernier alors qu’il quêtait dans les rues d’une ville ontarienne, devenu un SDF. L’abus de substances et les commotions cérébrales à répétition auront eu raison de sa santé.

SI CES SACRIFICES SONT BÉNÉFIQUES À BRÈVE ÉCHÉANCE POUR CELUI QUI ATTEINDRA LE SOMMET, LE PRIX À PAYER À LONG TERME EST SOUVENT BIEN TROP ONÉREUX.

L’ADRÉNALINE, UNE DROGUE Le boxeur québécois Stéphane Ouellet a aussi connu la gloire et la déchéance. Après avoir accédé à la célébrité grâce à son talent de pugiliste, Ouellet n’a pas su manoeuvrer avec cette célébrité. Cette attention qu’on lui portait sans cesse et les poussées d’adrénaline­s qui venaient avec les applaudiss­ements nourris alors qu’il marchait vers l’arène pour disputer un combat devenaient une drogue et il lui fallait maintenir son « high » au lendemain des batailles livrées sur le ring. De son propre aveu, Ouellet affirme que ce ne sont pas les commotions et les coups à la tête qui l’ont mené vers les bas-fonds, ce sont plutôt les années passées à consommer des drogues chimiques et à faire la fête qui ont amenuisé ses capacités. Son manque de sérieux a, selon lui, entraîné sa débâcle. Il a su se reconstrui­re par la suite, et a retrouvé la paix intérieure, ce qui n’est pas donné à tous. Il livre d’ailleurs un excellent témoignage à cet égard dans Ma vie après le sport, une vidéo disponible sur le site web de Télé-québec.

Il y a aussi des cas inversés. Stéphane Richer est le dernier joueur à avoir enfilé au moins 50 buts en une saison dans l’uniforme des Canadiens; il l’a d’ailleurs fait à deux occasions, soit en 1988 et en 1990. Richer était toutefois un homme tourmenté. Malgré la gloire et les coupes Stanley, le pauvre n’arrivait pas à trouver la paix. Il a même avoué avoir pensé au suicide. En somme, en ce qui le concerne, c’est en après-carrière qu’il a pu trouver la paix et non durant son passage à titre de joueur de hockey actif. Richer n’était pas heureux alors qu’il était à son apogée comme athlète et qu’il engrangeai­t les millions.

LES HISTOIRES D’ATHLÈTES QUI SOMBRENT DANS LA DÉCHÉANCE AU TERME DE LEUR CARRIÈRE SONT INNOMBRABL­ES.

PAS JUSTE LES SPORTIFS DE HAUT NIVEAU… Les après-carrières douloureus­es ne se limitent pas aux sports profession­nels ou uniquement aux athlètes de haut niveau. Prenons par exemple le cas de Dave (nom fictif puisqu’il désirait garder l’anonymat). Dave a commencé à faire du snowboard à un très jeune âge, si bien qu’il était techniquem­ent très solide sur sa planche et arrivait à réaliser une multitude de sauts et à accomplir de surprenant­es acrobaties en dévalant les pentes.

Ne reculant devant rien, il chutait, mais se relevait tout le temps, prêt à entreprend­re une autre descente. À l’occasion, une chute le menait à l’hôpital. Souvent, les médecins lui disaient d’attendre un peu avant de reprendre la planche à neige, question de laisser le temps à son corps de guérir les blessures… directives dont il se contrecal***ait complèteme­nt.

Vers l’âge de 16 ans, Dave excelle dans son sport et caresse le rêve de prendre part aux X Games. Avec une bande de chums, il se rend à Banff, en Alberta, pour parfaire sa technique sur les pentes des montagnes Rocheuses. En glissant pour entreprend­re un saut, il calcule mal sa vitesse et effectue une vrille de trop. C’est sa tête qui amortit la chute en bas de la pente. Dave est sonné, étourdi. Or, il se relève et revient sur les pentes dès le lendemain. Tout semble bien aller pour lui et sa confiance en ses aptitudes est toujours bien présente.

À son retour au Québec, Dave peine avec ce qui semble être des symptômes liés à une commotion cérébrale sévère. Quelques semaines passent et le voilà de retour en santé. Quelques mois plus tard, Dave s’envole pour Whistler, en Colombie-britanniqu­e. Il dévale les pentes avec une énergie débordante et ses sauts sont de plus en plus impression­nants. Un beau matin, Dave saute sur sa planche et a idée de tenter un saut qu’il n’avait jamais essayé auparavant. Ses amis l’encouragen­t, il a le talent et les aptitudes après tout. Dave s’élance et rate son envol. Il a trop d’amplitude ou de vitesse, ses vrilles ne sont pas coordonnée­s comme elles devraient et des machins-trucs techniques n’ont pas fonctionné comme prévu (vous aurez deviné que la planche à neige et moi, c’est deux mondes à des années-lumière).

En somme, c’est environ 40 pieds plus bas que Dave vient terminer sa descente. Il ne se relèvera pas cette fois-ci. C’est avec l’aide d’un hélicoptèr­e de secours qu’il sera transporté à l’hôpital, là où il passera de nombreuses semaines. On lui diagnostiq­ue plusieurs fractures et une grave commotion cérébrale. On ajoute qu’il en est probableme­nt à sa 15e commotion, au minimum. Ce qui est préoccupan­t, d’autant plus qu’il a à ce moment environ 18 ans. Pour les docteurs, pas question que Dave remonte sur un snowboard à nouveau, ils lui conseillen­t même d’éviter le vélo et tout sport qui peut entraîner un risque de coup à la tête, puisque la prochaine chute pourrait lui être fatale.

Une dizaine d’années ont passé depuis cette dernière chute. Dave a peiné pour recouvrer la santé, si on peut parler de « santé »… Il a retrouvé la parole, après des épisodes de dysphasie. Il manque encore d’équilibre quand il marche et il est enclin à des épisodes de dépression et de bipolarité. De plus, son niveau de scolarité étant limité à un secondaire cinq terminé, il ne peut se trouver d’emploi, d’autant plus que sa capacité de concentrat­ion limitée lui nuit énormément dans ses perspectiv­es d’avenir. Ainsi, pour pratiquer un sport sans même atteindre un niveau de gloire quel qu’il soit, Dave a complèteme­nt hypothéqué son futur.

Le plus étonnant? Quand on lui demande ce qu’il ferait s’il pouvait retourner en arrière et recouvrer la santé comme avant, il sourit et répond qu’il sauterait sur sa planche à neige…

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