Un homme aux fourneaux
Par Jean- sébastien doré - Une belle demeure du village français de Gambais faisait les manchettes au début de 2018; mise en vente par ses propriétaires des quarante dernières années, la maison peinait à faire valoir son charme tout particulier : le fait d’avoir été le théâtre de meurtres parmi les plus légendaires de l’histoire. Le nom qui y sera à tout jamais associé : Landru.
Déclaré coupable en 1921 de onze homicides commis entre 1915 et 1919, le petit homme allait raccourcir de quelques pouces au tout début de l’année suivante en laissant derrière lui de nombreuses questions sans réponses. Sans corps à identifier, sinon quelques fragments, ni d’aveu de l’accusé lors de son procès, comment déterminer la manière par laquelle furent tuées ses victimes? Dans les carnets détaillés de l’assassin, le nom de tous les gens avec qui il a été en contact au fil des ans est inscrit. En cours d’enquête, une bonne quantité d’entre eux – plus souvent qu’autrement, elles – ne purent être retracés. Combien de victimes s’ajoutent peut-être aux onze que nous connaissons?
Tout cela, c’est le « petit bagage » avec lequel le Barbe-Bleue de Gambais a décidé de partir. Retraçons ensemble la vie, les crimes… et les traits d’humour de celui qui allait inspirer le Monsieur
Verdoux de Charlie Chaplin.
Nous sommes au début du XXe siècle, à l’aube de la Première Guerre mondiale. Henri Désiré Landru, petit escroc sans succès, sinon auprès des dames, ne voyait plus le jour où ses magouilles lui permettraient de nourrir sa famille. Les autorités françaises le prirent plusieurs fois à frauder – de manière ingénieuse, parfois, comme par cette campagne de souscription pour des bicyclettes à moteur qu’il n’avait aucunement l’intention de faire fabriquer -, il fit même de la prison quelques fois pour cette raison. Coup de chance, selon lui
: avec la majorité des hommes qui sont au front, nombreuses sont les femmes seules en France : certaines veuves; certaines autres, à tout le moins, sans nouvelles de leur mari. Landru, un homme cultivé ayant toujours voulu changer de statut social, y voit une occasion de charmer des femmes voulant échapper à la solitude, pour ensuite les dépouiller de leurs avoirs. Comment? Grâce à des annonces matrimoniales dans les journaux! « M. 45 ans, seul, s. famille, situation 4000 ay. inter. désire épous. dame âge situation, rapport. C.T. 45 Jal. » Voici le genre de petite annonce que Landru fait paraître dans les quotidiens de l’époque. Et c’est ainsi qu’il entre en contact avec 283 femmes, qu’il sélectionne par la suite selon leur richesse et leur réseau de connaissances – moins elles sont entourées, moins on les cherchera. Il utilisera des pseudonymes différents pour rencontrer chaque élue, usant de son charme pour les convaincre de se marier, pour leur emprunter de l’argent, ou pour leur
faire signer des papiers.
Le modus operandi de Landru était aussi infâme qu’efficace. Quand les soupçons des victimes étaient trop grands ou qu’il avait réussi à obtenir ce qu’il voulait, il les assassinait avant de les débiter et de réduire leurs restes en cendres dans sa cuisinière. Les cendres et fragments d’os et de vêtements étaient ensuite enterrés dans sa cour arrière. Les meubles et
autres articles de valeur des victimes étaient enfin déménagés par Landru et son fils – qui croyait aider son père brocanteur – dans son
appartement de Paris.
Les crimes de Landru
Entre 1915 et 1919, on perdit la trace de onze personnes : Jeanne-Marie Cuchet (disparue en février 1915), son fils André Cuchet (idem), Thérèse Laborde-Line (26 juin 1915), MarieAngélique Guillin (3 août 1915), Berthe-Anna
Héon (8 décembre 1915), Anne Collomb (27 décembre 1916), Andrée-Anne Babelay (12 avril 1917), Célestine Buisson (1er septembre 1917), Louise-Joséphine Jaume (26 novembre 1917), Anne-Marie Pascal (5 avril 1918) et MarieThérèse Marchadier (13 janvier 1919), dont on retrouva ensuite les trois chiens, étranglés. Afin de fuir les autorités et les familles de ses victimes qui se mirent bientôt à s’inquiéter de l’absence prolongée de leurs proches, Landru loua successivement des villas dans quelques endroits différents : Chantilly, Vernouillet,
puis enfin, Gambais.
Puisqu’il changeait de pseudonyme pour approcher chacune de ses victimes, lorsque le proche d’une disparue déclarait aux autorités que cette dernière venait de marier et d’emménager avec M. Untel, on ne fit pas tout de suite de recoupement. On décela toutefois bientôt un pattern. Les allées et venues de cet étrange homme avec des femmes toujours différentes ne laissaient pas la population de Gambais indifférente. Cet homme qui chauffait excessivement sa maison, même en plein été! On nota aussi que la fumée ainsi produite, sentait le cochon calciné! On retrouva égale
ment des morceaux de chair en putréfaction dans des cours d’eau des environs de la villa
habitée par Landru.
Fast-forward le 12 avril 1919, où l’on procède à l’arrestation d’un certain Lucien Guillet. Vous aurez deviné : Guillet n’est que Landru sous un pseudonyme donné à l’une des dames ayant répondu à ses annonces matrimoniales. Alors qu’on l’emportait, Landru tente de se débarrasser d’un carnet embarrassant… Les policiers interceptent le document qui va s’avérer crucial pour la suite des choses. S’y trouvent les noms de toutes les conquêtes de notre homme, accompagnés de dates précises, des montants et des biens obtenus des victimes, en plus des dépenses faites par Landru (dont plusieurs billets de train aller-retour pour lui, aller seulement pour sa compagne).
Enfin un bon one-man show!
Le procès de Landru, mené par le président Gilbert, devint un véritable cirque médiatique. Des célébrités de l’époque y assistèrent : Colette, Raimu, Maurice Chevalier, Mistinguett, Sacha Guitry. Chaque élément de son déroulement passionna la France : le témoignage des proches de certaines femmes disparues, la présentation des nombreuses pièces à conviction. Les astuces utilisées par les avocats de l’accusé, Me Vincent de Moro-Giafferri, assisté de Me Auguste Navières du Treuil pour épargner la
peine de mort à leur client!
Notons celle-ci : afin de souligner le doute quant à la culpabilité de Landru qui demeurait chez le public et les jurés, de Moro-Giafferri leur affirma que les personnes disparues entre 1915-1919 se trouvaient derrière une porte de la salle d’audience, et qu’elles allaient se présenter à eux. Tout le monde tourna la tête vers la
porte, sauf Landru.
Ce dernier niera tout jusqu’à la fin. On retiendra son commentaire « Montrez-moi les cadavres! ». Les réparties de l’accusé choquent, font rire. On vient assister au procès pour voir le rigolo en action. En vrac, on lui attribue ces vannes : « si les femmes que j’ai connues ont quelque chose à me reprocher, elles n’ont qu’à déposer plainte ! », « vous parlez toujours de ma tête, Monsieur l’avocat général. Je regrette de n’en avoir pas plusieurs à vous offrir ! », « j’ai des remords... je pleure parce que je pense qu’avec tout le scandale fait autour de mon nom, on a appris à ma pauvre femme que je l’avais trompée ». Landru ayant fait rire l’assistance une fois de plus et de trop, le président menace de retourner tout le monde à la maison. « Pour mon compte, monsieur le Président, ce n’est
pas de refus », répondit le coquin.
C’est bien beau rire, mais il faut aussi travailler. C’est amusant et ça fait du bien! Le jury ne se fit pas prier et, après huit heures, déclara à l’unanimité : coupable. Le 30 novembre 1921, Landru est condamné à la guillotine. Le président de la République rejettera son recours en grâce.
Fais-moi un dessin
Est-ce que c’est une cuisine? Une cuisinière? Un aveu?
Afin de le remercier de ses loyaux services, Landru remet à Me Navières du Treuil un petit dessin fait par lui et interprété par la suite, malgré les manières quelque peu cryptiques du personnage, comme étant une confession. Portant le titre « LES CAUSES CÉLÈBRES / LE MYSTÈRE DE GAMBAIS », l’illustration montre à voir une reproduction fidèle de la cuisine de Landru, exécutée à la règle, sur laquelle figure la cuisinière dont tout le monde parle. Petit fait insolite : présenté en cour comme pièce à conviction, l’appareil appartient maintenant à l’animateur français Laurent Ruquier, un fanatique du cas Landru. Oh! Intéressant! Au verso du dessin, Navières du Treuil, donc la succession rendit public le petit cadeau, put
lire ces mots : « Mon cher maître. Permettez-moi de vous offrir ce modeste souvenir, fait pendant la préparation des débats et dont le sujet m’a été inspiré par la déposition d’un témoin; preuve incontestable et indiscutable de l’incommensurable bêtise humaine, ce n’est pas le mûr derrière lequel il se passe quelque chose, mais bien la cuisinière dans laquelle on a brûlé [souligné trois fois par
Landru] quelque chose. »
« L’incommensurable bêtise humaine »! Faudrait-il donc être un brin misanthrope pour tuer, démembrer et brûler des gens dans sa cuisinière afin de les spolier de leurs maigres économies et de leurs quelques biens meubles? L’histoire ne le dit pas. Reste que ce n’est probablement
pas un restant de coq au vin que l’on a brûlé là-dedans.
6h10. Temps clair
C’est le bourreau de légende Anatole Deibler qui note ceci dans un de ses carnets de travail toujours bien ordonnés. Nous sommes le 25 février 1922 et le soleil se lève tranquillement sur la place des Tribunaux à Versailles. Quelques minutes auparavant, soit vers 5h25, les avocats de Landru, des agents et l’aumônier de la prison allaient rencontrer le détenu afin de le préparer à monter sur l’échafaud. Me de Moro-Giafferri a épuisé ses derniers recours afin d’éviter la guillotine à son client. Landru est serein malgré les circonstances, toujours armé de son humour légèrement hautain; ainsi, lorsque l’aumônier lui demande s’il croit en Dieu, il aurait répondu : « Monsieur le curé, je vais mourir et vous jouez aux devinettes ». On lui fit sa toilette (sa barbe fut taillée, le col de sa chemise découpé), on lui demanda sa dernière volonté – se laver les pieds; demande promptement refusée -, avant de lui proposer un dernier verre de rhum et une cigarette. Landru, qui ne fumait pas et ne buvait pas tellement davantage, déclina, prétextant – un dernier clin d’oeil complice à la caméra avant de mourir! – que ce n’était pas bon pour la santé. Son avocat tenta bien de lui soutirer un ultime aveu de culpabilité, le « petit bagage »
dont nous parlions plus haut, que Landru préféra emporter dans la tombe. Quelques minutes après 6h, donc, la tête de l’assassin tombait dans le panier avant d’être rapidement ensevelie – avec le reste du corps, s’entend – dans le cimetière des Gonards à Versailles. Deibler et son équipe s’affairaient alors à laver et à démonter la guillotine. La foule,
venue nombreuse, se dispersait.
Et après ?
Et après? Drôle de question. Après, les quelque 800 demandes en mariage reçues par notre homme alors qu’il croupissait en prison demeurèrent sans réponse. Sa maîtresse des derniers moments avant son arrestation, Fernande Segret, vécut une vie paisible, quoique toujours encombrée du souvenir du Barbe-Bleue de Gambais. Le 21 janvier 1968, 50 ans jour pour jour après la demande en mariage que lui avait fait le tueur en série, elle se suicida. On découvrit
deux photographies dans sa chambre : celle de sa mère, et celle de Landru.
Le mystère entourant le cas Landru fascine toujours, des dizaines de livres ayant été écrits sur le personnage, sa vie, son procès, son exécution, au fil des années. Les curieux qui voudraient poursuivre leur immersion dans le monde sordide du playboy à la cuisinière devraient, selon nous du moins, se procurer le livre Landru’s Secrets par Richard Tomlinson, paru – en anglais seulement – en octobre 2018. En plus des faits généraux de l’affaire, le profil personnel et psychologique de l’homme Landru y est finement établi, à partir des documents d’époque, déclassés depuis peu : la misogynie de l’homme qui n’aurait pas charmé et tué que pour l’oseille y est entre autres évoquée. Les 72 femmes figurant dans les carnets de Landru, mais qui n’ont
jamais été retrouvée par la police, également.
Bonne lecture, les weirdos!