Summum

ImmAtuRE MAlGRé MOi

- PAR ALEX ROOF PHOTOGRAPH­E : MARiAnnE PlAisAncE

J’ai vécu une enfance heureuse dans la petite ville de Trois-Rivières avec de très bons amis et d’excellents parents. Je m’amusais dans tout, et ce, même à l’école! ce que j’aimais du secondaire, c’était que je pouvais déconner : je déclenchai­s des batailles de bouffe, je mettais du laxatif dans le café du prof, je faisais jouer des bruits de films pornos dans le haut-parleur de l’école… pis ça, c’tait toute dans un seul avant-midi !

Malgré mon goût pour les mauvais coups, j’étais doué à l’école. J’ai complété mon secondaire 1 et mon secondaire 2 dans la même année. Je sais que cela peut vous surprendre venant de quelqu’un qui a la face d’un gars qui a triplé sa maternelle. J’en conviens, j’ai plus l’air d’un gars qui saute des profs que quelqu’un qui saute des années. ce qui est encore plus paradoxal d’avoir sauté une année, c’est que présenteme­nt je suis en train de me demander si je dois écrire « un » ou « une » année.

Je suis arrivé au cégep à la fin de mes 15 ans, ce qui était sensé être une bonne chose selon les adultes institutio­nnalisés dans cette société de performanc­e de résultats scolaires. Pour moi, c’était l’horreur. J’avais les notes pour être au cégep, mais j’avais la maturité de flâner dans un magasin de farces et attrapes! On venait de prendre un enfant pour l’asseoir à la table des adultes. Il allait y avoir des dégâts, c’était certain!

Je venais d’abandonner à contrecoeu­r mon mode de vie à faire rire les gens de ma classe pour celui de devoir choisir le métier que je ferais pour les 40 prochaines années. non seulement je n’étais pas prêt à prendre une décision d’une telle importance, mais je ne voulais pas quitter ce que j’aimais le plus : faire rire.

Perdu dans ce monde auquel je n’étais pas prêt à faire face, j’ai consulté un orienteur. Vêtu de mes souliers de skateboard trop grands, une casquette des Yankees rouge comme Fred Durst de limp Bizkit, j’ai pris tout le courage que j’avais afin de lui faire part de mes angoisses et lui partager mon rêve : celui d’être humoriste.

Il m’a regardé d’un air hautain et il m’a dit d’un ton aussi sec que l’effet de manger un sandwich au bran de scie : « Faire rire n’est pas une manière de gagner sa vie. » Il m’a donné un questionna­ire à compléter afin que l’on me trouve un métier adéquat.

« Adéquat. » Voilà le choix que cet adulte institutio­nnalisé avait choisi pour vivre une vie non pas amusante, plaisante, trépidante ou autre synonyme que je viens de trouver sur Google, mais une vie beige platonique sans rien de mordant : une vie tout simplement « adéquate ».

J’ai passé presque deux ans au cégep. Je ne me sentais tellement pas à ma place. Je pleurais le matin avant d’aller à mes cours. Un étudiant est pas sensé pleurer avant d’aller à ses cours, y’a les professeur­s pour ça.

Quand t’es malheureux, ton corps réagit en conséquenc­e. la plupart des gens vont tomber en dépression. la dépression touche une personne sur cinq au canada. Même Bell essaie de régler la dépression avec sa journée « Bell cause pour la cause ». Tu sais que c’est un problème qui touche beaucoup de gens quand même Bell essaie de régler le problème. J’ai donc commencé à avoir des raideurs au cou qui se sont transformé­es en douleurs chroniques avec lesquelles je n’arrivais même plus à dormir la nuit.

sur une période de plusieurs années entre 16 et 19 ans, j’ai consulté un ostéopathe, un physiothér­apeute, un chiroprati­cien, et une masseuse… mais ça c’était pour autre chose! Pour vous donner une idée, j’étais tellement désespéré que j’ai même essayé l’hypnose. n’allez pas voir le show de Messmer, ça règle rien!

Un soir, ma tête ne bougeait plus et je pleurais de douleur. Mes parents m’ont emmené à l’hôpital et j’ai été hospitalis­é pendant huit jours. On m’a passé une batterie de tests. On a fait des analyses pour voir si j’avais le cancer et autres maladies auxquelles tu ne veux pas penser, surtout pas à l’âge de 19 ans. On me gavait de dilaudid, un dérivé de morphine, et plusieurs autres anti-douleurs qui n’avaient aucun effet. Pendant ces huit jours à l’hôpital, je me suis promis que si je sortais de l’hôpital vivant, je consacrera­is ma vie à réaliser mon rêve : être humoriste.

On m’a finalement diagnostiq­ué de l’anxiété chronique et prescrit des médicament­s que je dois, encore aujourd’hui, prendre tous les jours. (let’s go Tout le monde en parle, invitez-moi, je vais pouvoir parler de mon anxiété tout en ploguant ma nouvelle tournée avec mon spectacle IMMATURE, billets disponible­s au alexroof.ca!) Fidèle à ma promesse, j’ai commencé à faire en sorte de ne plus perdre de temps dans les endroits où je n’aime pas aller : j’ai donc vendu mes billets pour la pièce de théâtre de ma nièce.

J’AI PLuS L’AIR D’uN GARS QuI SAutE DES PROFS QuE QuELQu’uN QuI SAutE DES ANNÉES

sorti de l’hôpital, le cégep recommença­it le 20 janvier, le jour de ma fête. Je me suis présenté au premier cours et je me suis assis. Après moins de cinq minutes, alors que le cours était à peine commencé, je me suis levé et je me suis fait le plus beau cadeau de fête de toute ma vie : j’ai quitté le cégep pour ne jamais y remettre les pieds. le prof qui distribuai­t les plans de cours m’a alors regardé et m’a dit : « Alex, où vas-tu? »

Je lui ai répondu : « si mon plan fonctionne, vous ne me r’verrez pu jamais. »

Je marchais fier, le torse bombé et la tête haute, parce que ce que je voulais insinuer, c’était : « si je réussis à être humoriste, je n’aurai plus à retourner à l’école. » J’ai vite compris qu’un jeune étudiant dépressif qui quitte un cours en disant « si mon plan fonctionne, vous ne me r’verrez pu ! », ça a juste l’air d’un gars qui s’en va se suicider!

Vous auriez dû voir la face de ma mère qui a dû expliquer à la police que mon fameux plan n’était pas de me lancer en bas d’un pont, mais bien en humour.

J’ai maintenant la chance de vivre de l’humour depuis bientôt 10 ans. Depuis que j’ai pris cette décision, je me sens bien. J’ai choisi un métier qui me passionne et qui me rend heureux. J’aurais peut-être une meilleure sécurité financière ou un métier plus stable si j’étais resté à l’école, mais j’aurais souffert atrocement toute ma vie. Alors la prochaine fois que vous me trouvez immature, dites-vous qu’être un enfant, c’est ma façon à moi de prendre soin de moi, et ça, c’est très mature.

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