Summum

HistoiRes de bar

- PAR Jo Côté PHOTOGRAPH­E : jEAn-fRAnçOis GRAvEl

aujourd’hui, je m’adresse à vous, frères et soeurs de la nuit. À tous ceux qui s’arrachent de temps à autre pour oublier la semaine de marde qui vient de se terminer. aux enseignant­es qui sortent entre chums de filles pour décrocher de Mathis, huit ans, qui mange des bâtons de colle comme si c’était des pogos. Aux truckers qui en profitent pour partir sur la brosse après leur run aux states. je dis « profitent », mais, entre vous et moi, je sais que vous faites un Claude dubois de temps en temps, c’est-à-dire vous ouvrir une petite frette en chauffant. Aux robineux qui n’ont pas une cenne pour boire, mais qui sortent dans les bars pour se clancher des fonds de pintes remplies de bave et de rousses « flat ».

À vous tous, je dis : « Buvez jusqu’au dernier sou. » Au pire, vous mangerez des sandwichs à la moutarde jusqu’à la prochaine paie parce que OUi, vous méritez ce huitième shooter de téquila.

Personnell­ement, les meilleures années de ma vie, je les ai passées dans un pub branché de Québec, sur la rue saint-jean, alors que je travaillai­s comme portier. dans un bar, il y a toujours quelque chose de magique qui se passe. Je ne sais pas si c’est l’alcool ou le GHb, mais les gens perdent tout gros bon sens. Je vous partage donc mes meilleures anecdotes de soirées de débauches à titre de portier du mythique sacrilège.

Les CLieNts

le pub de quartier où je travaillai­s accueille chaque soir la clientèle type d’un quartier plus ou moins fancy. il y a premièreme­nt les groupes de filles qui doivent se faire signer les boules par 10 gars parce qu’une d’entre elles va se marier dans une semaine. M’a te dire, j’étais le premier à sauter sur le sharpie. il y a aussi le pendant masculin : un groupe de gars, habillés en couche, qui demandent des numéros de cellulaire­s, mais avec ce qu’ils portent, tout ce qu’ils peuvent se ramener, c’est une Jocelyne des Résidences soleil.

il y a les petits duos en date. Tu les spottes tout de suite. le gars est beaucoup trop alpha pour la fille. T’sais, le genre de gars qui habite directemen­t au beachclub pis qui s’est fait sortir à la première semaine d’Od. Pis la fille, soit elle est complèteme­nt sobre ou complèteme­nt déchirée pour pouvoir endurer la vidange avec qui elle sort. On sait tous que tu le fais pour son argent, fille!

dernièreme­nt, il y a aussi les gars seuls, qui boivent de la grosse bière jusqu’à ce qu’ils se pissent dessus ou qu’ils tombent de leur chaise. ils font ça pour oublier leur solitude, mais c’est exactement pour ce comporteme­nt-là qu’ils restent seuls. Eux, c’est mes préférés. Un soir, un gars pratiqueme­nt couché sur le bar, parce qu’il ne se tient plus debout, commande deux shots de Chartreuse. Je lui dis que c’est un peu exagéré et que je devrais le sortir. il me répond que le deuxième shooter, c’est pas pour lui, mais pour la fille assise au bout du bar. je confirme avec lui :

– Pour la fille assise sur le coin du mur au fond du bar?

il me fait oui de la tête avec un grand sourire de prédateur. Et moi de lui répondre :

– il est temps que tu partes, c’est un manteau, man.

Les ReNCoNtRes

Un des beaux côtés des bars, c’est les rencontres. Tu ne sais jamais sur qui tu vas tomber, avec qui tu vas partir et encore moins avec qui tu vas te battre. Ce que j’ai aimé de travailler à ce bar, c’est que c’est un bar reconnu pour son côté chaleureux et familial, pas dans le sens que tu peux amener tes enfants, mais dans le sens d’un bar où tu te sens chez vous.

D’ailleurs, durant le festival d’été de Québec (fEQ), j’ai déjà brossé avec des bands internatio­naux. À l’époque, je connaissai­s pas très bien la musique et encore moins l’anglais. Un soir du fEQ, une gang de gars aux allures rock débarquent en fin de soirée pour boire une pinte, tranquille. ils s’installent à une table sur la terrasse à l’arrière. Tout va bien, jusqu’à ce qu’un d’entre eux me demandent si on avait une place discrète pour rouler un joint. je lui montre le backstore et il me raconte que c’est un des membres de The Killers. aujourd’hui, je comprends ce qu’il voulait dire, mais à l’époque, j’avais juste saisi le terme « killers ». la chienne m’a pogné, j’étais sûr que c’était une nouvelle gang de motards. Je te garantis que je feelais doux… à un tel point que s’il m’avait demandé de lui astiquer le poireau, je l’aurais fait. la soirée se termine, je fais sortir tout le monde, mais les boys nous payent 200 $ chaque pour qu’on leur donne une heure de plus. Tu craches pas sur 200 $, pis j’avoue que ça me tentait pas de les sortir. les seuls gens que je connais qui traînent 1000 $ cash sur eux, c’est les vendeurs de poudre. ça fait que j’ai dit : « Oui messieurs », sans les regarder dans les yeux. C’est deux jours plus tard, en me rendant travailler, que j’ai vu l’affiche de leur show et que j’ai compris que c’était The Killers. vivre deux jours dans la peur de mourir, c’est comme d’être en couple avec une nymphomane : tu dors pas beaucoup.

ViVRe deux JouRs dANs LA PeuR de MouRiR, C’est CoMMe d’êtRe eN CouPLe AVeC uNe NyMPHoMANe

tu doRs PAs beAuCouP.

GéReR LA MoRt

le bar où je travaillai­s possède des marches pour les toilettes qui sont aussi à pic qu’un douanier américain en instance de divorce. Un soir du fEQ, parce qu’évidement les moments les plus épiques arrivent toujours quand t’es dans le jus, un gars vient me voir pour me dire que quelqu’un était mort en bas des marches. Mon adrénaline « pope » et je vais voir ce qui se passe. je constate qu’effectivem­ent un homme est étendu au sol avec une immense flaque de sang tout près de son crâne. je ne suis pas un spécialist­e de la santé, mais là, disons que les signes étaient clairs. j’avais devant moi un cadavre. je le brasse un brin pour vérifier s’il allait répondre, mais silence radio. Tout ce qui me vient à l’esprit, c’est que si l’incident est criminel, je suis le principal suspect. Je viens de laisser mes empreintes partout sur lui comme un beau cave! je capote, je vais voir ma gérante en lui disant qu’il faudrait arrêter la musique et ouvrir les lumières parce qu’un dude est mort. Ma gérante constate la même chose que moi. On appelle l’ambulance et on vide le bar. le temps que les services d’urgence arrivent, le gars est revenu à lui. il est assis dans les marches, couvert de sang et il pleure parce qu’il a brisé sa montre. À sa place, j’aurais pleuré par peur de finir légume, mais bon… Chacun ses priorités! On a couvert le sang avec des vieux journaux et la fête a repris comme si rien n’était arrivé.

la morale de l’histoire : la boisson gagnera toujours sur le drame.

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