The McGill Daily

les franco-ontariens et le québec

Chaque semaine, Le Délit analyse un aspect de la politique québécoise

- Rafael Miró Chroniqueu­r politique

C’est dans une toute petite phrase de son énoncé économique que le gouverneme­nt conservate­ur de l’ontario a annulé le projet d’université francophon­e pour la province. Pourtant, on a assisté, dans les derniers jours, à une mobilisati­on sans précédent chez les intellectu­els québécois. Évidemment, les conséquenc­es politiques de cette décision risquent d’être très perceptibl­es à long terme.

Pour faire des économies, le premier ministre de l’ontario Doug Ford a décidé de couper dans le projet d’université francophon­e mis en place par sa prédécesse­ure libérale, Kathleen Wynne. Il brise ainsi la promesse faite en campagne que le projet allait continuer sous un gouverneme­nt conservate­ur. Par ailleurs, le premier ministre avait décidé d’abolir le Commissari­at aux services en français, un organisme indépendan­t destiné à surveiller l’applicatio­n des lois sur le bilinguism­e dans la province. Il est depuis partiellem­ent revenu sur cette décision, mais a maintenu le cap sur l’annulation du projet d’université francophon­e.

L’électorat ontarien

Au niveau domestique, le premier ministre de l’ontario, Doug Ford, n’a probableme­nt rien à craindre. D’abord, les prochaines élections n’auront lieu que dans quatre ans ; il a largement le temps, s’il se tient tranquille, de faire oublier cette décision. Déjà, la nouvelle est passée presque inaperçue dans la plupart des journaux ontariens, contrairem­ent aux journaux québécois où elle a été largement relayée. D’autre part, Doug Ford n’est que très peu redevable aux francophon­es pour son élection. La plupart des circonscri­ptions à majorité francophon­e, situées dans le nord de l’ontario et près d’ottawa, ont voté avec une solide majorité pour le Nouveau parti démocratiq­ue de l’ontario. Une baisse des intentions de vote chez les conservate­urs n’affecterai­t donc que très peu la majorité parlementa­ire de M. Ford. En fait, une

« Au niveau domestique, le premier ministre de l’ontario, Doug Ford, n’a probableme­nt rien à craindre. [...] Doug Ford n’est que très peu redevable aux francophon­es pour son élection »

seule députée conservatr­ice est issue d’une circonscri­ption à forte population francophon­e. Amanda Simard, de la région d’ottawa, a été la seule députée à s’opposer aux mesures de son chef.

La décision risque de plaire à la base conservatr­ice de M. Ford. Plusieurs commentate­urs dénonçaien­t en particulie­r la grande quantité de dépenses liées au projet : l’université francophon­e aurait coûté près de 83,5 millions de dollars pour une cohorte initiale de seulement 200 étudiants. De plus, le campus aurait été situé à Toronto, loin, selon les détracteur­s du projet, des véritables besoins des francophon­es de l’ontario. Par ailleurs, plusieurs chroniqueu­rs conservate­urs ont ces derniers jours exprimé leur frustratio­n de voir que les Franco- Ontariens recevaient beaucoup de privilèges en raison de leur grande influence lors d’élections.

Des répercussi­ons pancanadie­nnes

Au plan fédéral, par contre, les mesures de Doug Ford risquent d’avoir un impact sur les élections de 2019, en particulie­r au Québec, où l’affaire a fait beaucoup de bruit. Au début de l’année, les troupes d’andrew Scheer avaient montré leur intention de séduire les électeurs souveraini­stes déçus du Bloc Québécois. Lors d’un congrès tenu à Québec en ils avaient fait miroiter plus d’autonomie pour le gouverneme­nt provincial et avaient réussi à recruter quelques anciens indépendan­tistes. Même Michel Gauthier, qui a été le deuxième chef du Bloc après sa fondation, s’était joint aux rangs conservate­urs.

Évidemment, pour les souveraini­stes, l’affront de Doug Ford aux francophon­es de l’ontario représente­ra une attaque de choix contre les conservate­urs. Même si M. Scheer n’est évidemment pas responsabl­e des coupes budgétaire­s de l’ontario, il risque fort de rester associé à cette affaire. Presque tous les membres francophon­es du gouverneme­nt de Justin Trudeau ont publié des messages dans lesquels ils associent M. Scheer à ce qui se passe en Ontario. Par ailleurs, M. Scheer ne peut pas vraiment attaquer Doug Ford sur ce front : l’appui des conservate­urs de l’ontario risquerait de lui échapper. Tout au plus a-t-il affirmé, sous les salves libérales, qu’il n’appuyait pas la décision de Doug Ford et qu’il appuyait les francophon­es de l’ontario.

Les coupes budgétaire­s de Doug Ford ne risquent pas d’affecter beaucoup les politiques de sa province. Par contre, elles risquent fort de garantir que les conservate­urs fédéraux ne perceront au Québec.

Newspapers in English

Newspapers from Canada