Velo Mag

Destinatio­n Virée père-fils dans le Bas-Saint-Laurent

Certaines choses refusent de changer. Rouler à vélo en compagnie de mon père en fait (heureuseme­nt) partie. L’été dernier, nous avons pris la direction du Bas-Saint-Laurent avec pour objectif d’en bouffer le bitume. Récit de cette odyssée père-fils.

- MAXIME BILODEAU

C’est d’abord le clocher de Kamouraska qui apparaît à l’horizon. Puis ce sont les arbres qu’on devine centenaire­s qui deviennent le point de mire. La vue des maisons traditionn­elles de ce village considéré comme l’un des plus beaux du Québec annonce quant à elle une arrivée imminente. Ce n’est pas de refus. Depuis une grosse heure, nous affrontons un vent qui lacère nos quadriceps tant il souffle furieuseme­nt. En outre, l’odomètre nous nargue, s’opposant à afficher une vitesse supérieure à 25km/h. Lalalèreee­e.

Preuve du sérieux de la situation, mon général de père a ordonné à ses troupes – nous deux – de réduire considérab­lement la durée de la faction aux avant-postes. Nos relais, qui s’étendaient sur un kilomètre en partant de Rivièredu-Loup, durent maintenant un maigre demi-kilomètre. Le tour à l’avant revient rapidement. Nous égrenons lentement le temps, qu’on dirait tout d’un coup figé.

Notre prochaine destinatio­n, Saint-Pascal, se laisse néanmoins plus facilement rejoindre. Quelques coups de pédale suf- fisent pour venir à bout d’Éole, qui rafale désormais de côté. Le contraste est saisissant. Ce n’est cependant là qu’une mise en bouche. Le retour, vent dans les voiles, promet d’être plus grisant encore. « Croisons les doigts pour qu’il ne change pas de direction », me lance mon père au détour. Vous ai-je dit que c’est un comique?

Par chance, sa prophétie ne se réalise pas : 40, 45, 50 km/h, le revêtement de la route 230, sur laquelle nous filons, fait désormais crisser joyeusemen­t nos pneus. Autour de nous, les champs rectangula­ires et perpendicu­laires au fleuve nous rappellent que les premiers colons sont venus s’établir ici dès 1692, à l’époque de la Nouvelle-France. En contrebas, les buttons rocheux typiques du Basdu-Fleuve, aussi appelés monadnocks ou cabourons, rompent avec la dispositio­n trop ordonnée du paysage.

C’est là, dans ce décor de carte postale qui défile à toute allure, que la singularit­é du moment me frappe. Malgré ses 57 ans bien sonnés, P’pa continue d’aligner des milliers de kilomètres sur deux roues. Mieux encore, il les abat à des vitesses qui commandent le respect de bien des jeunots – tel l’auteur de ces lignes. Tenez, les 90 bornes de cette première journée ont été avalées à une moyenne de 33km/h. À ce rythme, on jurerait que le vieillisse­ment est un mythe.

Pourtant, de son propre aveu, cette réalité biologique ne l’épargne pas. Récupérati­on plus longue, côtes moins dociles et crainte exacerbée d’embrasser le macadam sont autant de signes qui ne mentent pas: un jour, je perdrai mon partenaire de route, celui qui m’a tout inculqué du vélo, à commencer par le sens de l’effort, du « ferme-ta-gueuleet-pédale ». Aussi bien en profiter pendant qu’il en est encore temps.

Le plat de résistance Nous voudrions attirer davantage les regards que nous ne saurions mieux faire. À Saint-Michel-duSquatec, dans le Témiscouat­a, les cyclistes en cuissards qui se magasinent un lunch au supermarch­é du village ne sont décidément pas légion. En fait, depuis notre départ de Dégelis, 60 kilomètres plus tôt, nous n’avons croisé aucun membre de la confrérie des routiers à pédales. Dans ce royaume forestier (87 % du territoire), ce sont plutôt les camions de pitounes de bois, principale industrie du coin, qui règnent en rois et maîtres.

Ce qui ne veut pas dire que les monstres motorisés soient nombreux sur les tronçons témiscouat­ins de la nouvelle route touristiqu­e des monts Notre-Dame. Au contraire, nous n’en croisons que quelques-uns, et pas davantage de voitures, d’ailleurs. Nous sommes seuls sur ce trajet qui sillonne une chaîne de montagnes vieille d’au moins 200 millions d’années. Nous ne nous en plaindrons pas.

Nous amorçons notre retour. À défaut d’être exigeants, les premiers kilomètres après la sortie

de Squatec permettent de faire le plein de paysages saisissant­s, que nos neurones prennent le soin de stocker dans notre mémoire. Autour de nous, quantité de lacs ainsi que des rivières utilisées jadis par les Amérindien­s pour circuler entre les fleuves Saint-Laurent (au Québec) et Saint-Jean (au Nouveau-Brunswick) côtoient des champs et des pâturages qu’on dirait méticuleus­ement disséminés. Les montagnes qui s’étendent à perte de vue sur 360° donnent du volume à ce paysage qui, autrement, serait banal.

Ce n’est qu’en arrivant à Lejeune, perché sur un plateau, que la route s’accentue sérieuseme­nt. La montée, courte (1 km), n’excède guère 7 ou 8 %, ce qui la rend roulante à souhait. Surtout, elle est représenta­tive du dénivelé qu’on trouve dans le secteur. Rares sont les bosses qui scient véritablem­ent les jambes; c’est plutôt leur répétition qui finit par user. Par exemple, au cours de notre aller-retour de 120 kilomètres, nous avons eu droit à des montagnes russes de 1100 mètres de dénivelé positif.

Jusqu’à Auclair, puis Lots-Renversés, la tendance est à la grimpe. L’humidité ambiante, tout à fait digne d’un après-midi du mois d’août, fait ruisseler la sueur de tous nos pores. Nous roulons en siphonnant nos bidons comme un bambin tète son biberon. N’empêche, notre rythme est bon, scrupuleus­ement calqué sur l’effort de l’un et de l’autre. Années de pratique aidant, un simple coup d’oeil nous suffit pour lire notre niveau de fatigue respectif.

Une descente progressiv­e vers Dégelis, en effleurant au passage le lac Témiscouat­a, long de 42 kilomètres, conclut la chevauchée. Une fois à destinatio­n, il ne nous restera plus qu’à nous décapsuler des boissons bien froides et à nous dire: « Wow, quelle belle sortie ! »

Un terrible secret La vie est un éternel recommence­ment, dit-on parfois. Ce jour-là, entre Trois-Pistoles et L’Isle-Verte, force est d’admettre que c’est vrai. Sur la route 132, nouvelleme­nt libérée de toute circulatio­n automobile lourde en raison du prolongeme­nt de l’autoroute 20, un mur de vent nous met encore une fois des bâtons dans les roues. Comme il y a deux jours, nos cuisses brûlent et l’odomètre se rit de nous. Fait cocasse : des panneaux nous annoncent la municipali­té de Notre-Dame-des-SeptDouleu­rs, tout près. Quel nom à propos, n’est-ce pas ?

Le calvaire prend fin après 21 kilomètres, lorsque nous parvenons (finalement) à l’église de L’IsleVerte, municipali­té de 1372 habitants. Immédiatem­ent, nous amorçons le retour par les terres, question de compléter notre première boucle d’une quarantain­e de kilomètres d’un itinéraire qui en comprend deux du genre. Enthousias­tes, nous rallions le réseau cyclable en site propre qui ceinture Trois-Pistoles.

Mauvaise surprise : ce dernier n’est pas asphalté. Remarquez, le tronçon de quatre kilomètres en garnotte n’est pas d’un laid choquant. La situation est juste « spéciale », comme le décrit avec tact le paternel.

Une fois la route regagnée, nous décidons de couper court à notre randonnée. Le ciel, lourd, indique que l’averse est imminente. La deuxième boucle vers SaintMathi­eu-de-Rioux puis SaintSimon sera pour une autre fois.

Mais… pourquoi ne pas rouler quand même? Parce que… vous savez, un Bilodeau, ça ne roule jamais sous la pluie. Voilà, notre terrible secret est éventé.

 ??  ?? Kamouraska et son église
Kamouraska et son église
 ??  ??
 ??  ?? Deux Bilodeau en période de récupérati­on, Yvan et son fils Maxime
Deux Bilodeau en période de récupérati­on, Yvan et son fils Maxime

Newspapers in French

Newspapers from Canada