NUTRITION
Savourer l’autonomie à vélo
Se lever, enfiler les vêtements de la veille, faire quelques étirements et s’élancer sur des routes inconnues. Mais qui dit aventure dit logistique nutritionnelle. Le défi : équilibrer le ravitaillement et le poids des bagages. Rencontre avec des voyageurs qui ne sont pas loin d’avoir trouvé la recette du bonheur à vélo.
Louise Hénault fait du vélo depuis toujours. Sa passion s’est transformée en voyages de groupes un peu partout sur la planète. Alors au Mexique au moment d’écrire ces lignes, elle nous a répondu entre deux villes, reprenant un peu de forces au passage. Jonathan B. Roy est le nomade cycliste préféré des Québécois. Ayant à son actif déjà une multitude de pays traversés sur deux roues, il accumule les aventures, qu’il partage avec nous dans son blogue et son livre ( Histoires à dormir dehors, Vélo Québec Éditions). En Bolivie lorsque nous lui avons parlé, il entamait la phase 4 d’un périple qui a débuté en 2016.
L’hydratation est un enjeu de taille à vélo et, bien qu’il soit facile de transporter des bouteilles d’eau, le poids des autres bagages restreint la quantité apportée. Comment gérez-vous le liquide en voyage et devezvous planifier des arrêts stratégiques pour refaire le plein ? Traînez-vous également des pastilles pour désinfecter l’eau ?
L. H. : Au Panama ou au Mexique, dès 11 h le matin, la température est insupportable et nous fait suer à grosses gouttes. Comme nous sommes un groupe de cyclistes avec accompagnateurs, nous avons la chance de compter sur le camion de ravitaillement, qui cette fois-ci arrête tous les 25 km. L’eau devient rapidement chaude, mais heureusement pour nous, plusieurs petites épiceries nous offrent des options rafraîchissantes. Dans les grosses journées, j’ajoute des électrolytes dans toutes mes gourdes afin de ne pas trop me déshydrater.
J. B. R. : Le poids de mon vélo et de mon équipement varie entre 55 et 70 kg, selon le poids de l’eau et de la nourriture que j’ai à transporter. J’ai deux bidons et un sac MSR Dromedary de 4 litres. C’est suffisant la plupart du temps, sauf si je traverse un désert. Alors là, je dois boire de 12 à 15 litres d’eau par jour, que je répartis dans des bouteilles de 2 litres installées un peu partout sur mon vélo. Généralement, je peux me ravitailler dans des stations d’essence ou des petits magasins, que je croise tous les 100 km environ.
Dans la majorité des pays, je n’achète pas d’eau et j’en prends à même les robinets dans les endroits publics ou bien directement dans les rivières et les lacs. Je n’ai jamais apporté de pastilles, et je n’ai jamais été très malade, donc c’est beaucoup plus simple ainsi.
Manger des barres énergétiques est une option pratique lorsqu’on part plusieurs heures, mais comment cela se transformet-il dans un voyage qui dure des mois ? Avez-vous un horaire établi afin de pouvoir inclure des repas de qualité au quotidien ?
L. H. : Les barres énergétiques en voyage de vélo ne font pas partie de notre quotidien. Dans chaque ville et village où nous arrêtons, nous trouvons des aliments très substantiels, que ce soit des barres aux figues, des noix, des fruits frais et séchés. Pour les repas, nous arrêtons souvent dans un restaurant local où nous retrouvons riz, légumes, viande et légumineuses. Nous n’avons pas vraiment d’horaire typique, mais nous essayons d’arrêter vers midi, et lorsque le soleil commence à descendre, pour le souper.
J. B. R. : Évidemment, je n’ai pas de barres. Un voyage à vélo est le contraire d’une course. Je ne porte pas de shorts en Lycra, je ne suis pas aérodynamique, je ne regarde pas ma cadence ni ma vitesse. Bref, je mange quand j’ai faim et ce dont j’ai envie. Des fois, je ne mange que du pain dans une journée, si je n’ai nulle part où arrêter. Les repas que je prépare moi-même sont hyper simples, comme des pâtes avec du thon, en plus d’une autre boîte de conserve, comme des petits pois.
Cela dit, dans beaucoup de régions, je ne cuisine pas du tout, par exemple en Asie du Sud-Est, en Chine ou au Brésil. Dans le pre
mier cas, on trouve des repas au bord de la route tous les 50 m ou presque. La recette est bien simple : on mange quand on a faim et ce qui se trouve sur son chemin. Voilà une chose de moins à penser pour le voyageur, par rapport à l’athlète.
Rouler tous les jours à des intensités modérées entraîne des modifications notables dans les apports alimentaires, mais surtout dans l’utilisation de l’énergie. À ces intensités, les glucides demeurent importants, mais il peut être utile d’ajouter un peu de protéines et de matières grasses aux collations pour avoir un niveau d’énergie constant, tout en évitant une fonte de la masse maigre (muscles). À quoi peuvent ressembler vos collations sur le vélo?
L. H.: Les collations lors des ravitaillements sont surtout composées de fruits (incluant des tomates), des jus de fruits et des biscuits. Il arrive parfois qu’on trouve un peu de yogourt, mais comme on mange un peu chaque fois que la faim se fait sentir, on ne se préoccupe pas vraiment des collations.
J. B. R. : Je ne calcule absolument rien, mais j’essaie de manger des fruits que je trouve en route, lorsqu’il est possible d’en avoir!
J’essaie de ne jamais acheter de produits avec du sucre ajouté, mais j’échoue souvent. Je me gâte parfois avec des biscuits au chocolat. Par contre, s’il fait trop chaud, le chocolat complique les choses. En Amérique du Sud, on trouve plusieurs sortes d’empanadas, qui se transportent bien et que je peux manger autant en collation que pour le souper.
Les aliments, au-delà de leurs aspects nutritifs, sont un prétexte pour aller à la rencontre des autres et agissent comme un excellent liant social. C’est également un moment pour faire le point sur la journée et profiter du moment présent. En voyage, c’est aussi un art à découvrir et une ouverture sur une nouvelle culture. Quelle est votre relation avec les aliments dans ces voyages en autonomie et avez-vous accès à des repas qui vous permettent de créer des souvenirs gustatifs mémorables ?
L. H.: Je me souviens d’une fois en particulier, au Chili, à l’entrée du parc du volcan Villarrica. Il se faisait tard, le gardien du parc nous avait alors proposé de nous préparer un méchoui de porc, que nous avons partagé avec lui et sa mère. Puis j’ai vécu un autre moment mémorable au sommet du col Tizi N’Test, au Maroc. Comme la noirceur s’était installée, nous avons dû nous arrêter au sommet. Un aimable gardien nous a accueillis pour la nuit et nous a offert une omelette et du pain. Dans ces situations, le contact chaleureux s’installe automatiquement.
J. B. R. : Surtout pour dîner, j’arrête souvent dans des bouis-bouis, qui se résument souvent à une seule table en plastique dehors. Est-ce la maison d’une personne ou un microrestaurant? C’est ce que je découvre en m’assoyant. Je ne sais pas toujours ce que je mange, mais le plus souvent, c’est excellent. Parfois, d’autres clients viennent me parler, parfois, c’est la propriétaire des lieux. Ça dépend aussi de ma connaissance de la langue. Quand je reste quelques jours dans une ville, ce qui est plus rare, je sors le soir dans des lieux un peu plus recherchés. Je me souviens de quelques repas marquants en voyage, notamment de la langue de cheval crue (à mon anniversaire, j’étais allé m’asseoir au bar dans un minuscule restaurant de Kobe, au Japon, et je pointais des plats sur le menu), du lait de dromadaire fermenté (j’avais reçu une invitation à dîner au Kazakhstan), du steak de lama (dernièrement, ici en Bolivie, dans un restaurant de Potosí), du khatchapouri et des khinkalis (pain farci au fromage et raviolis) en Géorgie, et du rat (barbecue, bouilli, en soupe, etc.) au Laos (c’est vraiment très populaire dans les montagnes au nord, et c’est bon !).