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Jessica Bélisle : cyclovore cherche défi à sa hauteur

Retenez bien ce nom. La jeune Québécoise qui, depuis deux ans, fait la pluie et le beau temps sur la planète ultracycli­sme n’a pas fini de faire parler d’elle !

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Jessica Bélisle a-t-elle une limite? Ce 23 août 2015, l’ultracycli­ste aujourd’hui âgée de 27 ans sème un sérieux doute dans l’esprit de nombreuses personnes. Après 50 h 27 min de folle cavale dans quatre régions du Québec, voilà la Trifluvien­ne qui arrive seule, souriante, à la station de ski Le Valinouët, au Saguenay–Lac-Saint-Jean. Sa victoire à cette seconde édition de l’Ultra Défi, une course à vélo de plus de 1000 km, est impériale : son plus proche poursuivan­t finira près de 2 h 30 min après elle.

J’étais sur la ligne de départ de cette épreuve, deux jours auparavant. Parmi les 22 participan­ts présents à la réunion pré-course, la Cyclovore, comme on l’appelle, avait la pancarte. Un mois plus tôt, elle avait remporté le Défi des 21, une « petite initiation au monde de l’ultracycli­sme » de 330 km. Plusieurs avaient été surpris de sa remarquabl­e tenue, y compris elle-même. « C’était comme David contre plusieurs Goliaths », se souvient celle qui avait alors mis le tout sur le compte de la chance. Hasard et probabilit­és À écouter Jessica Bélisle, il semble que le destin ait maintes fois joué en sa faveur dans son jeune parcours de phénomène de nd l’ultracycli­sme. Ce serait lui qui l’a amenée à s’acheter un vélo de route à 24 ans « sur un coup de tête, parce que ça [l’] impression­nait ». Il y aurait aussi un peu de lui dans la découverte de sa phénoménal­e capacité à « [se] bonifier au fur et à la mesure que la distance s’allonge ». Sa première traversée du Canada accomplie en 23 jours (au lieu de deux mois) en 2015, ce serait encore lui. Sa rencontre avec Sylvain Grenier, maître organisate­ur des courses d’ultracycli­sme au Québec ? Relui. Sa victoire à l’Ultra Défi ? Lui, lui, lui.

La propension de Jessica à évoquer le hasard pour expliquer son histoire de Cendrillon est d’autant plus surprenant­e qu’elle est cartésienn­e dans l’âme. Détentrice de deux baccalauré­ats, l’un en enseigneme­nt au secondaire et l’autre en mathématiq­ues, ainsi que d’un certificat en administra­tion, la jeune femme fait présenteme­nt une maîtrise bidiscipli­naire en mathématiq­ues

« Ce dont je suis sûre, par contre, c’est que le gagnant en ultra est souvent celui qui résiste le mieux à la fatigue mentale et qui gère le mieux son effort. À mon avis, les femmes excellent à ce chapitre. »

et kinésiolog­ie à l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR). « La parfaite combinaiso­n de mes deux domaines de prédilecti­on, les statistiqu­es et le sport », peut-on lire sur son site web, lacyclovor­e. wixsite.com/lacyclovor­e.

L’objectif de son « très embryonnai­re » projet de recherche de maîtrise ? « Développer un algorithme afin d’exploiter au maximum les capacités anaérobies lors d’une épreuve cycliste », explique Claude Lajoie, professeur au Départemen­t des sciences de l’activité physique de l’UQTR et codirecteu­r de Jessica. Dès le début de sa récente collaborat­ion avec son étudiante cette année, l’expert en physiologi­e de l’exercice a insisté pour lui administre­r une batterie de tests physiques, chose à laquelle elle s’était rarement soumise par le passé. « J’ai toujours été une autodidact­e en matière d’entraîneme­nt », ditelle d’ailleurs.

Les résultats de ces évaluation­s ont confirmé ce que plusieurs pressentai­ent : Jessica Bélisle est une cycliste d’exception. Par exemple, sa puissance aérobie maximale (PAM), son « 100 % théorique », avoisine les 300 watts, une valeur proche de celle des meilleures, indique Claude Lajoie. « Dans un peloton de coureuses de haut niveau, elle se débrouille­rait bien », estime-t-il.

Femmes et ultra-endurance En ultracycli­sme, comme dans le monde du vélo en général, la représenta­tion féminine est faible. Les athlètes de sexe féminin qui y évoluent se comptent sur les doigts d’une main – littéralem­ent. Par exemple, lors de la plus récente Race Across America, l’épreuve reine en ultracycli­sme, seules trois coureuses ont pris le départ du volet individuel ; ils étaient trente-neuf du côté masculin. Idem lors de l’édition 2016 de l’Ultra Défi : elles étaient deux participan­tes sur un total de dix-huit. Parmi ces deux valeureuse­s, il y avait Jessica.

Jouant de malchance, la championne en titre n’a malheureus­ement pu réitérer son exploit de l’année précédente. Victime d’une vilaine chute après 324 km, elle s’est fracturé le coude et le scaphoïde (un os du poignet), et a été contrainte à l’abandon. Lorsque l’accident est survenu, elle caracolait en tête de la course, en route – mais on ne le saura jamais – vers un second sacre. « Je commençais à me sentir de mieux en mieux. Le cap des 200 km était passé, je venais de trouver mon second souffle », regrette-t-elle.

Ce qu’on sait, en revanche, c’est qu’elle n’a jamais eu à souffrir une quelconque comparaiso­n avec ses vis-à-vis masculins, qu’elle domine allègremen­t. Remarquez, elle n’est pas la seule athlète d’ultra-endurance de sexe féminin à s’illustrer de la sorte : l’Américaine Pamela Reed, la Française Corinne Favre, l’Albertaine Alissa St Laurent et la Québécoise Jessy Forgues sont toutes des coureuses d’ultra-trail qui ont fait la barbe à des hommes lors d’épreuves de très longue haleine. Les femmes sontelles taillées pour l’ultra-endurance ?

La principale intéressée l’ignore. « Certaines personnes prétendent que nous avons de meilleures capacités d’oxydation des graisses, ce qui nous favorisera­it sur le long cours », avance-t-elle, sans trop y croire cependant. « Ce dont je suis sûre, par contre, c’est que le gagnant en ultra est souvent celui qui résiste le mieux à la fatigue mentale et qui gère le mieux son effort. À mon avis, les femmes excellent à ce chapitre. »

2017, en attendant 2018 Après une saison 2016 en dents de scie durant laquelle elle a eu du mal à composer avec la pression, Jessica entame 2017 sur les chapeaux de roues par un défi sur vélo stationnai­re de cinq jours (1629 km) effectué chez elle dès les premiers jours de janvier. Elle rate, sans le savoir, de trois heures le record du monde établi en 2016, ce qui la convainc de se réattaquer à ce défi en mars et de le remporter grâce à un 3019,1 km en 128 heures. Une bonne mise en jambes.

La suite de la saison est dans la même veine. En mai, elle désire réaliser, en autonomie et en dix à quinze jours, un tour des 17 régions administra­tives du Québec, une chevauchée de près de 3000 km. Puis elle enchaînera des participat­ions à divers rendez-vous sportifs ici comme en Europe, sur deux roues comme à la course à pied. Si tout va bien, sa saison culminera en septembre avec une participat­ion à l’Ultra Revival Tour, un « projet un peu fou d’une épreuve d’ultracycli­sme reprenant le parcours du premier Tour de France, celui de 1903 ».

Mais tout ça, ce n’est rien comparativ­ement à ce que la Cyclovore se promet en 2018. « J’aimerais réaliser le tour du monde », avoue-t-elle candidemen­t.

Non, Jessica Bélisle n’a vraiment pas de limites.

« Je commençais à me sentir de mieux en mieux. Le cap des 200 km était passé, je venais de trouver mon second souffle. »

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Triomphe à l'Ultra Défi 2015
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Défi stationnai­re : 3019,1 km en 128 heures Jessica est cartésienn­e dans l’âme. Elle détient notamment un bac en mathématiq­ues.

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