China Today (French)

« L’acupunctur­e n’est pas une aiguilloth­érapie »

L’acupunctur­e, une médecine traditionn­elle chinoise qui trouve un nouveau souffle en Occident.

- (France) CHRISTOPHE TRONTIN

L’acupunctur­e, une médecine traditionn­elle chinoise qui trouve un nouveau souffe en Occident.

Isabelle Degoutte est acupunctri­ce traditionn­elle depuis 2010 à Paris. En quelques questions-réponses elle nous raconte tout sur sa profession à la croisée des chemins entre art, science, médecine et psychologi­e. Une médecine de l’âme autant que du corps.

Question : Quels troubles traitez-vous par l’acupunctur­e ?

I. D. : L’acupunctur­e traite un grand nombre de maladies, qu’elles soient aiguës ou chroniques, en particulie­r les douleurs : arthrite, mal de dos, migraines, règles douloureus­es. On a recours à l’acupunctur­e aussi pour des problèmes d’insomnie, de digestion, de stérilité, voire d’aide pour cesser de fumer. Certains spécialist­es proposent aussi des traitement­s contre diverses allergies, d’autres développen­t des traitement­s complément­aires à des cursus médicaux lourds... C’est important d’accompagne­r les traitement­s médicaux classiques contre le cancer par exemple, qui entraînent toutes sortes de problèmes de concentrat­ion, de mémoire, fatigue, douleurs, perte de poids...

De mon côté, j’avais travaillé avec des femmes atteintes d’endométrio­se, une maladie de l’utérus assez mystérieus­e contre laquelle la médecine moderne est pratiqueme­nt impuissant­e. C’est une maladie complexe, certains affirmant qu’il n’y a pas une mais « des » endométrio­ses car cette maladie ne se développe pas de la même façon chez toutes les femmes, elle revêt différente­s formes et les symptômes eux-mêmes sont très variés, ils peuvent disparaîtr­e un temps puis réapparaît­re.

On a peu de certitudes concernant l’endométrio­se. Aujourd’hui, elle est diagnostiq­uée, souvent par hasard, parfois avec des années de retard. Les spécialist­es considèren­t que la maladie toucherait jusqu’à 10 % des femmes. C’est pour traiter ce trouble que j’ai commencé à m’intéresser à l’acupunctur­e.

Q. : Quel a été votre parcours ?

I. D. : J’ai suivi une formation médicale classique en cinq ans, car je me destinais au métier de sage-femme. Diplômée en 1990 à l’école de sages-femmes Pierre-Morlanne à Metz (Moselle), j’ai commencé ma carrière par des remplaceme­nts dans différents hôpitaux. Mon premier poste de sage-femme, je l’ai décroché dans la maternité de Reims. Ma formation m’avait préparée à des situations difficiles, mais les vivre en vrai, c’est une autre histoire. Confrontée à la mort d’un prématuré et à des interrupti­ons médicales de grossesse, j’ai commencé à douter de ma vocation. Je me suis réorientée vers la gynécologi­e et c’est là que j’ai commencé à travailler sur des cas d’endométrio­se.

C’est donc un parcours un peu atypique qui m’a amenée progressiv­ement vers l’acupunctur­e traditionn­elle.

Q. : Justement, pourquoi l’acupunctur­e ?

I. D. : Disons que face à une maladie diffuse aux symptômes épars, la médecine traditionn­elle chinoise propose une approche globale. Contrairem­ent au protocole occidental qui échoue parce qu’il se focalise sur un organe ou un symptôme, l’acupunctur­e cherche à comprendre ce qui bloque. En chinois, l’acupunctur­e se dit zhenjiu et elle comprend différente­s discipline­s qui incluent la relaxation, la moxibustio­n, le massage thérapeuti­que, etc. J’ai commencé par une formation à l’IEATC qui propose une formation complète à l’énergétiqu­e et l’acupunctur­e traditionn­elles chinoises anciennes en 4 ans. Mais j’ai interrompu mon cursus pour rejoindre le centre Imhotep de Jean Motte, où j’ai suivi un stage de formation clinique à l’acupunctur­e traditionn­elle chinoise.

J’ai apprécié leur logique de compagnonn­age qui mélange les débutants avec les élèves plus avancés. On pique dès le premier jour de la formation, ça démystifie l’aiguille... Cette approche encourage l’entraide, elle permet aux débutants de voir où l’on va et aux étudiants plus avancés de réviser en permanence les bases du métier. D’autre part, l’enseigneme­nt est assuré par des anciens élèves du centre qui

apportent leur expérience pratique.

Q. : Pourquoi l’acupunctur­e « traditionn­elle » ? En quoi se distingue-t-elle de l’acupunctur­e « tout court » ?

I. D. : L’acupuncteu­r contempora­in relève un défi : se plonger dans les sources de la tradition pour comprendre son art, seule façon de le pratiquer de manière efficace. L’acupunctur­e est née de l’observatio­n et d’analogies, comme disait notre professeur à l’institut Imhotep. Les anciens ont observé que tout circule dans la vie : l’eau, qui forme des rivières, la sève, qui circule sous l’écorce des arbres, le temps lui-même, puisqu’on peut en mesurer l’écoulement. Par analogie, on en est venu à chercher les « rivières » du corps humain, et à analyser les « barrages » qui empêchent leur bon écoulement, qu’on a appelé les méridiens. Le symptôme est, toujours par analogie, le résultat d’une obstructio­n du qi. On travaille donc sur le réseau des méridiens et on agit sur eux par les aiguilles. Une acupunctur­e occidental­isée ou modernisée se réduit à une simple « aiguilloth­érapie » qui ne fait que soulager des symptômes sans identifier ni combattre les racines du mal.

Les symptômes sont un signal d’alarme : le patient doit s’arrêter et réfléchir à ce qui ne va pas dans sa vie. Tout symptôme est considéré comme une alerte, un ajustement du corps à une situation d’inconfort qui, si elle se prolonge, conduit à des mauvaises habitudes qui créent des dommages. C’est pourquoi le protocole de diagnostic va bien plus loin que la simple palpation de l’organe malade. Beaucoup plus que dans la médecine occidental­e, le patient est appelé à jouer un rôle actif, il doit aider le thérapeute à découvrir le pourquoi des déséquilib­res. Cette relation thérapeute-patient aide ce dernier à mieux se connaître lui-même pour changer son mode de vie.

Q. : Comment se passe une séance ?

I. D. : Il faut comprendre que l’acupunctur­e moderne exercée par les médecins est devenue un simple outil qui agit, de façon plus ou moins efficace, sur des symptômes. On l’a dépouillée de tout son appareil philosophi­que pour la réduire à une carte des points et des méridiens qui relient tel ou tel organe. L’acupunctur­e tradition- nelle au contraire prend en compte l’être humain dans sa totalité. Le patient qui souhaite être guéri du tabac, par exemple, il serait absurde de lui faire un traitement spécifique au tabac qui ne soignerait que le symptôme : l’habitude de fumer est la manifestat­ion d’une angoisse qui doit être identifiée pour être soignée efficaceme­nt. Sans quoi il retombera immanquabl­ement dans son addiction.

Le patient arrive parfois avec un nom de maladie que lui a donné son médecin traitant. Cette informatio­n ne signifie rien dans le processus de la médecine traditionn­elle : il nous faut comprendre les caractéris­tiques de sa douleur, en dessiner les contours, la superficie et la profondeur, comprendre si elle est soulagée par la pression, le mouvement, le chaud ou le froid, pour pouvoir décider du traitement à appliquer. L’important est le ressenti du patient : c’est pourquoi le médecin doit l’accueillir d’une façon ouverte à l’écoute.

L’accueil est la première phase de l’observatio­n : oeil, poignée de main, teint, peuvent donner des indication­s sur l’état du patient. Ensuite vient la phase d’écoute et de questionne­ment. Là encore, il s’agit de laisser le patient s’exprimer et décrire sa douleur. Sa voix, son débit, ses émotions, les mots qu’il emploie ont leur importance. On passe ensuite à la palpation : la peau est-elle sèche, humide, rugueuse ? On palpe surtout le ventre, on observe la langue et les yeux, et puis on prend le pouls du patient. Il faut bien sûr tenir compte de son âge, de son mode de vie. Toutes ces données conduisent à un bilan énergétiqu­e qui permet d’entrevoir le traitement efficace, c’est à dire celui qui, acupunctur­e stricto sensu ou moxibustio­n, massage, ventouses ou autres, permettra d’obtenir le résultat le plus satisfaisa­nt.

Si l’on a affaire à une maladie aiguë, il faut organiser plusieurs séances rapprochée­s. Si l’on parle d’une affection chronique, au contraire, il faudra espacer les rendez-vous et travailler dans la durée.

Une séance dure entre une demi-heure et une heure environ. Il faut désinfecte­r les points de piqûre, placer les aiguilles en expliquant bien au patient l’effet recherché. L’explicatio­n est importante pour aider le patient à se relaxer et à imaginer l’action de ses organes, ce qui favorise grandement le processus. Une fois les aiguilles en place, il faut laisser agir pendant un certain temps. Je place parfois une lampe chauffante au-dessus de tel ou tel point pour stimuler la circulatio­n sanguine et aider la relaxation des muscles.

Suite à la séance, le patient ressent souvent un grand calme mais aussi en général une grande fatigue qui lui tombe sur les épaules. C’est le signe que le processus de guérison est lancé.

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Pour apprendre l’acupunctur­e, il faut connaître tout d’abord les méridiens du corps humain.
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Le 26 avril 2017, Anne, une Française, pratique l’acupunctur­e sous la direction d’un professeur de l’Université de la médecine et de la pharmacolo­gie traditionn­elles chinoises du Heilongjia­ng.

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