China Today (French)

À la mode chinoise La Chine vide son assiette Une campagne contre le gaspillage de la nourriture change tranquille­ment mais sûrement les habitudes alimentair­es des Chinois.

- FRANÇOIS DUBÉ﹡

Une campagne contre le gaspillage de la nourriture change tranquille­ment mais sûrement les habitudes alimentair­es des Chinois.

Un cliché parmi les étrangers qui voyagent en Chine veut que si l’on se retrouve invité dans une famille chinoise, il faille à tout prix éviter de finir son assiette ou son bol. Sinon, l’hôte pensera que vous n’avez pas mangé à votre faim, et s’empressera aussitôt de vous resservir une portion encore plus impression­nante – s’assurant par le fait même que vous mangiez jusqu’à satiété et même au-delà.

Si cela était peut-être vrai à une époque, les mentalités et les habitudes alimentair­es évoluent au fil du développem­ent social. En plus des règles non écrites régissant les rapports entre hôtes et invités, les Chinois attachent de plus en plus d’attention aux principes d’économie et de lutte contre le gaspillage alimentair­e.

Dépendamme­nt du niveau de conscienti­sation de votre hôte, il est probable qu’il laissera votre assiette vide, vous félicitant en passant de participer à la campagne « Assiettes vides ».

Une campagne populaire

La campagne « Assiettes vides » fut lancée à l’origine par Xu Zhijun en 2013. Originaire d’un village de la province du Jiangsu, au sud-est de la Chine, Xu a grandi dans un milieu frugal, caractéris­é notamment par le grand respect que ses parents et grands-parents portaient à la nourriture. Se promenant dans les rizières et observant les paysans travailler la terre et récolter à la sueur de leur front, il était bien conscient que chaque grain de riz valait son pesant d’or. « Mes parents m’ont appris à chérir la nourriture », explique M. Xu.

Après avoir déménagé dans la capitale chinoise, il s’est vite rendu compte que le principe de la frugalité n’était pas une priorité pour tous. Pour plusieurs jeunes Chinois, particuliè­rement ceux vivant dans des milieux urbains plus riches comme Beijing ou Shanghai, l’abondance est un fait acquis. La connexion entre les travaux agricoles et le bol de riz plein n’existe plus, ce qui entraîne automatiqu­ement une dévalorisa­tion de la nourriture.

Et il avait vu juste. Une équipe de chercheurs de l’Académie des sciences de Chine, qui a enquêté dans près de 366 restaurant­s dans quatre villes, Beijing, Shanghai, Lhassa et Chengdu, a révélé que 17 à 18 millions de tonnes de nour- riture étaient gaspillées chaque année en Chine. Dans l’industrie de la restaurati­on, les aliments rejetés seraient suffisants pour nourrir entre 30 et 50 millions de personnes. La nourriture gaspillée chaque année par les seuls étudiants universita­ires de Chine suffirait à nourrir 10 millions de personnes.

Pour M. Xu, ce fut la goutte qui a fait déborder le vase. En avril 2012, il publia sur son compte de réseau social une photo montrant son assiette vide à la fin d’un repas, enjoignant ses compatriot­es à en faire de même.

Dans un premier temps, son appel semblait un peu vain. Mais quelques mois plus tard, son initiative reçut l’ultime sanction du président chinois Xi Jinping. Lors d’un repas dans une tournée de la province du Hebei, ce dernier se contenta d’un repas de seulement quatre plats et une soupe, une table « modeste » par rapport aux banquets auxquels certains officiels du gouverneme­nt aimaient se livrer. Dans un article publié quelques semaines plus tard, Xi Jinping alla jusqu’à citer la campagne « Assiettes vides » de Xu, donnant son plein appui à l’éliminatio­n de ces habitudes néfastes.

Ce soutien fut le signal d’envoi. Dès lors, la campagne gagna en visibilité. Dans les jours qui suivirent, tous les grands journaux et canaux télévisés de Chine jetèrent leur appui derrière la campagne « Assiettes vides ». L’appel de Xu fut relayé plus de 50 millions de fois sur les réseaux sociaux chinois.

Changement­s de mentalité

La tradition chinoise des banquets luxueux et excessifs prendrait son origine dans le concept de la « face ». Pour sauver la face, l’hôte doit s’assurer de montrer son abondance en commandant un nombre de plats bien supérieur à ce qui serait normalemen­t suffisant pour rassasier ses invités. Loin d’être le signe d’un mauvais calcul, les restes qui jonchent les grandes tables de banquet deviennent ainsi la preuve sinon de l’abondance et de la richesse de l’hôte, du moins de son orgueil.

Si cette croyance était répandue au niveau populaire, elle prenait une ampleur encore plus exagérée parmi les officiels gouverneme­ntaux. Certains fonctionna­ires étaient d’ailleurs connus pour se livrer

à des banquets particuliè­rement luxurieux, des tables remplies de plats exotiques et rares.

Cet excès devait mener tôt ou tard à un mouvement inverse du balancier. De nombreux intellectu­els et personnali­tés se sont d’ailleurs empressés de soutenir le mouvement lancé par Xu. Parmi ceux-ci se trouve le scientifiq­ue agricole Yuan Longping, connu en Chine comme le « père du riz hybride ». Déçu que l’augmentati­on de la production agricole n’ait mené, en fin de compte, qu’à davantage de gâchis, il proposa d’aller jusqu’à criminalis­er le gaspillage alimentair­e.

Ces appuis du gouverneme­nt et de la société produisire­nt rapidement des résultats. Selon le professeur Zhou Xiaozheng, directeur de l’Institut de droit et des sciences sociales de l’université Renmin de Chine, après le soutien de la campagne par les plus hautes autorités du pays en 2013, la quantité quotidienn­e de déchets alimentair­es à Beijing a été réduite de 3 000 tonnes, ce qui correspond­rait à 20-30 % du total des déchets alimentair­es.

Or, le volontaris­me à lui seul ne peut mener à des changement­s à long terme. Trois ans après le début de la campagne, certains signes d’essoufflem­ents sont dé- sormais visibles.

Dans la province du Yunnan, par exemple, les salles de banquet des hôtels luxueux avaient toutes été réservées par des compagnies d’État pour célébrer la fête du Printemps. Une autre façon de contourner les restrictio­ns est de tenir des banquets extravagan­ts dans les locaux de la compagnie plutôt que dans de grands hôtels. Loin de diminuer le gaspillage, cela ne fait que camoufler le problème.

Après une chute marquée lors de la première année, le nombre de déchets alimentair­es a également recommencé à croître. Selon l’agence de presse Xinhua, plusieurs restaurant­s qui avaient promis de réduire leur portion en 2013 n’ont pas tenu leurs promesses, et sont retombés dans leurs vieilles habitudes. Les « frais minimums » ont aussi fait un retour en force. L’Associatio­n des consommate­urs de Chine avait pourtant demandé l’abolition de cette pratique en 2013, qui consistait à obliger les clients à commander une quantité minimum de plats, autrement ceux-ci doivent s’acquitter d’une amende.

D’autres avenues

Dans de telles circonstan­ces, certains explorent de nouvelles façons de contrer le gaspillage à long terme en s’appuyant sur l’innovation. À Hong Kong, par exemple, des chercheurs ont trouvé comment transforme­r des restants de table en vêtements. Certains déchets alimentair­es riches en sucres – comme des pelures d’orange – peuvent être transformé­s en fibres à l’aide d’un processus de fermentati­on dans l’acide lactique. Bien que le produit final ne soit pas aussi résistant que le textile, il offre des perspectiv­es intéressan­tes pour transforme­r nos habitudes en solution à long terme.

Car éliminer le gaspillage alimentair­e n’est pas une simple question de revoir nos habitudes de table, mais doit aussi s’imposer comme un moyen incontourn­able pour combattre les changement­s climatique­s et alléger la pression sur la terre, l’eau, l’énergie et la biodiversi­té. Le problème, en effet, implique l’ensemble de la société industriel­le. Selon l’Organisati­on mondiale pour l’alimentati­on et l’agricultur­e, un tiers de tous les aliments produits n’est jamais consommé. Dans un pays comme la Chine, qui doit relever le défi de nourrir 21 % de la population mondiale avec seulement 6 % des réserves d’eau et 9 % des terres arables, cette tendance n’est pas durable.

Selon Liu Junguo, chercheur à l’Université forestière de Beijing, le taux de perte alimentair­e en Chine serait de 19 % pour l’ensemble de l’industrie de l’alimentati­on, et les déchets seraient composés en majorité de céréales. Bien que cela soit plus bas que le taux des pays développés, l’énorme taille de la population de la Chine signifie que ce gaspillage de céréales équivaut à 56 % de la production annuelle de l’Afrique.

Pourtant, tout n’est pas perdu, car l’étude indique aussi que le taux de gaspillage alimentair­e dans les maisons n’est que de 5 à 7 %, alors qu’il monte à 19 % dans les restaurant­s. Cela reflète que les Chinois, dans leur vie de tous les jours, sont extrêmemen­t économes. Il suffit maintenant de trouver un moyen innovant et durable de transposer cette mentalité économe à l’ensemble de l’industrie alimentair­e, et ainsi créer un avenir alimentair­e sécuritair­e. *FRANÇOIS DUBÉ est un journalist­e canadien basé à Beijing.

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L’affiche de la campagne « Assiettes vides »
 ??  ?? Le 13 octobre 2016, les enfants d’une crèche de la province du Shandong montrent leur bol vide.
Le 13 octobre 2016, les enfants d’une crèche de la province du Shandong montrent leur bol vide.

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