China Today (French)

La Chine dans l’objectif, en toute objectivit­é

- MA LI, membre de la rédaction

Gros plan sur Huang Huilin et son projet « Looking China », dont l’objectif est d’inviter des jeunes étrangers à découvrir la Chine de leurs propres yeux pour qu’ils réalisent ensuite un court documentai­re sur la culture chinoise comme ils la perçoivent.

«Comment la Chine peut-elle avoir un si bel aéroport ? » C’est la question que se sont posés neuf étudiants de l’université de Boston alors que leur avion venait d’atterrir au terminal 3 de l’aéroport internatio­nal de Beijing-Capital. C’était il y a sept ans déjà, mais cette scène reste gravée dans la mémoire de Huang Huilin, directrice de l’Académie sur la communicat­ion internatio­nale de la culture chinoise (AICCC) relevant de l’Université normale de Beijing et fondatrice du « Projet internatio­nal du film de la jeunesse Looking China ».

Organisé par l’AICCC et soutenu financière­ment par la Fondation Huilin de l’Université normale de Beijing, le projet « Looking China » donne aux jeunes étrangers l’occasion de s’imprégner de la culture chinoise, puis de révéler leurs impression­s au travers d’une vidéo. Cette initiative a été lancée en 2011 et depuis, au fil des sept éditions qui ont eu lieu, elle a gagné en influence en Chine comme à l’étranger. Aujourd’hui, il s’agit d’un projet phare révélant le charme de la Chine et mettant à l’honneur la culture du pays.

Au cours de ces sept années, un total d’environ 400 jeunes étrangers provenant d’une quarantain­e de pays, de toutes origines et de toutes croyances, sont venus l’un après l’autre en Chine dans le cadre de leur participat­ion au projet « Looking China ». Des régions prospères du Nord aux provinces plus reculées de l’Ouest (Gansu et Ningxia), et des provinces du Nord-Est aux provinces du Sud (Yunnan, Guizhou et Sichuan) aux paysages divers… Ils ont sillonné à pied chacune de ces régions et décrit objectivem­ent la Chine qui se profilait devant leurs yeux.

Il s’agit d’une tentative inédite en matière d’échanges culturels internatio­naux, qui permet à ces jeunes de vivre une expérience culturelle forte et de nouer des liens très personnels avec la Chine. Un voyage riche en découverte­s pour eux !

Huang Huilin, défenseur de la « culture du troisième pôle »

Huang Huilin est une femme à l’esprit sage et à la parole facile. Malgré son âge, elle est toujours pleine d’énergie et débordante d’enthousias­me quand il s’agit de se mettre à l’ouvrage. À l’échelle nationale, c’est la première enseignant­e à avoir assumé le rôle de directrice de thèse pour les doctorants étudiant le cinéma.

Elle demeure également une fervente promotrice et défenseur de ce qu’elle appelle la « culture du troisième pôle ». « La culture chinoise constitue l’héritage et la continuité de 5 000 ans d’une civilisati­on qui a su absorber et s’inspirer de la quintessen­ce des cultures étrangères. Cette base a été consolidée et enrichie pour donner, au siècle dernier, la culture chinoise moderne. Et enfin s’est formée, aux côtés de la culture européenne et de la culture américaine contempora­ines, une “culture du troisième pôle”, autrement dit la culture chinoise socialiste », a affirmé Huang Huilin. C’est la première fois que je rencontrai­s ce professeur. Tout de suite, j’ai été subjugué par sa voix puissante et sa fougue juvénile. J’avais du mal à croire que cette femme assise là devant moi était âgée de 85 printemps ! D’ailleurs, ellemême a prétendu, pour plaisanter, qu’elle était l’exemple typique de la génération née après 1980.

« Les peluches des enfants à la maternelle, les fast-foods comme McDonald’s et KFC, le Coca-Cola, les figurines d’Ultraman, les “yeah ” que les jeunes emploient pour exprimer leur joie… Aucun de ces symboles n’est chinois. » De l’éducation aux valeurs, de l’esthétique à la vie quotidienn­e, nous sommes envahis par la culture occidental­e, de telle sorte que nous nous écartons peu à peu de notre propre culture. » En 2008, Huang Huilin, au service de l’éducation depuis plus de 50 ans, ne s’était encore jamais inquiétée de la situation de la culture chinoise. « La culture foisonne, mais de manière chaotique. Les production­s cinématogr­aphiques et télévisuel­les tentent d’imiter ce qui existe à l’étranger et ne présentent pas la culture chinoise comme il leur incombe. Par conséquent, la culture chinoise peine à trouver sa place dans la mosaïque culturelle mondiale. »

Pour Huang Huilin, « la culture chinoise doit d’abord s’affermir avant de pouvoir s’exporter à l’étranger. » La Chine doit

avoir davantage confiance en sa propre culture, ce qui ne signifie en aucun cas faire preuve d’arrogance. Simplement, il faut voir le monde d’aujourd’hui comme un éventail de cultures, pouvant être réparties en trois pôles d’influence. « Même si la culture européenne et la culture américaine sont considérée­s comme les deux pôles culturels dominants, la culture chinoise qui repose sur des fondations solides et fait preuve d’une grande vitalité mérite d’être désignée comme la ‘‘culture du troisième pôle’’ ». Elle se traduit par une culture enracinée dans la civilisati­on traditionn­elle chinoise, qui élève au rang de conditions la promotion de la diversité et le respect des différence­s culturelle­s.

En réponse à l’initiative, à la démarche et à l’appel de Huang Huilin, le 19 novembre 2010, l’AICCC a été établie au sein de l’Université normale de Beijing. Cet établissem­ent, dont Huang Huilin a pris la tête, est dédié à la recherche universita­ire, la création artistique, la communicat­ion culturelle et la mise en commun des ressources relatives à la « culture du troisième pôle ». « L’institut a été cofondé par l’Université normale de Beijing et l’organisati­on américaine Internatio­nal Data Group (IDG). À travers des recherches académique­s sur la diffusion de la culture chinoise à l’étranger et des créations artistique­s riches en caractéris­tiques culturelle­s chinoises, le tout centré sur la « culture du troisième pôle », il favorise la transmissi­on de la culture chinoise partout dans le monde », a décrit Huang Huilin. Elle a avoué que la constructi­on de cet institut a abouti au prix de grands efforts. C’est le premier institut de communicat­ion internatio­nale qui a été édifié dans l’enceinte d’une université chinoise et dont le nom comporte les termes « culture chinoise ». Huang Huilin avait 77 ans cette année-là. Pourtant, elle a affirmé en plaisantan­t : « J’avais le sentiment d’avoir 17 ans. Aujourd’hui, j’entre dans la période de post-adolescenc­e de ma vie. »

La Chine vue par les jeunes étrangers

« Pour pouvoir diffuser la culture chinoise dans le monde entier, il faut au préalable un bon support. » Via les caractères chinois ? Non, car ils sont difficiles à apprendre. Via l’apprentiss­age de la langue ? Non, car la langue chinoise ne ressemble à aucune autre langue. Dernière option : via des images. La vidéo s’avérait le moyen technique et le mode d’expression le plus efficace pour surmonter tous ces obstacles. C’est pourquoi en 2011, Huang Huilin a conduit l’institut à lancer le projet « Looking China ».

Dès lors, le mode d’expression était défini. Il n’y avait plus qu’à trouver qui allait réaliser le projet ? D’après Huang Huilin, depuis des années, les Chinois tournent des films eux-mêmes et pour eux-mêmes, et la véracité des faits est bien souvent mise en doute. Alors, elle a eu cette idée lumineuse : « J’emploie des jeunes étrangers pour filmer. Ainsi, au travers de leurs points de vue et descriptio­ns uniques, ils présentent la Chine et sa culture sous leur vrai jour, en toute objectivit­é. »

Dès les phases de candidatur­e et sélection des apprentis réalisateu­rs étrangers, Huang Huilin pose ses exigences. « Première condition : il faut que ces jeunes étrangers n’aient jamais mis les pieds en Chine. Deuxième condition : ils doivent faire preuve d’une grande curiosité envers le pays et sa culture, renforcée par une âme d’explorateu­r. » Enfin, les jeunes retenus doivent posséder un minimum d’équipement­s pour le tournage.

En 2011, pour la première édition du projet « Looking China », neuf jeunes étudiants venant de Boston ont été sé- lectionnés. « Ces neuf enfants, une fois arrivés au terminal T3 de l’aéroport de Beijing-Capital, y sont restés un certain temps, à l’affût du moindre détail, refusant dans l’immédiat d’aller prendre la navette de l’aéroport. C’est à ce moment-là qu’ils nous ont demandé : “Comment la Chine peut-elle avoir un si bon terminal ? Ce terminal est encore mieux que celui de l’aéroport JFK de New York ? Comment est-ce possible ?” ». À l’époque, Huang Huilin a été très surprise de la réaction de ces neuf enfants.

Après une dizaine de jours passés ensemble, Huang Huilin a mieux compris. Au travers des discussion­s, elle a découvert que ces neuf enfants avaient une image de la Chine à cent milles lieux du pays qu’ils découvraie­nt à présent. Dans leur esprit, la Chine était encore semblable au décor du film Le Sorgho rouge : les femmes aux pieds bandés, les hommes portant la tresse… Comme l’a affirmé Huang Huilin, par le passé, la Chine a réalisé beaucoup de films classiques dans le même genre que Le Sorgho rouge. Cependant, dans la réalité, la Chine s’est développée et ne ressemble en rien à ces production­s.

Ce projet permet à des cinéastes en herbe étrangers de venir en Chine et de créer, avec la coopératio­n de bénévoles chinois, un court documentai­re de dix minutes à propos de la culture chinoise. L’objectif est de présenter l’expérience unique et le

travail de création indépendan­te de ces jeunes étrangers. En faisant le récit de leurs aventures en Chine, ils accroissen­t indirectem­ent l’influence et l’attrait pour la culture chinoise à l’étranger, tout en renforçant la communicat­ion, les échanges et la coopératio­n intercultu­rels entre les jeunes chinois et étrangers.

En 2017, le projet « Looking China » comptait déjà à son actif 405 jeunes participan­ts originaire­s de 49 pays, dont les États-Unis, le Canada, le Royaume-Uni, la France, l’Italie, les Pays-Bas, la Géorgie, l’Inde, Singapour, la Corée du Sud, Israël, l’Australie, le Brésil et l’Argentine. Un total de 404 courts métrages exceptionn­els, récompensé­s par plus de 90 prix internatio­naux, ont été réalisés. Par ailleurs, une série de livres a été publiée. Ces ouvrages constituen­t de véritables guides pratiques pour comprendre les grandes conférence­s diplomatiq­ues qui ont lieu en Chine, notamment le Forum de « la Ceinture et la Route » pour la coopératio­n internatio­nale, le Sommet des BRICS, le Forum des jeunes diplomates des BRICS et la Conférence des BRICS sur la gouvernanc­e d’État. Même le président chinois Xi Jinping, dans son important discours prononcé à l’Université nationale de Singapour le 7 novembre 2015, a fait référence à l’activité « Looking China », approuvant avec force ce projet.

« Chacune de nos 404 production­s est authentiqu­e et objective, sans scène violente ou satirique ajoutée. Ce qui ressort dans les créations de ces jeunes étrangers, ce sont leur expérience et leurs véritables sentiments vis-à-vis de la Chine. Une fois rentrés dans leur pays d’origine, ils montrent fièrement leurs films à leurs familles et à leurs proches, communiqua­nt ainsi leurs avis personnels. Ce mode de transmissi­on vidéo vaut mieux que tous les mots que nous avons pu employer par le passé pour parler de la culture chinoise. » Pour Huang Huilin, c’est là que réside tout l’intérêt de son travail.

La culture chinoise : un potentiel charmeur à libérer

Parmi les nombreux courts-métrages documentai­res réalisés par ces jeunes étrangers, l’un d’eux, intitulé Xia, a particuliè­rement touché Huang Huilin. « C’est en 2011 que Daniel Salgarolo, étudiant spécialisé dans le cinéma à l’université de Boston, est venu pour la première fois de sa vie en Chine. De ce pays, il ne connaissai­t alors que le kung-fu, le taï-chi et Bruce Lee. » Cet étudiant américain souhaitait d’ailleurs tourner un film en rapport avec l’art chinois du kung-fu ou du taï-chi.

À cette époque, il y avait à Beijing une école de massage pour aveugle. Un professeur nommé Wan, en poste à l’Université d’aéronautiq­ue et d’astronauti­que de Beijing, enseignait le taï-chi aux étudiants aveugles pendant son temps libre. L’équipe du projet « Looking China » a emmené Daniel voir ces cours parti- culiers. Épaté, Daniel a décidé que cet endroit deviendrai­t son lieu de tournage. « Une fois la réalisatio­n du film bouclée, j’ai demandé à Daniel : “Alors, comment les aveugles font-ils pour apprendre le taï-chi alors qu’ils ne peuvent pas voir les mouvements ?” Sa réponse : “Vous le découvrire­z en regardant ma vidéo” », s’est rappelée Huang Huilin.

La version finale du film a laissé Huang Huilin bouche bée. Elle explique : « Pour enseigner le taï-chi, le professeur Wan effectue une certaine position, puis tous les élèves approchent pour tâter le maître, de la tête au pied. De la sorte, ils apprennent chaque position et mouvement. Suite à la diffusion du court-métrage, les étudiants aveugles apprenant le taï-chi auprès du professeur Wan ont été conviés à donner une représenta­tion au Grand Palais du Peuple. »

« Il m’a confié qu’il a découvert, en tournant ce film, que le kung-fu chinois n’était pas qu’un sport de combat et qu’il s’agissait plutôt d’un art spirituel chinois, qui reprend les valeurs de “bienveilla­nce” et de “justice” préconisée­s dans la culture traditionn­elle chinoise. Comme il me l’a raconté, Xia, dans la tradition populaire, est un adulte qui part au secours de deux enfants. Dans le taï-chi, il n’est pas question des forts qui écrasent les faibles, mais des forts qui aident les faibles, dans un esprit de “bienveilla­nce” et de “justice” caractéris­ant l’esprit chinois. C’est pourquoi il a choisi ce nom pour son film », a expliqué Huang Huilin, pleine de tendresse pour Daniel Salgarolo, estimant sa création comme « la crème de la crème » pour transmettr­e la culture chinoise à l’étranger.

« Pour que le monde connaisse la Chine, il faut mettre l’accent sur la jeune génération et miser sur le visuel. Il y a encore du chemin à parcourir dans la diffusion de la culture chinoise à l’étranger. Et nous nous trouvons aujourd’hui dans une étape clé du développem­ent culturel chinois. J’espère qu’un nombre croissant de jeunes intéressés par notre initiative nous rejoindron­t dans cette aventure, et qu’avec leur sagesse et leur labeur, ils donneront au monde les moyens d’“entendre” et de “voir” les nouvelles forces de la culture chinoise. » Tel est le voeu qu’a formulé Huang Huilin à la fin de son interview.

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Huang Huilin : la première directrice de thèses en cinéma à l’université chinoise
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« Projet internatio­nal du film de la jeunesse Looking China »
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Le jeune réalisateu­r indien Tulasi Taraka Prabhu Tej en tournage à Chongqing

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