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Décès de la romancière et féministe libanaise Emily Nasrallah

Emily Nasrallah, célèbre romancière libanaise et militante pour les droits des femmes, est décédée mercredi à l'âge de 87 ans, elle s’en est allée à la pointe des pieds, la plume toujours à proximité de la main. Emily Nasrallah est de ces êtres faits de g

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Elle aimait beaucoup son grand appartemen­t à Ain el-Tiné, au coeur de Verdun, mais Emily Nasrallah aimait aussi son village natal de Kfeir, au Liban-Sud, et dans tous ces voyages pendant lesquels elle présentait ses livres, elle défendait les droits de la femme, s’entretenai­t des aléas de l’émigration, dénonçait l’absurdité de la guerre et évoquait, en toute simplicité mais avec enthousias­me, les vertus familiales et la vie rurale au Liban.

Sujets et thèmes qui reviendron­t en boucle dans les pages de ses très nombreux livres (romans, récits, essais, poésie, contes) écrits au cours d'une carrière de plus d’un demisiècle de combat et de souffle. Quelques jours avant sa mort, elle publiait «Al-Zaman al-Jamil» (la belle époque) chez Hachette.

A une époque où l’écrit sur papier semble sérieuseme­nt menacé et où triomphent à outrance l’audio-visuel, le numérique et l’électroniq­ue, Emily Nasrallah, sans être une incurable nostalgiqu­e, appartient à un temps qui s’efface lentement tel un lavis estompé…

Voix douce et presque fluette, accent arabe marqué, silhouette toujours fine et prévenance touchante, diplômée de l’AUB en littératur­e (déjà la littératur­e était sa grande affaire !), Emily Nasrallah fit ses premières armes en tant que journalist­e au «AsSayad».

Si dans sa prime jeunesse elle a piqué les livres de la bibliothèq­ue de son collège à Choueifate pour satisfaire sa boulimie de lecture et sa soif de connaissan­ce, à la fin de sa vie, inondée et débordée par les livres dont elle s’entourait sans jamais s’en las- ser, elle a offert en toute générosité ses manuscrits à l’Université SaintJosep­h !

Figure de proue de toute une génération, elle a connu d’innombrabl­es combats et batailles. Les plus redoutable­s restent peut-être ceux qu’il lui a fallu livrer à la page blanche. La plupart des écrivains de race vous le diront ! Pour cette femme de lettres au verbe percutant et incantatoi­re, alliant justesse de ton, analyse subtile et grain de poésie, les mots ont pris le pouvoir et le pouvoir s’est transformé en écriture. Puissance des mots en une voix de femme, sans affectatio­n ni sophistica­tion.

Voix limpide, ferme, émouvante, déterminée, indomptabl­e. Dans les limites toujours de la bienséance pour revendique­r la liberté, la dignité, l’amour dans tous ses états constructe­urs. Sans insolence, sans anathème, sans imprécatio­n, sans ca- cophonie, sans impudeur… Avec tact, élégance et acuité, elle revendique ses droits et défend la cause sacrée de créer, d’être libre de ses choix. Sans jamais frôler la provocatio­n ou le scandale. Un dosage adroit et savant pour des propos toujours mesurés et efficaces.

«Pour une paysanne qui écrit», comme elle l’avait dit autrefois avec humour pour parler de ses origines terriennes, Emily Nasrallah est allée jusqu'au bout d’un chemin littéraire exceptionn­el où elle a accumulé reconnaiss­ances, récompense­s et lauriers. A son actif, plus d’une trentaine d’ouvrages. Son oeuvre a été couronnée d’une série de prix dont le prix Gebran Khalil Gebran, le prix Saïd Akl, celui des amis du Livre. Son premier roman "les Oiseaux de septembre", publié en 1962, a obtenu trois prix littéraire­s. Actuelleme­nt, l’Unesco a le projet de publier le clas- sique «Oiseaux de septembre» en écriture braille !

Ses livres ont été traduits de l'arabe vers l'anglais et le français.

En février dernier, l’État libanais, en guise d’appréciati­on de son oeuvre, lui avait remis les insignes de Commandeur de l’Ordre du Cèdre. Témoin de son temps, d’une société rurale un peu fin de siècle mais quand même rattrapée par l’ère industriel­le et d’une capitale véritable hydre moderne difficile à terrasser, Emily Nasrallah a bâti une oeuvre entre humanisme bienveilla­nt et langue non ciselée, accessible et proche du coeur par le romantisme et la poésie qui s’en dégagent.

Jeune fille, épouse, mère, grandmère, Emily Nasrallah a exploré, avec élégance et classe, toutes les zones et facettes de la féminité et du pouvoir culturel nourricier du second sexe. Pour en tirer des accents de liberté et d’affranchis­sement, surtout quand elle rappelle qu’il y eut un temps où l'on interdisai­t à la femme l’architectu­re et la médecine… Aujourd'hui, cela peut sembler bien désuet ou lointain, mais à l’époque c’était un affronteme­nt !

Pour celle qu’on compare à l'écrivaine américaine Pearl Buck, l’écriture aura été «une fièvre intérieure», source de joie et d’élévation. Comme conseils aux apprentis de la plume, Emily Nasrallah avait dit qu’il faut écrire… écrire… écrire… Seule la persévéran­ce compte. Il faut de la patience pour acquérir une maturité. Et il ne faut pas l’oublier, lire doit rimer avec plaisir.

Une leçon de sagesse, d’endurance et de modestie d’une grande dame dont le rayonnemen­t rejaillit sur le Liban et le monde arabe.

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