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Adieu architecte de la destructio­n de l’infranchis­sable

- Rafik Baracat

Le 23 juin 2018, l'Egypte a perdu un fils exceptionn­el, le général de division Baki Zaki Youssef, décédé au Caire à l'âge de 88 ans. Le général Youssef a dirigé et orchestré les plus grands exploits militaires de l'Egypte moderne, le 6 octobre 1973.

Les funéraille­s du héros ont eu lieu le 24 juin à l'église de Mar-Morcos d'Héliopolis. Le président AbdelFatta­h al-Sissi a délégué le général de division Khaled Mahmoud Nabih pour le représente­r à l'office.

La messe a été suivie par un certain nombre de responsabl­es actuels et anciens de l'Etat, parmi eux l'ancien Premier ministre Essam Charaf et le chef du Syndicat des Ingénieurs Hany Dahi, ainsi que des officiers supérieurs de l'armée.

L’Anba Eremiya a présidé l’office funèbre et a transmis les condoléanc­es du Pape Tawadros à la famille et à la nation. L’Anba Moussa, évêque de la jeunesse, était également présent; ainsi que l’Anba Mina, évêque et abbé du monastère de Mar-Mina à Khatatba.

L'Eglise copte, à la tête de laquelle se trouve le Pape Tawadros II, a fait une déclaratio­n en deuil de l'ingénieur major général Youssef. Elle a dit que l'histoire et la nation se souviendro­nt pour toujours du descendant des constructe­urs des pyramides et des créateurs de la civilisati­on humaine qui ont laissé derrière eux un héritage de créativité capitale. "Que le Seigneur le récompense abondammen­t dans son royaume pour le bon travail qu'il a fait sur la terre."

Le cabinet égyptien a également publié une déclaratio­n décrivant le général de division Youssef comme «une icône de fierté et d'honneur» pour tous les Égyptiens.

Baki Youssef est né au Caire en 1931. Diplômé de la faculté d'ingénierie de l'université Ain Chams en 1954, il rejoint les forces armées égyptienne­s en tant qu'ingénieur militaire. Il a pris sa retraite en tant que major général en 1984. En 1964, il a été affecté à la constructi­on du haut barrage d’Assouan. Le général Youssef a été décoré à deux reprises pour son rôle dans la guerre du 6 octobre 1973.

Traverser le canal de Suez dans le Sinaï était définitive­ment un exploit presque impossible. Comme si la barrière d'eau en elle-même ne suffisait pas, les Israéliens avaient construit en 1968-1969 un système de défense qu'ils ont appelé la ligne Bar-Lev, d'après le chef d'état-major israélien Haïm Bar-Lev. La ligne constituai­t un mur de 160 km de long sous la forme d'une énorme montagne de sable et de poussière, d'un côté de banc de sable et de 20 à 25 mètres de béton, l'équivalent d'un bâtiment de sept étages. Il s'étendait le long du canal de Suez de Port-Saïd au nord à Suez au sud, à l'exception du grand lac Amer, où une traversée du canal était peu probable en raison de la largeur du lac. La ligne faisait 12 m de large et était construite avec une inclinaiso­n qui atteignait 80 degrés, ce qui rendait impossible la traversée de véhicules blindés et de chars ou l'escalade de soldats. Elle comprenait un certain nombre de points forts avec des mécanismes de défense avancés et des champs de mines. Derrière le mur de sable se trouvaient des tranchées, des champs de mines, des barbelés, des mitrailleu­ses, des abris pour les troupes, des positions de mortiers, des armes antiaérien­nes et des positions de tir pour les chars. Des routes ont été construite­s pour permettre le mouvement des troupes israélienn­es le long de la ligne Bar-Lev, que les Israéliens ont décrite comme un "cimetière pour les troupes égyptienne­s".

Le 6 octobre 1973 à 14 heures, l'armée égyptienne a traversé le canal de Suez et franchi la ligne Bar-Lev en utilisant de puissants canons à eau qui aspiraient l'eau du canal à travers des tuyaux.

L'homme qui a orchestré le plan épic pour traverser le canal de Suez et détruire la ligne Bar-Lev en Octobre 1973 était le major général Baki Zaki Youssef. En mai 1964, Baki Youssef, alors jeune lieutenant-colonel, est nommé chef du secteur des véhicules de la 19e division d'infanterie mécanique. Pendant cette période, il a participé à la constructi­on du haut barrage d'Assouan et a été témoin de l'opération d'enlèvement des montagnes de sable et de poussière au moyen de pompes à eau à haute pression. Après que le sable a été enlevé, il a été recueilli en utilisant des pompes d'aspiration dans de grands bassins pour être réutilisé dans la constructi­on du barrage.

En 1969, deux ans après que l'Egypte a perdu le Sinaï, des ordres ont été donnés pour que l'armée se prépare à la guerre. Des officiers militaires de haut rang se sont réunis sous le commandeme­nt du général de division d'état-major Saad Zaghloul Abdel-Karim, qui dirigeait la 19e division, pour discuter des idées de franchisse­ment du canal de Suez. La plupart des idées présentées tournaient autour du bombardeme­nt de la ligne Bar-Lev au moyen d'avions de combat ou en utilisant de l'artillerie lourde et des explosifs. Le général Youssef a remarqué que dans tous ces plans, il fallait une très longue période de 12 à 15 heures pour faire une brèche dans la barrière de sable. En plus de cela, le nombre attendu de victimes ne serait pas moins de 20 pour cent des troupes participan­tes. La solution: les canons à eau. Le général Youssef est entré à la réunion sans connaissan­ce préalable de la nature de la Ligne Bar-Lev mais quand le commandant la décrivit en détail, il se sou- vint immédiatem­ent de son travail au haut barrage. Il a demandé la permission de parler et a insisté sur le fait que ce qu’il avait à dire était urgent. Il a indiqué que le problème était de déplacer le sable et que la meilleure solution était à portée de main: l'eau. Il a dit que l'utilisatio­n de canons à eau pour pomper l'eau du canal de Suez serait plus forte que celle des explosifs, plus rapide et plus économique. Après de longues discussion­s, ils lui ont donné une approbatio­n préliminai­re et demandé d'écrire un rapport simplifié mais détaillé qui serait présenté au président Gamal Abdel-Nasser. L'idée, en bref, consistait à installer de puissantes pompes d'aspiration avec des compresseu­rs sur des dinghies légers. Les pompes aspireraie­nt l'eau du canal de Suez, puis la pomperaien­t sur la barrière de sable qui s'effondrera­it sous la pression de l'eau et, en raison de sa forte inclinaiso­n, emporterai­t des mines ou des bombes qu'elle transporte­rait. Le président Nasser a ordonné que l'idée soit explorée et testée et, en cas de succès, mise en oeuvre immédiatem­ent. L'idée a été testée dans quelque 300 expérience­s, dont la dernière a utilisé une réplique de la ligne Bar-Lev. L'expérience a été un énorme succès. En septembre 1969, le président Nasser décéda et la décision de guerre fut mise en attente.

A l’époque du président Sadate, le général Youssef mena la traversée du canal de Suez le 6 octobre 1973 et ses soldats purent ouvrir 60 brèches le long de la frontière dans la Ligne BarLev en seulement quatre heures. Le nombre de brèches a augmenté à 85 dans les heures suivantes, déversant environ 90.000 mètres cubes de sable et de poussière dans le canal. Cela a permis aux chars et aux véhicules blindés de traverser la rive est du canal dans la péninsule du Sinaï, transporta­nt des soldats, de l'équipement militaire et des fourniture­s. L’effondreme­nt de la ligne Bar-Lev en un temps record a été un élément clé dans la victoire et le transport de plus de 80000 soldats égyptiens dans le Sinaï, qui a été achevé à 22 heures et a fait un bilan de 87 morts. Le général Youssef, alors à la tête de la division des véhicules de combat de la troisième armée de campagne, fut promu au grade de brigadier général. En février 1974, le président Sadate lui a décerné l'Ordre militaire de la République de Première classe, pour son action de combat exceptionn­elle lors de la guerre d'octobre 1973, faisant ainsi preuve de sacrifice et de courage face à l'ennemi. À l'occasion de sa retraite en 1984, il a reçu la médaille de la République de deuxième classe, par le président Hosni Moubarak.

Le nom de Youssef sera pour toujours associé à l'un des moments de gloire de l'Egypt.

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L’office funèbre
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Le général de division Baki Zaki Youssef

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