Écran de fumée
Par corporatisme, on aurait pu passer cela sous silence. Mais rien à faire, on ne le digère pas. Figurez-vous que certains veulent filtrer Internet. À deux mois des élections présidentielles, pour éviter la propagation d’informations erronées et (ou) orientées (lire p. 8), Facebook comme Google se sont adjoint les services de “grands médias”. À charge pour eux d’évaluer la véracité de faits énoncés dans des articles qui circulent sur le Web. On relèvera d’emblée le caractère irréaliste de l’initiative. Prenons un scoop de journaliste. Comment un confrère peut-il en vérifier la justesse ? Au moment de sa publication, une révélation n’est, par nature, pas instantanément vérifiable. Surtout quand les protagonistes incriminés en nient la véridicité. Un exemple récent ? Le Penelopegate. Dès lors, l’initiative des géants du Net relève-t-elle de la traque aux mensonges ou de la chasse aux sorcières ? Goliath (les grands médias) contre David (blogs et sites alternatifs). Au nom de quoi les premiers pourraient s’ériger en contrôleurs qualité, maître ès censure ? En fonction de leur verdict, l’info jugée douteuse sera bâillonnée sur les plus grands réseaux du monde. Les complotistes vont s’en donner à coeur joie. “Voyez comment les médias dominants à la solde du grand capital traitent l’info qui les dérange”… Effet Streisand(1) garanti ! Facebook, qui n’est rien d’autre qu’un distributeur de nouvelles, va donc réserver à ses fournisseurs un traitement à sa discrétion. Imaginez qu’après-guerre, on ait laissé aux Nouvelles Messageries de la presse parisienne (NMPP) le soin de choisir quelles revues pouvaient s’afficher en kiosque ! La loi Bichet de 1947 était là pour (en) cadrer sa mission : garantir à tous une diffusion nationale et équitable. Au lecteur de se faire un avis, et d’exercer son libre arbitre à la lecture d’une presse variée et d’opinions contradictoires. Que s’estil passé, en soixante-dix ans, pour que l’on remette en cause ce principe ? Comme la classe politique, les médias ont vu leur cote de popularité dégringoler. En 2017, plus de la moitié des Français(2) ne jugent pas crédibles les infos relayées par la presse écrite et la télé. On comprend mieux la tentation de ces dernières de procéder à un nettoyage éthique des réseaux sociaux, histoire de redorer leur blason et d’enrayer ce désamour historique avec le public. Seulement, on apprend aussi par ce sondage que 75 % des personnes interrogées ne font pas non plus confiance à ce qu’ils lisent sur les réseaux sociaux. En arithmétique comme en sciences médiatiques, en additionnant des valeurs négatives, on n’obtient jamais de valeurs positives. Et si on balayait déjà devant nos portes en se remettant au travail pour conserver, ou regagner, la confiance de nos lecteurs ?
(1) Phénomène par lequel, en empêchant la divulgation d’informations, on obtient un résultat exactement inverse à celui voulu ( bit.do/dbpUL). (2) Selon le baromètre annuel Kantar Sofres/Kantar Média pour le journal La Croix ( bit.do/dbrvi).