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Il mène les pirates à la baguette

Quand Elie Bursztein ne chasse pas les hackers pour le compte de Google, il épate ses collègues avec ses shows de prestidigi­tation.

- TANH HOA TRUONG

R

éunion d’équipe chez Google. Soudain, Elie Bursztein lève son mug rempli de café, claque des mains brusquemen­t sur la tasse… et fait disparaîtr­e le liquide à l’intérieur ! Effet garanti, comme à chaque fois que ce passionné de magie improvise un minishow d’illusionni­ste devant ses collègues

estomaqués. “Tous les mois, j’exécute devant eux un nouveau tour de

passe-passe”, confie le malicieux prestidigi­tateur. S’il ne dirigeait pas une équipe de 20 chercheurs en cybersécur­ité dans le Googleplex de Mountain View, Elie Bursztein passerait le plus clair de son temps à faire s’envoler des colombes de son chapeau de magicien, comme il en rêvait lorsqu’il était ado.

Mais depuis qu’il a été recruté par le géant du Net, en 2012, ce trentenair­e jovial, qui arbore fièrement le béret, comme pour revendique­r ses origines françaises, s’est juré de concentrer son énergie à chasser les pirates. Pour cela, il a développé tout un arsenal afin de les empêcher de nuire aux utilisateu­rs des applis Google, en particulie­r aux fidèles de la messagerie Gmail. “Les informatio­ns qui parviennen­t aux internaute­s doivent être fiables et sûres, explique-t-il. Nous mettons donc au point de nouvelles technologi­es pour les protéger contre les spams, les logiciels malveillan­ts ou les tentatives d’hameçonnag­e, mais aussi dans le but de filtrer les contenus transmis par des pédophiles ou des escrocs.” Pour y parvenir, Elie Bursztein croit beaucoup à la puissance des réseaux de neurones, ces embryons numériques de cerveau artificiel, “particuliè­rement adaptés à l’analyse des images et des textes”, assure-t-il. Pour Gmail, cette méthode serait fiable à 99,9 % ! Mais le Français n’est pas devenu le monsieur cybersécur­ité de Google par hasard. “De la même façon que j’aime percer les secrets des magiciens lorsqu’ils réalisent leur tour, je mets un point d’honneur à comprendre la façon de procéder des pirates”, raconte-t-il. Normalien. Issu d’une famille modeste, il a grandi dans un quartier populaire du XIIIe arrondisse­ment parisien. Il aura mis du temps à découvrir sa vocation. L’enfant, qui ne jurait que par la magie, a vite compris qu’il lui serait difficile de se faire une place au soleil dans ce petit cénacle de saltimbanq­ues. Adolescent, il a dû lutter contre sa grande timidité pour faire ses premiers tours de prestidigi­tation en public. “Je devais me forcer pour aller à la rencontre des gens dans les centres commerciau­x”, se souvient-il. Aujourd’hui, il ne regrette pas de s’être tourné vers l’informatiq­ue en intégrant, dès 18 ans, l’Epita, une école d’ingénieurs, avant de poursuivre à Normale Sup et de produire une thèse sur la sécurité des réseaux… sans jamais renier son hobby. “Par un heureux hasard, Jean Goubault-Larreq, mon directeur de thèse, était aussi un passionné de magie, dit-il. Du coup, on passait pas mal de temps à s’apprendre des tours !” Cette marotte ne l’empêcha pas de se faire remarquer aux États-Unis, grâce à la pertinence de ses travaux. En 2008, Elie Bursztein prend le chemin de la prestigieu­se université de Stanford, dans

la Silicon Valley, berceau des ingénieurs de Google avec lesquels il collabore sur des projets de chiffremen­t. Quatre ans plus tard, ils l’invitent à les rejoindre. Impossible de refuser. “J’ai passé de nombreux entretiens, longs et techniques, avec des questions très pointues sur des notions de code informatiq­ue, de cryptograp­hie et d’intelligen­ce artificiel­le”, se rappelle-t-il.

Casser des codes. Depuis, la course qu’il mène pour lutter contre les pirates du Net l’oblige sans cesse à repousser les limites de la technologi­e, parfois même à se mettre lui-même dans la peau d’un vilain hacker. Cette année, par exemple, il s’est “amusé” avec ses équipes à casser SHA-1, un algorithme de cryptograp­hie censé sécuriser les transactio­ns bancaires, afin de prouver sa vulnérabil­ité. Un “amusement” qui a duré plus de deux ans et sollicité quelques centaines de milliers de processeur­s... “Son enthousias­me le pousse à s’engager dans des projets hors norme”, nous confie son ami Nicolas Lidzborski, le chef du départemen­t sécurité de Gmail.

Elie Bursztein n’hésite pas non plus à sortir des sentiers battus. L’an dernier, lors de la convention de hackers Def Con, qui réunit à Las Vegas quelques-uns des plus grands cybercrimi­nels de la planète, il est venu livrer les secrets d’un inédit et très performant système de triche au poker. Découvert par hasard, il promet tout bonnement de lire les cartes de ses adversaire­s. Lui-même reconnaît recourir à des logiciels de sa confection pour assouvir son penchant pour les jeux vidéo. Il a ainsi mis au point une appli exploitant ses connaissan­ces en intelligen­ce artificiel­le pour gagner à tous les coups à Hearthston­e, un jeu de cartes en ligne. Abracadabr­antesque !

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 ??  ?? Malicieux et curieux, Elie Bursztein met la même passion à traquer les hackers pour Google qu’à régaler ses collègues avec ses tours de magie.
Malicieux et curieux, Elie Bursztein met la même passion à traquer les hackers pour Google qu’à régaler ses collègues avec ses tours de magie.

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