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L’important, c’est d’y croire

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Les météorolog­ues savent combien il est hasardeux de se prêter au jeu des prévisions. En 1989, deux auteurs américains ont voulu démontrer, non sans ironie, que tout le monde n’avait pas le bon sens des experts climatique­s. Ils ont donc consigné(1) les prédiction­s d’entreprene­urs et de scientifiq­ues dont l’Histoire a retenu le nom. On apprend ainsi que le physicien Robert Andrews Millikan (prix Nobel 1923) pensait que l’homme ne parviendra­it jamais à exploiter l’énergie de l’atome. En 1943, c’est au tour du président d’IBM d’aérmer qu’on ne vendra jamais plus de cinq ordinateur­s dans le monde. Dans ce livre, on découvre ce même scepticism­e pour à peu près toutes les technologi­es émergentes : de la radio à la télévision, en passant par le téléphone. Une bonne occasion de rendre hommage à celui-ci

(lire p. 30), en rappelant le chemin tortueux qu’il a dû emprunter pour se débarrasse­r de son fil et offrir aux humains la promesse de l’ubiquité : sans attaches physiques, nous sommes désormais joignables partout. Une idée que Charles Bourseul aurait certaineme­nt trouvée, en son temps (1854), bien audacieuse.

C’est à cet agent de l’administra­tion des télégraphe­s que l’on attribue la paternité du combiné. Une anecdote méconnue mais bien de chez nous. Voici ce qu’on pouvait lire dans Le Monde illustré du 17 février 1934(2) : “L’Allemagne vient de célébrer le centenaire d’un modeste savant […] qui aurait été le premier réalisateu­r du téléphone.” Mais “six ans avant que Philippe Reiss fit connaître son invention, le principe […] avait été établi par un Français […]. Esprit ingénieux et réfléchi, fonctionna­ire modèle […], Bourseul avait imaginé […] la transmissi­on de la voix par la conductibi­lité électrique. […] En 1882, Graham Bell […] et Edison […] rendirent un hommage éclatant à l’inventeur […]. Devant la reconnaiss­ance officielle des deux savants américains, le gouverneme­nt […] augmenta sa petite rente […] et lui octroya par surcroît un bout de ruban rouge… Ce fut tout !… Le génie ne se paie pas cher en ce pays.”

Un siècle et demi plus tard, tandis que dans la Silicon Valley les dollars irriguent la libre entreprise aussi sûrement que les crises européenne­s s’enchaînent,

a-t-on encore, nous Français, une raison de bomber le torse ? Au premier jour de cet été 2017, deux Américains l’affirment. Le premier, John Chambers, président de Cisco Systems pendant deux décennies, voit dans la vitalité de nos start-up l’illustrati­on d’un “pays (qui) s’est réellement remis à

rêver” (3). Le second, qui a dessiné l’iPhone et créé le thermostat connecté Nest, vient de traverser l’Atlantique pour vivre à Paris.

Tony Fadell explique son choix ainsi : “La Silicon Valley reste avant tout focalisée sur la technologi­e, alors qu’aujourd’hui […], ce qui doit primer, c’est

la rencontre de la technologi­e et de la culture.” (4) On oserait presque avancer qu’une révolution est en marche. On relèvera néanmoins qu’en attendant, la concurrenc­e ne reste pas les bras ballants. Amazon, libraire de son état, est en passe d’avaler 460 magasins de produits bio (lire p. 9) et de menacer tous les dinosaures de la grande distributi­on (Walmart, Carrefour…). Au lieu de s’en alarmer, on devrait s’inspirer de la méthode de son patron : il ose tout, c’est même à cela qu’on le reconnaît. Si les serveurs informatiq­ues ne sont pas assez fiables à son goût, il construit son propre réseau. Résultat, un tiers du Web mondial transite par ses infrastruc­tures. La Terre est trop petite ? Il fabrique sa fusée New Shepard pour nous emmener dans les étoiles. Et la liste de ses rêves en cours de réalisatio­n est aussi fournie que son compte en banque. Le secret de Jeff Bezos ? Son addiction au Do it Yourself (faites-le vous-même), qui réduit sensibleme­nt sa dépendance aux aléas extérieurs. On vous invite à en faire de même ( lire p. 46) avec des suggestion­s de bricolage technologi­que mais accessible qui pourraient bien vous en inspirer de nouveaux. De là, de futurs candidats au concours Lépine écloront peut-être. Au génie français de s’illustrer à nouveau ou de donner raison à l’adage selon lequel on ne serait jamais aussi bien servi que par soi-même. (1) Paroles d’experts - Les perles des spécialist­es, par Christophe­r Cerf et Victor Navasky (Acropole, 1989). (2) Qui inventa le téléphone ?, par Ernest Laut

dans Le Monde illustré du 17 février 1934, page 126 ( bit.do/dxkEY ). (3) Il s’exprimait au salon VivaTech 2017, en juin dernier. En vidéo et en anglais sur bit.do/dxmXD (4) Les Echos du 21 juin 2017 ( bit.do/dxnxw).

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AMAURY MESTRE DE LAROQUE Rédacteur en chef

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