LE BONHEUR, C’ÉTAIT SIMPLE COMME UN COUP DE FIL
Le 31 décembre prochain verra la disparition des cabines téléphoniques. Loi Macron oblige, Orange (exFrance Telecom) a les coudées franches pour les détruire et économiser ainsi 12 millions d’euros de frais annuels d’entretien. Le réseau Publiphone n’en compte plus que 20 000, contre 300 000 au sommet de leur gloire (1997), mais leur démantèlement alimente la polémique. Les pragmatiques s’émeuvent d’une décision condamnant définitivement les appels d’urgence dans les zones peu ou pas couvertes par les réseaux mobiles. Les nostalgiques pleurent la perte de monuments du patrimoine national, nés en 1881 à l’occasion
de l’Exposition internationale d’électricité de Paris. Dans une guérite en chêne capitonnée, le bavard est alors isolé du bruit extérieur. Une porte ouverte sur le
monde. C’est à Reims, deux ans plus tard, que le premier réseau de cabines publiques se déploie, pour rapidement gagner la Capitale. Au tournant du XIXe siècle, une communication de cinq minutes coûte alors quasiment 6 € d’aujourd’hui. Les modèles dits “de Paris”, à porte fermée et intégralement vitrée (1975), amorcent l’arrivée du paiement par carte à puce (télécarte Pyjama, 1984) avec, à la clé, une baisse sensible des tarifs et l’occasion d’éterniser les communications, agaçant la file d’attente, impatiente de vérifier que le bonheur est au bout du fil. S’en suit un inexorable désintérêt pour ces petites dames de fer et de verre qui n’ont pas encore rendu leur dernier souffle. Certaines seront transformées en point d’accès multimédia, avec écran tactile et accès Internet. D’autres connaîtront un regain d’intérêt avec l’émergence du bookcrossing, un jeu poétique consistant à déposer un livre dans un espace public pour qu’un inconnu s’en empare et le lise à son tour. Mais c’est outre-Manche, après un passage du rouge au vert, que ces cabines s’inscriront dans le siècle nouveau en devenant station de recharge solaire… pour téléphone portable.